La parole empêchée. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: études litteraires françaises
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823300779
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très humiliante et très dévalorisante sera répétéerépétition maintes fois dans la scène de divorce. Elle devient l’épée que le mari brandit pour se défendre contre cette femme forte, bien déterminée à parvenir à son but. La parole de l’homme s’avère, à cet égard, l’ultime évidence de sa faiblesse, de sa défaite et de son incapacité à se tenir droit, à exercer son pouvoir viril devant cette femme qui n’est plus la femme égyptienne ordinaire, paisiblement soumise aux pouvoirs et à la force écrasante du mari.

      Face à son époux, Latifa a décidé de ne pas hausser le ton pour aller jusqu’au bout de sa démarche (P, 45). Son silence inouï, impressionnant, devient sa force et son moyen de dire violemmentviolence non. Mais la décision de se taire n’est pas subite, elle n’est pas prise sur le coup. Latifa est passée par des phases de réflexion et des résolutions qui l’ont conduite à tout tenter, l’impossibleimpossibilité même, pour mener à bien sa décision :

      Je réfléchis avant de répondre. Hausser le ton risquait de compromettre mon entreprise. Ma décision de me séparer de lui avait cinq ans, mais la force de l’exécuter n’avait guère qu’un mois. Un mois à préparer l’entrevue du divorce, par la prière et la douceur, par l’entremise des parents, des proches et des amis, par la menacemenacer. Je ne haussai pas le ton, mais je ne reculai pas non plus. Reculer m’était impossible depuis que j’avais recouvré une partie de ma force d’agir (P, 47).

      Elle a tout simplement compris sa situation lorsqu’elle a saisi que ce n’était pas son mari qui faisait son bonheur. Elle s’est alors guérie de l’illusion qu’elle dépendait de lui et s’est ainsi progressivement libérée (P, 46). Sa décision n’émane que d’elle car elle a effectué tout un parcours, elle s’est lancée dans une entreprise faite de modifications, d’étapes transitoires fondées sur les fausses croyances d’un bonheur factice, mais aussi de réflexions profondes et longuement mûries sur sa situation de femme dans un couple malheureux. Et, quand elle s’est rendu compte que tout dépendait d’elle et que lui ne comptait pour rien, qu’il n’avait aucun rôle dans sa vie, son bonheur ou même son malheur, elle a pu arriver au terme de cette épreuve. Elle est devenue alors consciente d’elle-même et c’est là qu’elle a pu prendre la résolution d’aller jusqu’au bout pour réaliser son rêve de liberté.

      Quand on lui a posé la question de savoir ce qui avait changé dans son mari pour la mener à une telle décision, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) a répondu :

      Rien n’avait changé, le neuf était pareil au vieux ; rien ne change lorsque la feuille tombe de l’arbre à l’automne sans saignement, sans douleurdouleur ni remords. La feuille était tombée plus de cinq ans auparavant. Rien n’avait changé dans mon mari, le neuf était pareil au vieux, c’est moi qui avais changé (P, 47).

      Dans cette scène, le « moi » prononcé à haute voix par l’homme, ce « moi » qui est le signe de la faiblesse et de la lâcheté, est confronté à un autre « moi », celui de la femme, un « moi » intérieur qui tente de comprendre, d’analyser et de se défendre, de chercher au fond de lui-même sa force et son pouvoir, tout ce que le « moi » de l’homme essaie de lui ôter avec violenceviolence :

      En même temps, j’étais intérieurement une femme détruite au-delà de toute mesure, mais personne d’autre que moi ne connaissait une seule des dimensions de ce désastre intérieur ; c’était le secretsecret que j’avais dissimulé à tout le monde, y compris un temps à moi-même, et dont j’avais ensuite ressassé l’amertume sans avoir la force de changer les choses (P, 46).

      Ce n’est pas de lui, mais c’est d’elle, de son « moi » que dépendent les choses : « j’étais l’auteur de mes bonheurs et de mes malheurs, et lui n’avait rien fait » (P, 46).

      Son monologue intérieur est souvent interrompu par le refrain de son mari, « – Mais c’est moi qui t’ai faite ». L’interditinterdiction proféré par le mari se heurte à une réaction silencieuse de soumission première, de résignation qu’elle trouve, à ce moment-là, à ce stade-là, embarrassante, insupportable et répugnante (P, 47). Dans cette scène, l’inquiétude du mari et sa stupéfaction devant le silence sont soulignées. Quant à elle, elle dit désormais « non » par son silence, en réponse à la parole de son mari et à ses mots stériles : ce « non » prononcé bien fort, qui n’est pas destiné à son époux car il n’occupe aucune place dans sa bataille, est destiné à elle-même, à sa propre faiblesse et à son impuissance :

      Ce n’était pas lui, mais moi qui agissais ; j’étais désormais en mesure de dire « Non, ça suffit », et de ne pas enterrer ces mots dans un sommeil de mortmort. J’avais les moyens d’agir, de lutter pour sortir de la mauvaise trajectoire jusqu’à ce que disparaisse complètement le besoin de dire un « non » stérile, qui ne se traduit pas en acte ou un « ça suffit » amer ressassé dans le silence, l’impuissance et la haine de soi (P, 47).

      La tâche n’était guère aisée et il y a eu tout un travail que cette femme a tenté d’accomplir sur elle-même depuis des mois, voire des années : elle se fouettait très violemment pour y parvenir, nous dit l’auteure, et son dos « en portait encore les marques » (P, 47). Elle subit une forte métamorphose, et cela est irréversible (P, 49). Elle va à contre-sens, elle brise « les règles qui prévalaient dans de nombreuses relations conjugales » (P, 49), elle mène sa bataille tout en gardant le silence (P, 49).

      C’est au terme du récit de son divorce que l’héroïne livre à tous la raison apparente de sa décision : son mari l’a trahie. Mais, est-ce la vraie raison de sa révolte et de son refus de sa vie de couple ? En réalité, elle défend son existence car c’est son être même qui est en jeu :

      La tromperie conjugale n’était pas, ou peut-être n’était plus mon souci. C’était mon existence même qui était en jeu, qui tenait à un nouveau départ où tout lien entre mon mariage et moi serait rompu, et dont il ne resterait plus rien (P, 49).

      Dans son texte autobiographique, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) convie ainsi le lecteur à la suivre au gré d’un parcours semé d’échecs et de compromissions, dans « ce long ballottement passé à [se] perdre et à [se] retrouver, à perdre et à retrouver [sa] voix » (P, 84). Elle le confronte à différentes représentations de l’écriture ou de la parole et le met d’emblée en garde vis-à-vis de leur pouvoir. Radwa Achour, amie de l’écrivaine, souligne le caractère audacieux de cette écriture autobiographique :

      Elle était audacieuse au point d’être vraiment sévère avec elle-même, car elle s’est jugéejugement. Je trouve que dans la perception communément admise sur les œuvres féminines, on illustre l’audace féminine par le fait d’amener le lecteur dans les chambres à coucher ou de montrer la femme en sous-vêtements, etc. […]. Dans le cas de Latifa Al-ZayyatZayyat (Latifa), je trouve qu’elle est plus courageuse en s’obligeant à aborder des sujets qui sont doulourdouleureux pour elle5.

      Pour conclure, il faut dire que le silence, dans les deux textes, apparaît comme une absenceabsence de communication verbale, une rupture du discours entre non pas deux interlocuteurs, mais plutôt deux adversaires. Le dialogue entre l’homme et la femme n’a pas eu lieu et il cède la place, surtout chez Latifa ZayyatZayyat (Latifa), à un monologue intérieur qui met en lumière le conflitconflit vécu par l’héroïne, mais l’aide à se construire, à avancer et à rester ferme dans son choix. Si la parole du mari intimideintimider la femme, la rabaisse, c’est grâce à ce monologue qu’elle se revalorise et parvient à son but.

      Dans La Rebelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha)-Nour et dans Perquisition ! Carnets intimes de Latifa ZayyatZayyat (Latifa), l’originalité réside, me semble-t-il, dans ce silence absolu qui devient un instrument pour lutter contre un système patriarcalpatriarcat stérile pesant sur la sociétésociété. Les deux femmes ont dit « non », par leur action et non par leur voix. Chacune d’elles s’est acharnée non contre « l’autre », à savoir l’homme qui l’a longtemps enfermée