Quoique cette littérature féministeféminisme rassemble une production très vaste, elle demeure mal connue à l’étrangerétranger ; en Égypte, elle est peu rééditée et peu lue de nos jours, alors même qu’elle jouissait au temps de sa sortie d’une véritable reconnaissance des lecteurs et des institutions littéraires. Notre travail consiste à donner voix à des écrivaines qui ont appelé aux droits des femmes, à la liberté d’exister et de s’exprimer en tant que personne à part entière. Nous nous pencherons particulièrement sur une nouvelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour, intitulée La Rebelle3, et sur l’œuvre autobiographiqueautobiographique de Latifa ZayyatZayyat (Latifa), Perquisition ! Carnets intimes4. Ces deux exemples sont, à mon sens, très représentatifs d’une littérature féminine égyptienne qui remet en question les normenormes d’une sociétésociété patriarcalepatriarcat minimalisant et marginalisant la femme. Ce qui attire le plus l’attention, c’est la poétique novatrice d’un discours de nature contestataire. L’écriture, dans les deux cas, est marquée par une violenceviolence qui reflète un fort désir de dénoncer l’inégalité sociale. Le silence qui répond à cette violence devient un procédé pour contester l’injustice et libérer la sensibilité. Si le langage est un instrument de pouvoir, ces deux œuvres dévoilentdévoiler l’existence d’un nouveau moyen d’expression qui révèle la situation de femmes en conflitconflit avec le monde environnant.
1. La Rebelle
Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour est née et a été élevée au Caire. Elle a étudié à la Faculté de Mass Media et obtenu un diplôme en journalisme de l’université du Caire en 1974 puis, à partir de 1975, a été rédactrice au magazine hebdomadaire, Akher Saâ (Dernières nouvelles) où elle a été responsable des sections culturelle et littéraire et s’est montrée particulièrement intéressée par toutes les questions féminines. Elle a publié trois recueils de nouvelles en 80, 89 et 90 : Peut-être comprendriez-vous un jour (Robbama tafham yawman), Une rencontre au Temps de l’Amour perdu (Al Liqa’ fi Zaman al Hob al Daëi), Les Hommes aussi ont peurpeur (Al Rigal Aydan Yakhafoun). Elle est également l’auteure de deux romans, édités en 1981 et 1985. Le thème essentiel de la plupart de ses textes est le conflitconflit entre l’homme et la femme. Certaines de ses nouvelles ont été traduites en français, en allemand et en anglais.
La Rebelle, une nouvelle de trois pages et demie, parue dans Peut-être comprendriez un jour (Robbama tafham yawman), raconte l’histoire d’une femme anonyme, « Elle », qui se trouve dans une chambre et se prépare à sortir, mais se rend compte que toutes les portes de la chambre – il y en a trois – et son unique fenêtre sont hermétiquement fermées et verrouillées. Jusqu’à la fin du récit, elle essaie de trouver une issue et utilise tout ce qu’elle trouve pour faire un trou dans l’une des portes de la chambre.
Tout au début, ce récit met l’accent sur la féminité du personnage : « Elle » est une femme belle, coquette, qui aime vivre. Cela se voit dans sa manière de se vêtir, de se coiffer et de se préparer pour sortir :
Elle était parée de tous ses atouts naturels, de ses vêtements harmonieux aux couleurs douces entremêlées avec un art et un goût raffinés. Ses cheveux brillants et lourds étaient noués derrière ses petites oreilles avec une grosse épingle (R, 35).
Or, elle se heurte aux portes fermées de cette chambre qui a la forme d’une cellule :
D’un gestegeste spontané, elle tire la porte pour sortir. Elle est surprisesurprise de la voir verrouillée. Elle recommence son geste mais en vain… Elle court vers la seconde porte de la chambre… puis se précipite sur la troisième… Toutes les portes sont hermétiquement verrouillées. Elle saute par-dessus le mobilier modeste de la chambre exiguë pour parvenir à l’unique grande fenêtre. Mais, elle se cogne contre le rideau d’acier épais qui l’encadre (R, 35).
La première réaction de cette femme est de crier : « alors, d’une voix rauque, elle laisse échapper des criscri stridents et successifs et l’échoécho de ses cris revient à ses oreilles, lui faisant mal, secouant le tréfonds de son âme assiégée » (R, 35). Ses cris ne serviront à rien. Elle se rend compte qu’elle doit agir et ne peut compter que sur elle-même. Elle décide de se battre et tente, de toutes ses forces, de trouver l’issue de ce labyrinthe monstrueux où toutes les portes sont impraticables. Mais la situation se renverse quand elle comprend que ses appels au secours vont la rendre de plus en plus faible, qu’ils seront le signe de son incapacité à faire face à la situation où elle se trouve.
« Elle » vide alors son sac, sort tous ses petits outils féminins, comme sa lime à ongles, son épingle à cheveux, sa pince à épiler, le couvercle de son rouge à lèvres et le taille-crayon dont elle se sert pour tailler son crayon à sourcils. Tous ces outils très fins, qui étaient auparavant les symbolesymboles de sa féminité et de sa beauté serviront désormais dans sa bataille pour la liberté. Elle utilise chaque petite chose afin de faire un trou dans l’une des portes de la chambre :
La voilà qui parvient à y faire un trou minuscule qui ne dépasse pas la tête de l’épingle à cheveux métallique qui emprisonne ses boucles touffues et luisantes derrière l’oreille. Elle la tire sans hésitationhésitation. Libérées, les mèches foncées voltigent follement dans tous les sens sur son front, sur ses épaules. Elle enfonce son arme dans la partie faible de l’obstacle massif (R, 36).
L’auteure décrit minutieusement ce travail silencieux et épuisant et elle souligne la manière impressionnante de contester ou de dire non, non par les mots, la parole, mais par les gestegestes d’un corps faible quoique mû par une volonté décisive : « le cercle s’élargit… la cavité s’approfondit… le cœur faible du corps brutal, massif, saigne plus fort » (R, 37).
Face à « Elle », un personnage masculin est introduit au milieu du récit. Nommé « l’œil », ce personnage se trouve à l’extérieur de la chambre où elle est enfermée. Énervé, il la surveille en train d’essayer d’élargir ce trou avec une « ardeur » et un zèle sans pareils. Nous comprenons que c’est lui qui l’a enfermée – encerclée – dans cette chambre : « un œil cruel la regarde à travers le trou de son cercle. Il observe son ardeur au travail et son éventuelle chance de parvenir à la liberté et au salut naturel » (R, 38). Cet homme est pris de panique lorsqu’il la voit obstinée, persévérante dans son « travail », proche d’atteindre sa « liberté » :
L’œil est foufolie de rage de voir à quel point elle est tenace et opiniâtre et qu’elle avance dans son travail. Dans un minuscule coin de la pièce exiguë, il la surveille (regarde) en train d’épuiser toutes ses armes féminines primitives (R, 39).
Ce récit dynamique, où aucune parole n’a été prononcée, nous présente le personnage féminin, « Elle », en train de lutter, de se battre pour la vie, en se servant de « ses armes primitives », de « ses armes féminines », afin d’élargir « le cercle » où elle étouffe, de trouver une issue au siège monstrueux dont elle est victimevictime. Elle devrait cricrier, supplier son bourreau de lui ouvrir la porte pour la laisser partir. C’est d’ailleurs ce qu’il attend de sa prisonnière : « Il veut qu’elle capitule, qu’elle proclame à tout prix sa défaite » (R, 39). Mais, obstinée, bien déterminée et silencieuse, elle décide d’agir par elle-même en fabriquant de ses propres mains une sortie à sa prisonprison pour arracher sa liberté à celui qui la retient enfermée.