La parole empêchée. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: études litteraires françaises
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823300779
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elle enfonce ses dix ongles aigus et pointus, la dernière arme qui lui reste et continue à élargir le diamètre de son cercle… (R, 40).

      La fin de ce récit symboliquesymbole met ainsi l’accent tout à la fois sur la faiblesse de la femme, (« son handicap ») et sur sa détermination, sa forte décision d’aller jusqu’au bout de sa bataille contre l’homme et pour sa liberté. Elle devient ainsi la femme, soit n’importe quelle femme égyptienne se heurtant cruellement à la sociétésociété rigide, au système patriarcalpatriarcat représenté par « l’œil cruel » qui tente de la paralyser, de l’enfermer afin de l’empêcher de vivre comme elle le veut, d’être libre, de s’épanouir et d’exister en tant que personne à part entière. Le texte dit et redit surtout la volonté ardente de la femme de mener son combat contre la société, malgré la petitesse de ses armes et de se battre jusqu’au bout pour être indépendante et exister hors de toute tutelle.

      Passons au second texte, celui de Latifa ZayyatZayyat (Latifa), Perquisition ! Carnets intimes.

      2. Perquisition ! Carnets intimes

      Latifa ZayyatZayyat (Latifa) est née en 1923 à Damiette, dans le delta du Nil. Dès son très jeune âge, elle a milité contre l’occupation anglaise. À vingt-six ans, elle a connu pour la première fois la prisonprison à cause de son engagement politique contre le roi d’Égypte et la colonisation. Zayyat a été professeure de littérature anglaise à l’Université d’Aïn Shams au Caire et elle a publié plusieurs ouvrages dont le premier, Al-bab al-maftouh (La porte ouverte), a été édité en 1960.

      Le titre de son autobiographieautobiographie, Perquisition ! s’inspire de la fouille réelle à laquelle ZayyatZayyat (Latifa) a dû se soumettre à la prisonprison de Kanater1, en 1981. Ce récit se situe sur deux plans : celui de la réalité, avec une perquisition telle qu’elle est pratiquée dans les prisons, et celui de l’intériorité. Dans le texte de Latifa Zayyat, comme chez Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour, la tension entre les femmes et la normenorme sociale s’incarne dans l’opposition entre les protagonistes féminines et les figures représentant les normes sociales.

      L’auteure (1923–1996), une des figures de proue de la gauche égyptienne, nous introduit dans le destin intimeintime d’une femme qui se heurte à un pouvoir doublement patriarcal, mais se construit aussi face à lui : le pouvoir d’une sociétésociété où l’homme occupe la place centrale, et celui d’un régime politique totalitaire établi sur une figure autocratique. En se lançant à corps perdu dans l’engagement politique afin de défendre son pays « contre toutes les injustices du monde » (P, 42), elle devient ainsi, à vingt ans, porte-drapeau du Comité national des étudiants et des ouvriers, puis elle s’impose comme une intellectuelle de premier plan. Mais comment travailler à la transformation politique dans les rangs du Parti communiste égyptien et des forces de gauche, sans s’attaquer au système patriarcalpatriarcat rigide qui pèse sur la vie intimeintime ? Et comment devenir pleinement adulte quand sa féminité est refouléerefoulement à l’adolescence mais exaltée, dans la vie conjugale, par un mari dont la jalousie et le machisme réduisent à peu de chose la personnalité ?

      Comme toute femme égyptienne, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) doit se conformer aux volontés de sa famillefamille, soumise elle-même à une autorité paternelle très forte : « l’autorité est tombée, sur la terre comme au ciel, et avec elle le besoin de s’anéantir, d’amour ou de terreurterreur, dans l’étreinte du père […] » (P, 27). Ce système patriarcal injuste prend tout le monde, les femmes comprises, dans les rets d’une traditiontradition séculaire, et les rend prisonnièresprison de structures mentales extrêmement rigides et de lois contraignantes. Selon Latifa Zayyat, ce sont les mères qui éduquent mal leurs filles en leur apprenant à obéir à leurs époux, ce sont elles qui les excisent, afin qu’elles restent pures pour leur mari et n’aient pas la tentationtentation de le tromper. À cet égard, l’auteure vit une expérience inoubliable, qu’elle raconte à l’âge de soixante-dix ans, dans un livre qui lui est consacré par des intellectuels arabes, Latifa Zayyat la littérature et la patrie2. Dans un chapitre où elle évoque sa vie personnelle et sa relation avec sa mère, elle affirme que la première leçon qu’elle a reçue d’elle, fut de baisser la voix, de s’anéantir devant l’autre, devant l’homme :

      Ma mère m’a appris à ne rien faire, à ne rien dire. Je ne dois jamais avouer ce que je ressens, je ne dois jamais cricrier, elle m’a souvent empêchée de parler, elle a souvent félicité ma passivité, m’a appris comment sourire, comment me replier sur moi-même, a souvent encerclé ma colère, la considérant comme une mauvaise chose. Elle m’a domptée […]. Elle m’a appris que l’amour est un don, m’a appris comment je dois me supprimersuppression moi-même devant mon amoureux, pour être… ou plutôt pour ne pas être3.

      Dans Perquisition ! Carnets intimes, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) revient sur l’obligation d’étouffer sa voix, mais cette fois-ci dans un cadre politique. Elle avait onze ans lorsqu’elle a vu de jeunes manifestants tomber sous les balles de policiers anglais. Elle n’a pu alors descendre dans la rue pour les défendre:

      Là, immédiatement, se joue mon avenir : je viens à l’engagement nationaliste par la voie la plus dure et la plus violenteviolence, une voie où le moindre recul m’accable, me culpabilise. Qu’on étouffe ma voix m’est insupportable ; je suis guidée par un vœu invisible : continuer à pouvoir dire non à toutes les injustices du monde (P, 42).

      Si Latifa ZayyatZayyat (Latifa) lutte pour l’indépendance politique, elle défend surtout les droits de la femme et la justicejustice sociale. Son écriture est marquée, dans ce livre, par une violenceviolence qui reflète son désir de dénoncer l’inégalité. Elle se bat contre le rôle assigné traditiontraditionnellement à la femme, dominée au sein du couple et de la famillefamille, et plus largement contre l’imageimage que la sociétésociété égyptienne tout entière se fait de la femme. Son combat se situe donc sur deux fronts : le front politique et le front psychologiquepsychologie, car sa bataille personnelle est intimement liée à la lutte qu’elle mène pour son peuple.

      Sur le plan politique, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) décide de ne jamais baisser la voix pour raconter les injustices qui existent dans son pays. Au moment même où elle a vu les jeunes manifestants tomber dans la rue, « l’enfant est devenue fillette, elle a découvert le mal dans son incarnation étatique. L’enfant qui trouvait refuge contre les maux du monde dans les bras de sa mère n’est plus » (P, 44). Plus tard, en 1946, elle devient, comme elle le dit elle-même, « la joie brutale, et la force active et débordante », en s’associant aux jeunes manifestants, « un océan de jeunes gens [qui] chantchante en chœur sur le pont Abbas, et [dont le] grondement secoue l’ancien colonialisme, et le nouveau qui attend son heure, et les régimes à sa solde » (P, 44).

      Mais, sur le plan personnel, Latifa ZayyatZayyat (Latifa) a-t-elle réagi de la même façon ? A-t-elle cricrié à haute voix pour proclamer son existence comme être indépendant, dire sa liberté et réclamer son émancipation ? Après l’évocation de la décision prise de s’engager aux côtés des jeunes réclamant la fin de l’occupation anglaise et après la mise en scène glorieuse d’une jeune fille s’exprimant haut et fort et chantchantant la liberté de son pays avec ses compatriotes, Latifa Zayyat fait retour sur un autre type de souvenirsouvenir, plus intimeintime, celui de son divorce. Le chapitre consacré à cet événement a pour titre la date de 1967. Cette date, que tous les Égyptiens connaissent très bien, est la date de la défaite des troupes égyptiennes face aux Israéliens et celle de la perte de la partie nord-est du pays, le Sinaï, tombé dans les mains des ennemis. Cette année résume, en quelque sorte, le sentiment lourd et accablant d’une défaite moralemorale qui plane sur tout le pays. Dès qu’on lit 1967 en tête du chapitre, on s’attend à ce que l’auteure, cette guerrièreguerre féroce, cette manifestante, parle de ce tristetristesse fait politique. Or, ce n’est pas ce qui a lieu car l’événement est seulement évoqué à la fin du chapitre tandis qu’au début, Latifa Zayyat parle de sa vie personnelle,