La parole empêchée. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: études litteraires françaises
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823300779
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s’explique également par la grande culpabilitéculpabilité généralement ressentie par les victimes d’incesteinceste : « la hontehonte et le sentiment d’avoir participé s’avèrent aussi efficaces que des menacesmenacer de violenceviolence pour faire taire »8. Il faut noter, avec Catherine Francblin, que « le livre, publié début 1994, est paru uniquement en français, comme si, tout en souhaitant révéler l’agression sexuellesexualité dont elle avait été victimevictime, elle ne souhaitait pas ébruiter sa confession au-delà d’un certain cercle »9.

      Il va sans dire que la dimension sexuelle de l’incesteinceste participe à cette culpabilitéculpabilité. Mais, à la suite de nombreuses féministesféminisme, il faut affirmer que « l’agression dite « sexuelle » est aussi peu sexuelle que possible »10, que le violviol est une violenceviolence qui a le sexe pour arme11. Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) affirme la même chose quand elle écrit : « Le viol n’est pas essentiellement un acte sexuel, c’est un crime seulement contre l’esprit ».

      Mais c’est seulement avec un recul, intellectuel et temporel, que l’on peut mettre en place une telle analyse, qui dissocie le violviol de la sexualitésexualité et l’incesteinceste d’une relation filiale ; à l’heure de l’agression, et souvent de nombreuses années par la suite, il n’y a que la hontehonte. Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), comme tant d’autres, choisit de se taire : « Je ne dis rien du viol à personne. Mon silence était une stratégie de survie ».

      2. Silence de la sociétésociété

      Il faut sans doute aller plus loin et affirmer que le violviol incestueux n’est pas qu’une affaire de famillefamille, et que le silence autour de l’incesteinceste est un fait de sociétésociété : « les incestés font l’expérience d’une pratique persistante de la vie courante qui n’est pas nommée, pas reconnue, pas pensée, qui n’a officiellement aucun témoin et qui n’est jamais évoquée par personne, ni dans la famille, ni à l’extérieur, à aucun moment »1. L’inceste existe, mais nous n’en parlons pas. Il s’agit d’un taboutabou plus que d’un interditinterdiction2.

      À ce silence gêné, il faut ajouter que les faits remontent à plus d’un demi-siècle et que, pour reprendre les mots de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), il faut « se souvenirsouvenir de l’époque » :

      Je me suis souvent demandé pourquoi après le violviol, je n’ai pas immédiatement prévenue ma mère. Il faut se souvenirsouvenir de l’époque. J’avais été élevée dans la hontehonte de mon corps et dans l’idée catholique du péché. Les sœurs Irlandaises, au couvent, étaient obsédées par le sexe. Les enfants sont perméables. J’avais bu de ce lait empoisonné.

      En 1942, le violviol est un crime paradoxal : son existence légale est ancienne, mais « les mœurs s’imposent au-delà de la loi » en persistant à le minimiser et à le marginaliser3. Il n’a été inscrit au code pénal sous la forme que nous lui connaissons – « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui par violenceviolence, contrainte, menacemenacer ou surprisesurprise » – qu’en 1980. L’incesteinceste n’est pas une infraction spécifique mais une circonstance aggravante du viol ou des atteintes sexuellessexualité « par un ascendant légitime, naturel ou adoptif, ou par toute autre personne ayant autorité sur la victimevictime »4.

      Il aura fallu attendre les années 1970, avec Florence Rush aux États-Unis, pour que ces silences se lèvent. Celle-ci affirme, selon son expérience de travailleuse sociale, que les maltraitances infantiles sont souvent sexuelles, elle s’oppose à une certaine doxa psychanalytiquepsychanalyse concernant les fantasmes œdipiens et la théorie de la séduction, et ouvre une voie (offre la voix) aux anciennes victimes, qui s’identifient d’ailleurs non comme victimes mais comme survivantsurvivantes de l’incesteinceste5.

      Même après cette libération de la parole, il faut être prêt·e à penser l’impensable, à imaginer l’inimaginableinimaginable, pour recevoir ce qui est généralement gardé secretsecret. Les victimes d’incesteinceste qui parlent enfin se heurtent parfois à la surdité de celles et ceux dont on pourrait attendre qu’ils et elles soient prêt·e·s à tout entendre. Non pas qu’il soit question ici d’incompétence, mais bien plutôt des limites de chacun·e quant à l’espoirespoir placé en l’être humain.

      À ces limites s’ajoute le concept de complexe d’Œdipe qui, pour efficace qu’il soit dans d’autres circonstances, offre ici une opportunité pour ne pas entendre, voire pour rejeter la fautefaute sur la victimevictime. L’expérience de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) est à ce titre éclairante :

      Tourmentée pendant des Années par ce violviol, je consultais de nombreux psychiatres : des hommes, hélas ! Ce qu’ils faisaient ressortir avant tout, à mon profond désarroi, c’était l’ambivalence de la petite fille, qui aurait provoqué la situation. Les psychiatres ainsi, puisqu’ils ne reconnaissaient pas le crime dont j’avais été victimevictime, prenaient inconsciemment le parti de mon père. Selon eux, aucun homme ne pouvait être blâmé de ne pas avoir pu résister à la séduction perverse d’une petite fille. C’était à elle à ne pas provoquer son père, celui-ci était victime d’un tragique moment de faiblesse.

      Auparavant dans le texte, un épisode plus précis est raconté, après celui de la lettre paternelle :

      Je montrais la lettre de mon père au psychiatre qui me soignait. Il prit une allumette et la brûla. Il me dit : « Votre Père est fou. Rien ne s’est passé. Il invente. La chose est impossibleimpossibilité. Un homme de son milieu et de son éducation Religieuse ne fait pas cela. » Le Dr. Cossa était lui-même père de famillefamille, il avait des filles de mon âge, il refusait de croire au violviol. C’était le point de vue de l’époque. FreudFreud (Siegmund) aussi pensait que toutes ces femmes qui se plaignaient d’incesteinceste étaient hystériques. Le Dr. Cossa écrivit une lettre à mon Père pour lui dire que s’il voulait que sa fille reste définitivement à l’asile il n’avait qu’à continuer à écrire de pareilles lettres. Qu’il ferait mieux de se faire soigner car il était victimevictime de dangereux fantasmes.

      Il faut noter ici, au-delà du témoignagetémoignage et de la révolte, une recherche d’explications à la sur-violenceviolence subie : l’époque, le maître, le statut de père de son thérapeute. On retrouve cette volonté de comprendre jusqu’à la dernière page où, revenant sur la prisonprison, qu’elle avait envisagée, quelques pages auparavant, comme solution dissuasive, elle affirme en post-scriptum qu’elle ne saurait en être une. Le texte est, pour une grande part, une analyse qui dépasse l’individuel pour repérer les structures – famillefamille, religionreligion, psychanalysepsychanalyse – qui rendent le violviol possible. Certains passages pourraient même être versés au dossier des textes féministesféminisme qui posent la culture du viol comme étant, non pas une conséquence, mais un des éléments fondateurs du patriarcatpatriarcat : « Tous les hommes sont des Violeurs. Regarde l’histoire des guerreguerres. La récompense du soldat c’est toujours le viol. Cela se passe ainsi depuis des temps immémoriaux. »

      Reste, nonobstant la non-violenceviolence d’une femme qui travaille à comprendre, voire à pardonner, une profonde colère dont elle indique que celle-ci est à l’origine de tout son travail d’artiste.

      3. Survivre et créer

      Dans Mon secretsecret, les indications concernant la carrière de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) sont rares mais décisives. Ce qui n’est pas une autobiographieautobiographie artistique cite pourtant trois faits qui permettent de comprendre à quel point le travail fut, au sens premier, déterminé par l’agression.

      Ce qui est rétrospectivement qualifié de « premier gestegeste artistique » est consécutif à l’agression :

      Je choisis d’obscurs moyens de me venger. […] Révoltée,