La parole empêchée. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: études litteraires françaises
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823300779
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Un jour, je peignis en rouge brillant les feuilles de vignes qui couvraient le sexe des statues grecques dans le hall de l’école. Ce fut là mon premier gestegeste artistique.

      C’est à la sortie de la clinique et suite à la réception de la lettre où le père fait ses aveux que celle qui se destinait au théâtrethéâtre va prendre la décision de devenir « peintre » : « Ce séjour me fut profitable, je me mis à peindre avec acharnement et pris la décision d’abandonner la mise en scène et l’art dramatique que j’avais commencé à étudier pour me consacrer à la peinturepeinture ».

      Elle fut, à vrai dire, bien vite sculptricesculpture, performeuse, c’est-à-dire plasticienne au sens plein, plutôt que simple peintre. Le catalogue My art My dreams comporte plusieurs textes de l’artiste, dont certains en fac-similés de manuscrits. L’un d’eux, introduisant la partie sur les premières peintures, affirme que la colère s’est muée en nécessité de devenir artiste, sans autre choix, sauf peut-être celui d’être considérée comme follefolie1. Les peintures chapeautées par ce paragraphe datent de 1956 à 1958. Dès 1961, Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) « embrasse » d’autres médiums pour extérioriser sa colère et parcourir son monde intérieur avec les Tirs, mêlant peinturepeinture, installation et performanceperformativité, rituels à la fois ludiques et violentsviolence. Sa créativité empruntera diverses voies, jusqu’au cinéma, avec Daddy, dix ans plus tard. Et encore une fois, ce choix est lié à ses rapports avec son père :

      La mortmort subite de mon Père, sans que nous nous soyons réconciliés, fut pour moi un énorme choc. Je décidais de faire un film pour essayer de comprendre quelle avait été ma relation avec lui. Je commençais le film en 1972 avec l’aide du cinéaste Peter Whitehead. Je donnais libre cours à mes fantasmes et une colère folle ressort de ce film. À travers les imageimages, je piétine mon père, je l’humilie de toutes mes forces et je le tue. À ma grande surprisesurprise, ce film loin de m’apaiser, déclencha en moi une dépression nerveuse. Je n’avais pas eu le courage de faire ce film pendant que mon Père vivait et la Violence de mes sentiments contre lui et les hommes m’avait moi-même accablée.

      La vision de ce film est une véritable épreuve, tant l’aspect malsain est traduit et exploré avec minutie. Il faut mettre au compte de ce malaise ressenti le fait que Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) s’est dessaisie de sa propre histoire et laisse un homme faire la psychanalysepsychanalyse de ses œuvres, puis d’elle-même2. Elle relate dans Mon Secret que ce film a scandalisé ses proches et la presse ; consciente de l’impact de ce film, elle déconseille à sa mère de le voir. Daddy, alors qu’elle en attendait soulagement en l’envisageant comme exutoire, l’accable, selon ses propres mots. Sans doute l’art joue-t-il ce rôle cathartique quand il ne fouille pas directement les plaies.

      L’art est envisagé en toutes lettres par Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) comme un moyen de survivre, quand elle affirme :

      Le nombre de femmes violées qui finissent par se suicider ou qui doivent retourner régulièrement à l’asile psychiatrique est énorme. Il y a des rescapées. Parmi les écrivains, la liste est longue des femmes qui s’en sont tirées. Virginia WoolfWoolf (Virginia) au contraire réussit une œuvre littéraire mais elle n’échappa finalement au suicidesuicide.

      C’est une question de vie ou de mortmort : créer ou être follefolie, survivre ou se suicider. Sans le faire directement, au risque d’un effet contraire, l’art est un moyen de dire sans parler ; une fois la clé connue, toutes les œuvres de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) semblent habitées par ce violviol. La légèreté se leste, et ce qui pèse, c’est un livre qui n’est pas qu’un texte.

      L’objet est aussi un livre d’art. D’assez grand format (24x30cm), imprimé sur papier grainé beige, le texte manuscrit est reproduit en fac-similé. On y reconnaît la graphie caractéristique de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), très ronde et régulière, agrémentée de lettrines rayées, de S qui se transforment en serpents, de spirales et de changements d’épaisseur ou de taille des lettres qui mettent en valeur les noms et parfois des mots. À trois reprises, elle « déborde » dans la marge, donnant le sentiment que l’écrit s’est fait d’une traite, avec des repentirs et sans brouillon. Ce texte, par la mise en page, par ses maladresses, par la mise en relief de parties, est intimeintime et vivant, comme une lettre que Saint Phalle nous aurait écrite. C’en est bien une, mais une lettre qui est adressée à sa fille Laura, alors adulte, et qui se termine ainsi, en affirmant une dernière fois la source traumatisantetraumatisme de sa créativité :

      Mon Père, secrètsecretement, devait étouffer dans sa vie mais il manquaitmanque du courage d’une vraie révolte. La petite fille que j’étais sera la seule victimevictime de sa lamentable rébellion. Ce Violviol subi à onze ans me condamnacondamnation à un profond isolementisolement durant de longues années. À qui aurais-je pu me raconter ? J’appris à assumer et survivre avec mon secretsecret. Cette solitude forcée créa en moi l’espace nécessaire pour écrire mes premiers poèmes et pour développer ma vie intérieure, ce qui plus tard, ferait de moi une artiste. Je t’embrasse chère Laura avec beaucoup de tendresse et un regret de n’avoir pas pu te parler de tout ceci pendant que tu étais adolescente. Pourquoi c’est si difficile de parler ?

      Parler sans dire, par le dessin ; celui de la couverture représente une tête de mortmort noire, rappelant les calaveras mexicaines, composée de motifs noirs et blancs sur fond colorié en rose. Il faut insister sur le verbe : le fond est colorié et non simplement coloré, on voit les traces laissées visibles par l’artiste et participant à son esthétique enfantine. Du haut du crâne, semblent pousser des fleurs de couleur, dont les contours reprennent les registres graphiques noirs et blancs de la tête. L’intention est limpide : de l’horreurhorreur peuvent naître de belles choses, et l’imageimage résume à elle seule la tension du travail de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), entre enfance, mort et joie.

      S’il faut insister sur l’aspect formel de l’objet-livre Mon Secret, c’est parce qu’il convient d’affirmer sa qualité artistique, qui va bien au-delà d’un simple témoignagetémoignage ou document. Ce n’est pas le seul texte que Saint PhalleSaint Phalle (Niki de) a produit et ici, comme pour les autres, se pose la question de leur statut. Des parentés plastiques lient les ouvrages entre eux, de même qu’elles lient l’ensemble des textes de Saint Phalle à ses autres œuvres. Un même vocabulaire formel s’applique à tous les objets, de la page manuscrite au jardin de sculpturesculptures et l’écriture hésitehésitation entre un texte qui accompagne (la compréhension de) l’œuvre et, simplement, un texte qui serait aussi une œuvre.

      Si Mon secretsecret livre une clé qui permet de comprendre mieux les œuvres de Saint PhalleSaint Phalle (Niki de), s’il explique la présence même de celles-ci, s’il offre enfin un espace pour une parole cinquante ans contenue, il appartient aussi à l’ensemble des œuvres qui se sont substituées à cette parole. De la parole empêchée ont éclos des objets d’art et, quand la parole advient enfin, elle prend la forme de ce qui s’était substitué à elle.

      Le silence comme moyen d’expression dans La Rebelle d’Aïcha AboulAboul Nour (Aïcha) Nour et dans Perquisition ! Carnets intimes de Latifa ZayyatZayyat (Latifa)

      Aziza Awad (Université du Caire)

      Au tournant du XXe siècle, on assiste en Égypte au développement d’une littéraire féminine cultivée : des auteures, souvent journalistes1, dont l’œuvre aspire à dessiner la « femme nouvelle », quittent alors l’espace privé et confiné du harem pour investir l’espace public et porter haut et fort des revendications sociales (féminismeféminisme, nationalisme) et culturelles, malgré les réticenceréticences séculaires et les résistancerésistances des milieux conservateurs. Ces auteures utilisent divers genres littéraires, comme le roman et la poésie, mais aussi l’essai ou l’écrit de recherche universitaire