3.1.1. Pathologies
Ces cas ne sont pas traités dans cet article car non présents dans le corpus de façon explicite. Il suffira donc de mentionner les deux pôles structurant ce domaine, d’une part les affections physiologiques, entraînant une détérioration des appareils cervical ou phonatoire, bloquant de fait toute parole, et d’autre part les affections psycho-pathologiques au premier rang desquelles il faut mentionner les aphasies. Qu’il soit ici permis de rappeler rapidement l’article de R. Jakobson1 articulant les descriptions des manifestations de l’aphasieaphasie autour de la différenciation des deux axes paradigmatique (troubletroubles de la similarité, du pôle métaphormétaphoreique) vs syntagmatique (agrammatisme, troubles de la contiguïté, du pôle métonymique). Mais l’étude de ces phénomènes ne coïncide pas vraiment avec le cadre de cet article, à l’inverse du second cas, présenté ci-dessous.
3.1.2. Empêchement physiologique
Les configurations envisagées ici ne relèvent donc point de troubletroubles physiologiques ou psychologiculpabilitéques dus à une pathologiepathologie quelconque. Les empêchements dont il est question dans cette section sont provoqués par une contradictioncontradiction entre les Pressions pour le dire, concevables comme celles poussant vers la profération d’un énoncé et certaines manifestations physiologiques indépendantes de la volonté du locuteur et bloquant la profération. Parfois, les manifestations physiologiques sont bien surprenantes :
‘[…] So tell me’, said Hagrid, jerking his head at Ron, ‘who was he tryin’ ter curse?’
‘Malfoy called Hermione something. It must’ve been really bad, because everyone went mad’.
‘It was bad,’ said Ron hoarsely, emerging over the table top, looking pale and sweaty. ‘Malfoy called her “Mudblood”, Hagrid –’
Ron dived out of sight again as a fresh wave of slugs made their appearance. Hagrid looked outraged. 1
Ce qui vient ici empêcher la profération est un spasme dû à l’irruption d’une vague de limaces dans l’appareil phonatoire du locuteur Ron. Le marquage intrinsèque typographique (le tiret (–) est à lui seul insuffisant pour interpréter le déroulement de l’intervention du locuteur comme empêchée, car la structure syntaxique ne permet pas de conclure forcément à un énoncé interrompu. C’est donc grâce aux informations du discours narratorial didascaliquedidascalique (marquage extrinsèque dans le cotexte externe aval), que l’interprétation « empêchement » peut être fabriquée.
3.1.3. Pressions contradictoires
Il est maintenant temps d’envisager les auto-empêchements dus à des jeux de pressions contradictoires dans l’intérieur du locuteur. L’empêchement, qui est souvent manifesté par une interruption impromptue du flux locutoire, est ainsi dû à l’irruption dans l’intérieur de l’interactant de faits, que l’on pourrait appeler « Pressions contre le dire » puisqu’elles viennent contrecarrer l’effet des « Pressions pour le dire ». Il y a a priori donc nécessairement, pour que l’interprétation soit productive, à la perception du message, deux marquages nécessaires dans la présentation du discours, celui de l’interruption du flux locutoire et celui relatif aux causes de ce qui sera interprété comme un empêchement. Plusieurs possibilités apparaissent de façon assez fréquente :
a. La pression des émotionémotions
Ce sont parfois des émotionémotions non particulièrement spécifiées qui viennent à l’encontre de la profération. Ce sont alors les marquages intrinsèques qui sont les vecteurs essentiels permettant de construire la représentation d’une parole empêchée par la virulence des émotions ressenties au moment de la prise de parole. Les procédés auxquels l’auteur a recours sont à la fois d’ordre typographique (recours fréquent aux points d’exclamation, de suspension), syntaxique (recours aux interjections, énoncés non terminés, structure syntaxique non saturée) et discursif, dans la mesure où les discours présentés sont marqués par une certaine incohérenceincohérence. Il n’est pas surprenant de trouver dans ce registre, par exemple, deux textes de théâtrethéâtre de DiderotDiderot (Denis) et de VignyVigny (Alfred de) :
GERMEUIL. – Votre père est un homme juste ; et je n’en crains rien
CÉCILE. – Il vous aimait, il vous estimait.
GERMEUIL. – S’il eut ces sentiments, je le recouvrerai.
CÉCILE. – Vous auriez fait le bonheur de sa fille… Cécile eût relevé la famillefamille de son ami.
GERMEUIL. – Ciel ! il est possible ?
CÉCILE, à elle-même. – Je n’osais lui ouvrir mon cœur… Désolé qu’il était de la passion de mon frère, je craignais d’ajouter à sa peine… Pouvais-je penser que, malgré l’opposition, la haine du Commandeur… Ah ! Germeuil ! c’est à vous qu’il me destinait.
GERMEUIL. – Et vous m’aimiez !… Ah !… mais j’ai fait ce que je devais… Quelles qu’en soient les suites, je ne me repentirai point du parti que j’ai pris… Mademoiselle, il faut que vous sachiez tout.
CÉCILE. – Que m’est-il encore arrivé ?
GERMEUIL. – Cette femme…
CÉCILE. – Qui ?
GERMEUIL. – Cette bonne de Sophie…
CÉCILE. – Eh bien ?
GERMEUIL. – Est assise à la porte de la maison ; les gens sont assemblés autour d’elle ; elle demande à entrer, a parler.
CÉCILE, se levant avec précipitation, et courant pour sortir. – Ah Dieu !… je cours…1
Le second exemple est monologal, même si, dans le dialogue qu’il entretient avec lui-même, une structure quasi dialogique peut être repérée, témoignant ainsi des deux réseaux de pressions contradictoirescontradiction à l’origine des empêchements se manifestant dans les successions d’énoncés inaboutis et ruptures discursives.
Eh ! que me fait cet Harold, je vous prie ? – Je ne puis comprendre comment j’ai écrit cela. (Il déchire le manuscrit en parlant. – Un peu de délirefolie le prend.) – J’ai fait le catholique ; j’ai menti. Si j’étais catholique, je me ferais moine et trappiste. Un trappiste n’a pour lit qu’un cercueil, mais au moins il y dort. – Tous les hommes ont un lit et dorment ; moi, j’en ai un où je travaille pour de l’argent. (Il porte la main à sa tête.) Où vais-je ? où vais-je ? Le mot entraîne l’idée malgré elle… O Ciel ! La folie ne marche-t-elle pas ainsi ? Voilà qui peut épouvanter le plus brave… Allons ! calme-toi. – Je relisais ceci… Oui… Ce poème-là n’est pas assez beau !… Écrit trop vite ! – Écrit pour vivre ! – O supplice ! La bataille d’Hastings !… Les vieux Saxons !… Les jeunes Normands !… Me suis-je intéressé à cela ? non.2
Ici encore on remarque le recours massif aux marquages intrinsèques combinant les signes de ponctuation répétésrépétés et ajoutés les uns aux autres ( !… – ? ne relevant pas de la double articulation) et la configuration même des énoncés, et des discours, avec notamment les ruptures d’enchaînement thématique et répétitions. Les indications didascaliquesdidascaliques viennent renforcer dans la présentation extrinsèque (éléments du cotexte externe concomitant) du discours (du locuteur) les indications permettant la construction de la représentation d’une parole empêchée