On y ajoutera des structures syntaxiques qui se combinent le plus souvent avec l’élément prosodiqueprosodie de la pausepause et qui marquent le travail de formulation dans la planification du discours. Les procédés typiques de l’oraloralité que l’on peut identifier comme formes de la réticence et de l’anacolutheanacoluthe peuvent être signe d’une hésitationhésitation sous-jacente, due à une forte impulsion émotionémotionnelle :
(4a) réticence (aposiopèseréticenceaposiopèse, suspension) :
022 | [BUR :] | il y a eu une (.) grande rafle ; |
023 | et en particulier à : (--) à lacaune, | |
024 | il y a eu (-) plein de juifs qui ont été : (--) plus de cinq cents juifs d’ailleurs. |
De fait, les conditions fournies dans la définition de Morier citée ci-dessus (« une partie de ce qui reste à dire demeure inexprimé » sous l’effet d’un « sentiment violentviolent »7) sont clairement observables dans ce passage. À la fin de la séquence « qui ont été : (--) », on note les traits prosodiquesprosodie de l’allongement vocalique (« été : ») et de la pausepause moyenne, qui signalent la suspension de la narration ; l’expression de l’action verbale reste inachevée, l’évocation du fait de la déportationdéportation est laissé au soin de l’interlocuteur8.
(4b) L’anacolutheanacoluthe, rupture de construction syntaxique fréquente à l’oraloralité, est amorcée par une pausepause longue ((1.5) et (---)), après chacune des deux occurrences du phénomène dans le morceau (l. 025) qui enchaîne sur la relation de la rafle à Lacaune (l. 022–024) :
025 | [BUR :] | et (.) dont je (1,5) je ne sais pas une (---)plein d’enfants. |
Dans l’extrait suivant, dans lequel le témoin ALT relate son travail à la rampe d’AuschwitzAuschwitz-Birkenau, on remarque une suite d’énoncés qui semble scandée par une succession de pauses (l. 008, 009, 013). Tandis que la première partie (l. 008–0012) présente une disposition syntaxique plutôt linéaire et régulière (séquence de proposition principale – subordonnée relative – incise), la construction semble complètement se désintégrer à partir de « jusqu’au » (l. 013), le complément de la préposition restant inexprimé. Ici, l’hésitationhésitation devant l’énonciation de l’horreurhorreur a des répercussions distinctes sur les structures linguistiques. Le lieu de déposition des corps dont il est question n’est d’ailleurs mentionné à aucun moment de l’interview :
008 | ALT : | je déchargeais (--) les vêtements |
009 | et après (--) les les corps (.) qu’on mettait sur un chariot, | |
010 | et qu’on traînait, | |
011 | on était six à l(e) traî-, | |
012 | c’était très lourd, | |
013 | jusqu’au :: jusque de jusqu’au (.) devant devant les (.) on descendait pas ; | |
014 | hein, | |
015 | on déposait devant. |
Le dernier exemple me semble indiquer des pistes à poursuivre dans le travail sur ce corpus particulier. Il s’agit d’un extrait qui montre comment un silence, une pausepause (longue, l. 040) en tant que marque de la parole empêchée, peut annoncer ce qui paraît ineffableineffable dans un premier moment. Par la suite, ce qui n’est pas dit d’emblée est explicité de façon assez liée, comme s’il avait fallu une première tentative d’énonciation, achevée par une rupture dans le discours, pour ensuite, après des incises donnant des informations supplémentaires, déboucher dans le récit de ce qui a eu lieu. La survivantsurvivante conclut sur la remarque (l. 047) « mais je ne voudrais pas en dire plus ». On y aperçoit le processus (ou du moins la tentative) visant à assumer un passé voué à demeurer humainement inexplicable :
035 | [COH :] | je (me suis) fiancée, |
036 | avec un jeune homme qui était dentiste, | |
037 | et qui travaillait en savoie, | |
038 | sous son vrai nom ? | |
039 | mais qui :: n’a pas pu n’a pas pu rester là-bas, | |
040 | et :: qui a finalement a été (---) il était il est revenu sur lyon, | |
041 | sa famillefamille était partie en suisse, | |
042 | il n’a pas voulu la rejoindre, | |
043 | il a malheureusement été arrêté ; | |
044 | déporté, | |
045 | il n’est pas revenu de déportationdéportation. | |
046 | il avait eu une attitude très courageuse pendant la guerreguerre- | |
047 | mais je ne voudrais pas en dire plus. |
5. En guise de conclusion provisoire
En tant que conclusion provisoire, on arrive à une distinction de deux types fondamentaux de silences dans la parole :
1 les pauses internes (intra-discursives/intra-conversationnelles), à classifier selon des critères linguistiques et paralinguistiques, dont :le type général (prosodiqueprosodie) de la pausepause de réflexion et planification (qui, parfois, va de pair avec la pause de respiration) ;le type spécifique (discursif et pragmatique) ayant la fonction de marqueur de structuration du discours ;
2 les pauses externes, que l’on peut classifier comme sémantiques, puisqu’elles sont en rapport avec le contenu de la parole, et sont à interpréter en relation avec des faits relatés, comme le montrent spécifiquement les récits des rescapés, mais qui peuvent