La parole empêchée. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: études litteraires françaises
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823300779
Скачать книгу
corpus sur lequel se basent les analyses exemplaires présentées équivaut à 7h40 ca d’enregistrement. Il s’agit d’un échantillon de longs extraits choisis parmi un recueil de plus de cent entretiens avec des rescapés de la ShoahShoah, librement consultable en ligne. Ces extraits ont été remaniés aux fins d’une analyse linguistique microstructurelle et partiellement retranscrits selon la convention de transcription GAT1, largement utilisée en analyse conversationnelle2.

      3.1. Informateurs

      Dans la première phase de l’analyse du corpus PAR[ole]-SIL[ence], dont les résultats seront ensuite rapportés, des entretiens avec trois survivantsurvivants de la ShoahShoah ont été sélectionnés en raison de la fiabilité des transcriptions au regard de la documentation audiovisuelle. Comme les noms des témoins ont été publiés avec les conversations, il semble approprié de les indiquer ici accompagnés des sigles choisis pour identifier les locuteurs dans les extraits :

      ALT – Jacques Altmann,

      BUR – Berthe Burko,

      COH – Gaby Cohen1.

      3.2. Étiquetage du corpus

      L’étiquetage des éléments recherchés étant une procédure essentielle pour permettre l’analyse fréquentielle et distributionnelle des corpus, 1308 pauses suivies de phénomènes d’hésitationhésitation ont été étiquetées sur la base des translittérations disponibles en ligne1. Cela a permis d’identifier plusieurs types de procédures conversationnelles déclenchées par la pausepause :

       ruptures de construction syntaxique : aposiopèseréticenceaposiopèse (réticence, suspension), anacolutheanacoluthe

       redémarrageredémarrage après rupture syntaxique (souvent après ellipellipsese)

       reformulation.

      4. Analyse

      À partir d’une première approche globale, on peut repérer dans le corpus sélectionné des tendances générales concernant l’incidence des éléments mentionnés ci-dessus : on constate que dans 716 (soit 54,5 %) des cas d’insertion d’une pausepause, il y a rupture dans la parole autrement liée et que cette rupture correspond directement ou indirectement à un contexte descriptif d’événements qui renvoient à des expériences traumatiquestraumatiques, fort chargées d’émotionémotions (comme la déportationdéportation d’un proche, des situations de risque, de violenceviolence ou autres) ; une telle correspondance directe a été soulignée. Que cela touche plus qu’un cas sur deux fait penser à l’existence d’une raison qui dépasse un résultat purement fortuit.

      Tandis que les 592 cas de pausepause (ou 45 % du corpus) qui ne présentent pas de telles correspondances directes avec les faits racontés sont à attribuer, en partie, à d’autres facteurs, comme l’effort de formulation ou de planification du discours, le travail parfois pénible de la mémoiremémoire à la recherche des détails d’un souvenirsouvenir et, sans doute, l’âge avancé des témoins – dont la lucidité générale est pourtant remarquable –, le contexte des faits relatés, lui, vu l’atrocité et l’absurdité de nombreux détails, apparaît avec vraisemblancevraisemblance comme un facteur constant de ces silences, dans un discours par ailleurs très fluide1.

      À ces premiers résultats quantitatifs, révélateurs de tendances globales, fera suite une brève illustration qualitative des phénomènes d’hésitationhésitation qui ressortent de l’analyse microstructurelle de quelques témoitémoignages choisis.

      4.1. La pausepause dans l’oraloralité

      Les pauses sont définies comme « phonologische Grenzsignale » (« signaux de frontière phonologique ») par le phonologue structuraliste Trubetzkoy1. Elles ont fait l’objet de nombreux travaux de recherche2, dont quelques-uns les abordent avec une méthodologie expérimentale, et nous savons dès lors qu’elles ont des caractéristiques fonctionnelles très diverses. Les pauses servent notamment à

      a) permettre la respiration lors de l’articulation de la chaîne parlée et peuvent, en même temps, être des indices de structuration (aussi bien dans la lecture que dans la parole spontanée et semi-spontané, par quoi on entend la production verbale libre mais suivant des thèmes et/ou avec des interlocuteurs prédéterminés) ;

      b) marquer par leur alternance régulière la scansion rythmique de la parole ;

      c) indiquer des pauses de réflexion, notamment dans la planification du discours spontané et semi-spontané ;

      d) structurer le discours en unités de forme et sens qui ont une affinité avec les unités de la syntaxe (phrases, syntagmes), mais ne correspondent pas toujours exactement avec elles ;

      e) indiquer la frontière des paragraphes oraux (appelés aussi paraphones ou paratons par certains3) parallèlement au marquage graphique ou typographique des paragraphes dans les textes écrits, et c’est là une fonction importante. Grâce à des recherches expérimentales4, nous savons que les pauses séparant les paragraphes qui expriment une unité sémantique à l’intérieur d’un texte oraloralité, ont, de fait, une longueur bien plus élevée que celles qui séparent les énoncés5 à l’intérieur d’un paragraphe. Cela vaut pour les modalités de la lecture comme de la production verbale semi-spontanée et spontanée. Dans une analyse acoustique de productions semi-spontanées, on a pu mesurer en millisecondes la longueur des pauses silencieuses (les silences identifiés comme absenceabsence de signal acoustique) situées entre les paragraphes, et celle des pauses entre les énoncés internes aux paragraphes : celles qui séparaient les paragraphes étaient entre trois et cinq fois plus longues que celles qui séparaient les énoncés6.

      Par rapport à leurs conséquences pour la syntaxe, je différencie en outre deux typologies :

      f) les pauses régulières, qui n’impliquent pas de changement dans l’ordre de la phrase commencée (dont la majorité est à classer parmi les types indiqués auparavant) ;

      g) les pauses qui provoquent une rupture dans la syntaxe et ont l’effet d’une rupture de fluidité (angl. fluency) de la parole.

      C’est surtout ce dernier type qui est un indice de la réticeréticence, qui signale un empêchement de la parole dont les raisons peuvent être en rapport indirect ou immédiat avec le sujet du discours et, par suite, avec l’état affectif du locuteur. Ce type de pausepause survient souvent quand un locuteur hésite à s’exprimer sur un fait tragique survenu, une mémoiremémoire douloureusedouloureuse, un traumatraumatisme, etc. Tel est le type de pause qui est particulièrement fréquent dans les relations de l’expérience juive de la ShoahShoah. Comme le dit Barbara Pirlot, « la problématique de l’ineffabilité, le phénomène du témoitémoignage impossibleimpossible, le mythe du silence » ont souvent été invoqués à propos des témoignages de la Shoah, c’est l’indicibleindicible, « l’ineffableineffable, l’inénarrable », d’un côté, et l’inaudible et l’incompréhensible, de l’autre7.

      4.2. La typologie des phénomènes d’hésitationhésitation dans le corpus

      Dans la typologie des phénomènes qui relèvent de la parole entravée, empêchée, je reprends les types d’hésitationhésitation déjà identifiés par Maclay et Osgood1 : on les retrouve dans de nombreux exemples du corpus. Il s’agit de catégories utilisées en sciences sociales et en sciences du langage, dans des approches comme celles de l’analyse conversationnelle et de la linguistique interactionnelle, qui rendent visibles des mécanismes d’agencement du discours2.

      Dans les témoignages, on identifie notamment les phénomènes suivants3, transcrits selon les conventions GAT :

      Les signaux d’allongement phonétique (se substituant parfois aux pauses)