Les manifestations des acteurs du pôle de réception sont tellement puissantes qu’elles peuvent être tenues pour des injonctions, comme le montrent les deux exemples suivants.
Hugo
Et qu’est-ce que tu dois faire ?
Ivan
Attendre qu’il soit dix heures.
Hugo
Et après ?
Geste d’Ivan pour indiquer que Hugo ne doit pas l’interroger.
Rumeur qui vient de la pièce voisine. On dirait une dispute.
Ivan
Qu’est-ce qu’ils fabriquent les gars, là-dedans ?
GesteGeste qui imite celui de Ivan, plus haut, pour indiquer qu’on ne doit pas l’interroger
Hugo
Tu vois, ce qu’il y a d’embêtant, c’est que la conversation ne peut pas aller bien loin.6
On le voit, la dynamique de l’empêchement débouche sur une impossibilitéimpossibilité d’interaction.
Moron. Madame…
La Princesse. Retirez-vous d’ici, vous dis-je, ou je vous en ferai retirer d’une autre manière.
Moron. Ma foi, son cœur en a sa provision, et…
(Il rencontre un regard de la Princesse, qui l’oblige à se retirer.)7
On voit ici l’importance des dispositifs de présentation extrinsèque sous la forme des didascalies dans les textes de théâtrethéâtre. Ceux-ci permettent de construire une représentation de l’empêchement de l’interaction, qui pourra donc ensuite, le cas échéant, être à proprement parler mis en scène, ce qui impliquera une mutation de ces moyens de présentation extrinsèque des discours figuraux vers les systèmes sémiologiques adaptés à la scène théâtrale (à l’instar de ce qui est donné à voir dans les interactions verbales en face à face), notamment ceux de la communication non verbale.
Ces deux séries d’exemples diffèrent cependant sur un point, l’ampleur et la qualité de l’empêchement. En effet, dans certains, on peut constater que les locuteurs, Arnolphe, Mme Pernelle et Hugo ne cessent pas toute parole ; ils continuent à proférer certains énoncés. Il est cependant tout à fait justifié de parler de parole empêchée dans la mesure où, suite au conflitconflit entre les pressions contradictoirescontradiction, il y a blocage du discours entamé résultant d’un premier réseau de Pressions pour le dire, ce discours étant donc empêché, obligeant le locuteur à réorienter son discours. Dans les autres cas, Marcel comme Moron ne peuvent plus rien dire suite aux événements interactionnels survenus impromptu et leur parole est donc tarie. L’empêchement de parole est donc un phénomène gradué et diversifié.
3.2.2. Hétéro-imposés
Il est désormais temps de se tourner vers les hétéro-empêchements qui s’imposent d’eux-mêmes aux locuteurs, par la force, pourrait-on dire. Des circonstances extérieures au locuteur le contraignent à son corps défendant à interrompre son discours, bloquant toute profération. Dans ces conditions, vu l’absenceabsence de profération, il est difficile de trouver des facteurs de présentation intrinsèque. Les éléments permettant de comprendre la situation sont des marqueurs extrinsèques, à l’instar des exemples suivants1 :
Certes la représentation graphique de manifestations vocales permet de comprendre qu’il se passe quelque chose, mais ce sont en véritévérité les éléments cotextuels externes qui permettent de saisir l’empêchement du dire. Pour autant, si l’on peut penser en focalisant son attention sur ces deux vignettes qu’il s’agit d’une situation comparable, un élargissement focal vers les informations contextuelles permet de bien faire la différence entre les deux situations.
Ici le lecteur a bien affaire à une situation de parole empêchée. En effet, les manifestations mimo-gestuellesgestuelles du locuteur (notamment le mouvement de la jambe) témoignent des volontés communicationnelles, révélatrices d’un authentique projet préverbal issu d’un réseau de Pressions pour le dire. Mais à l’évidence les données contextuelles bloquent contre le gré du locuteur toute profération.
Dans le second cas, la situation est tout autre.
Ici encore ce sont les données contextuelles et cotextuelles (relatives au cotexte externe amont) qui permettent de comprendre que les productions vocales du personnage ne relèvent pas d’une volonté de discours reposant sur un projet préverbal, mais sont sans doute davantage l’expression d’une émotionémotion (douleurdouleur) brute, non linguistiquement formatée, et relevant davantage du cri,cri réaction physiologique sans intention ni volonté particulière.
Pour autant tous les empêchements imposés aux locuteurs ne sont pas aussi drastiques.
LE COMMISSAIRE. – Hein ? Quoi ?… un mot de plus, je vous fais empoigner ! A-t-on idée d’un ostrogoth pareil, qui vient semer la perturbationperturbation et faire le révolutionnaire jusque dans le commissariat !… Vous avez de la chance que je sois bon enfant. (Le monsieur veut parler.) En voilà assez, je vous dis ! Fichez-moi le camp, et que ça ne traîne pas, ou je vais vous faire voir de quel bois je me chauffe. Allez, allez !
Sortie hâtive et épouvantée du monsieur.2
La non-présence matérialisée sur la scène de la représentation d’un énoncé proféré impose tout naturellement le recours au discours didascalique pour signifier un tel empêchement. Mais comme vu ci-dessus l’empêchement peut être moins radical et venir couper non toute profération, mais la poursuite d’une énonciation entamée.
Hermione closed Voyages with Vampires and looked down at the top of Ron’s head.
‘Well, I don’t know what you expected, Ron, but you –’
‘Don’t tell me I deserved it,’ snapped Ron. 3
Le lecteur retrouve ici les deux marqueurs permettant de comprendre ce qui se passe : la présentation intrinsèque du discours de Hermione, incompletincomplet et pourvu d’un signe de ponctuation matérialisant dans le texte écrit la non poursuite de la parole, et dans le cotexte externe aval le recours à la didascaliedidascalie « snapped » permet de compléter la construction de la représentation d’une parole coupée.
Un procédé similaire est utilisé ci-dessous :
« […] Ah ! Diable ! À propos, saviez-vous qui est partisan enragé de Dreyfus ? Je vous le donne en mille. Mon neveu Robert ! Je vous dirai même qu’au Jockey, quand on a appris ces prouesses, cela a été une levée de boucliers, un véritable tollé. Comme on le présente dans huit jours…
– Évidemment, interrompit la duchesse, s’ils sont tous comme Gilbert qui a toujours soutenu qu’il fallait renvoyer tous les juifs à Jérusalem…
– Ah ! alors, le prince de Guermantes est