Denn nie sind Erfahrungen gründlicher Lügen gestraft worden als die strategischen durch den Stellungskrieg, die wirtschaftlichen durch die Inflation, die körperlichen durch die Materialschlacht, die sittlichen durch die Machthaber. Eine Generation, die noch mit der Pferdebahn zur Schule gefahren war, stand unter freiem Himmel in einer Landschaft, in der nichts unverändert geblieben war als die Wolken und unter ihnen, in einem Kraftfeld zerstörender Ströme und Explosionen, der winzige, gebrechliche Menschenkörper. 3
5. « Traverser un terribleterreur mutismemutisme » après la ShoahShoah
Après 1945, après la ShoahShoah et la guerreguerre de destruction massive menée par les nationaux-socialistes, le monde parut plus étrangerétranger que jamais. Le mutismemutisme et la parole empêchée devinrent alors les conditions de l’écriture d’après la catastrophecatastrophe. Il s’agit là d’une autre problématique langagière que celle du début du siècle dans la Wiener Moderne. Les dégâts physiques et psychiques ainsi que leur présence traumatiquetraumatisme, recouvraient une réalité face à laquelle le langage et l’écriture mêmes étaient remis en cause. La parole empêchée était devenue le point de départ d’une écriture dont l’un des impératifs était de maintenir présentes les blessures causées par l’œuvre dévastatrice des nazis.
Contrairement à la modernité classique des années 1900, l’objet même de cette problématique du langage était un objet réel et physique, historiquement obsédant. La parole, écrit Paul CelanCelan (Paul) dans son discours de Brême (1958), devait « nun hindurchgehen durch ihre eigenen Antwortlosigkeiten, hindurchgehen durch furchtbares Verstummen, hindurchgehen durch die tausend Finsternisse todbringender Rede. Sie ging hindurch und gab keine Worte her für das, was geschah; aber sie ging durch dieses Geschehen. Ging hindurch und durfte wieder zutage treten, „angereichert“ von all dem »1 (« à présent traverser ses propres absencesabsence de réponse, traverser un terribleterreur mutismemutisme, traverser les mille ténèbres de paroles porteuses de mortmort. Elle les traversa et ne céda aucun mot à ce qui arriva ; mais cela même qui arrivait, elle le traversa. Le traversa et put revenir au jour, “enrichie” de tout cela » 2).
Sans pour autant pouvoir nommer les faits, le langage en garde souvenance. Cela ne signifie pas parler « de » ce qui est arrivé, mais la parole empêchée, marquée par ce qui s’est passé, reste pour ainsi dire inscrite dans ce qui est exprimé. En suite de quoi, l’espace du souvenirsouvenir inconscient se voit accordé l’accès à la parole pour en disposer. La perturbationperturbation – qui implique une relation critique à l’idée d’un discours exempt de dérèglements après 1945 – devient une forme apte à libérer la mémoiremémoire, et elle donne à entendre que cette question ne se laisse pas appréhender par les moyens de l’art et ne saurait être réglée de façon « discursive ».
Ingeborg BachmannBachmann (Ingeborg) avait déjà appelé de ses vœux le retour de la mémoiremémoire traumatiquetraumatisme dans la littérature d’après-guerreguerre, au début des années cinquante. Dans une recension du récit de BöllBöll (Heinrich), Der Zug war pünktlich (Le train était à l’heure), elle caractérise la différence entre la prose de l’auteur et une littérature de guerre dépourvue de mémoire : « unversehens, da und dort, etwas in sein Buch einfällt, das Nichtbeschworene, das Nichtgerufene » (« ça et là, quelque chose dans ce livre fait irruption, quelque chose que l’on n’a pas évoqué, que l’on n’a pas appelé »)3. Elle insiste sur la perturbationperturbation significative du discours courant, sur son interruption et son empêchement par l’intrusion d’une parole qui, au premier abord, se refuse au langage. Dans le poème « Wahrlich » (« En véritévérité »), dédié à Anna AkhmatovaAkhmatova (Anna), Bachmann associe à la question de la vérité de l’écriture ce refus de continuer et d’écrire comme si de rien n’était :
Wem s ein Wort nie verschlagen hat,
und ich sage es euch,
wer bloß sich zu helfen weiß
und mit den Worten –
dem ist nicht zu helfen.
Über den kurzen Weg nicht
und nicht über den langen.
Einen einzigen Satz haltbar zu machen,
auszuhalten in dem Bimbam von Worten.
Es schreibt diesen Satz keiner,
der nicht unterschreibt. 4
6. « S’il parlait de ce / temps, il / devrait / bégayerbégaiement seulement, bégayer »
Dans les vers marquants de GoetheGoethe (Johann Wolfgang) et de HölderlinHölderlin (Friedrich) dont je suis parti, la parole empêchée désigne la position précaire de l’écrivain, pris entre parole et silence. En 1962, Paul CelanCelan (Paul) a écrit justement un poème sur Hölderlin qui porte le titre « Tübingen, Jänner » (« Tübingen, Janvier ») et qui revient sur une visite du poète dans la ville. Le mois de janvier est pour Paul Celan un mois porteur de plusieurs significations. « Am 20. Jänner ging LenzLenz (Siegfried) durchs Gebirge » (« Le 20 janvier, Lenz s’en alla par la montagne ») : ainsi commence la nouvelle de Georg BüchnerBüchner (Georg) intitulée Lenz, une phrase à laquelle Paul Celan fera référence lorsqu’il se verra attribuer le prix Georg Büchner. Le poète déclare alors que « jedem Gedicht sein “20. Jänner” eingeschrieben bleibt » (« tout poème garde inscrit en lui-même son “20 janvier” »)1. Le 20 janvier 1942 est la date à laquelle fut décidée, à Wannsee, près de Berlin, la mise en œuvre de l’extermination des juifs.
« Tübingen », la ville dans laquelle HölderlinHölderlin (Friedrich) fit ses études et où il passa, dans une foliefolie douce, la plus grande partie de sa vie, fournit au poète contemporain les imagesimage extérieures et intérieures de l’écriture d’après la ShoahShoah. Le poème qui évoque, pour aujourd’hui, la possibilité d’une parole prophétique telle que celle de Hölderlin, se termine par un bredouillement, sur deux mots incompréhensibles (« Pallaksch. Pallaksch. »), qui auraient été prononcés par Hölderlin malademaladie :
Käme,
käme ein Mensch,
käme ein Mensch zur Welt, heute, mit
dem Lichtbart der
patriarcat Patriarchen: er dürfte,
spräch er von dieser
Zeit, er
dürfte