Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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Ces paysans, voyant un

       Prussien perdu, un Prussien sans défense, le tueraient

       comme un chien errant! Ils le massacreraient avec leurs

       fourches, leurs pioches, leurs faux, leurs pelles! Ils en

       feraient une bouillie, une pâtée, avec l'acharnement des

       [20] vaincus exaspérés.

       S'il rencontrait des francs-tireurs? Ces francs-tireurs,

       des enragés sans loi ni discipline, le fusilleraient pour

       s'amuser, pour passer une heure, histoire de rire en voyant

       sa tête. Et il se croyait déjà appuyé contre un mur en

       [25] face de douze canons de fusils, dont les petits trous ronds

       et noirs semblaient le regarder.

       S'il rencontrait l'armée française elle-même? Les

       hommes d'avant-garde le prendraient pour un éclaireur,

       pour quelque hardi et malin troupier parti seul en reconnaissance,

       [30] et ils lui tireraient dessus. Et il entendait déjà

       les détonations irrégulières des soldats couchés dans les

       broussailles, tandis que lui, debout au milieu d'un champ,

      affaissait, troué comme une écumoire par les balles qu'il

       sentait entrer dans sa chair.

       Il se rassit, désespéré. Sa situation lui paraissait sans

       issue.

       [5] La nuit était tout à fait venue, la nuit muette et noire.

       Il ne bougeait plus. Tressaillant à tous les bruits inconnus

       et légers qui passent dans les ténèbres. Un lapin, tapant

       du cul au bord d'un terrier, faillit faire s'enfuir Walter

       Schnaffs. Les cris des chouettes lui déchiraient l'âme, le

       [10] traversant de peurs soudaines, douloureuses comme des

       blessures. Il écarquillait ses gros yeux pour tâcher de

       voir dans l'ombre; et il s'imaginait à tout moment entendre

       marcher près de lui.

       Après d'interminables heures et des angoisses de damné,

       [15] il aperçut, à travers son plafond de branchages, le ciel qui

       devenait clair. Alors, un soulagement immense le pénétra;

       ses membres se détendirent, reposés soudain; son coeur

       s'apaisa; ses yeux se fermèrent. Il s'endormit.

       Quand il se réveilla, le soleil lui parut arrivé à peu près

       [20] au milieu du ciel; il devait être midi. Aucun bruit ne

       troublait la paix morne des champs; et Walter Schnaffs

       s'aperçut qu'il était atteint d'une faim aiguë.

       Il bâillait, la bouche humide à la pensée du saucisson

       des soldats; et son estomac lui faisait mal.

       [25] Il se leva, fit quelques pas, sentit que ses jambes étaient

       faibles, et se rassit pour réfléchir. Pendant deux ou trois

       heures encore, il établit le pour et le contre, changeant

       à tout moment de résolution, combattu, malheureux,

       tiraillé par les raisons les plus contraires.

       [30] Une idée lui parut enfin logique et pratique, c'était de

       guetter le passage d'un villageois seul, sans armes, et sans

       outils de travail dangereux, de courir au-devant de lui et

      

      de se remettre en ses mains en lui faisant bien comprendre

       qu'il se rendait.

       Alors il ôta son casque, dont la pointe le pouvait trahir,

       et il sortit sa tête au bord de son trou, avec des précautions

       [5] infinies.

       Aucun être isolé ne se montrait à l'horizon. Là-bas,

       à droite, un petit village envoyait au ciel la fumée de

       ses toits, la fumée de ses cuisines! Là-bas, à gauche; il

       apercevait, au bout des arbres d'une avenue, un grand

       [10] château flanqué de tourelles.

       Il attendit jusqu'au soir, souffrant affreusement, ne

       voyant rien que des vols de corbeaux, n'entendant rien

       que les plaintes sourdes de ses entrailles.

       Et la nuit encore tomba sur lui.

       [15] Il s'allongea au fond de sa retraite et il s'endormit d'un

       sommeil fiévreux, hanté de cauchemars, d'un sommeil

       d'homme affamé.

       L'aurore se leva de nouveau sur sa tête. Il se remit en

       observation. Mais la campagne restait vide comme la

       [20] veille; et une peur nouvelle entrait dans l'esprit de Walter

       Schnaffs, la peur de mourir de faim! Il se voyait étendu

       au fond de son trou, sur le dos, les deux yeux fermés. Puis

       des bêtes, des petites bêtes de toute sorte s'approchaient

       de son cadavre et se mettaient à le manger, l'attaquant

       [25] partout à la fois, se glissant sous ses vêtements pour

       mordre sa peau froide. Et un grand corbeau lui piquait

       les yeux de son bec effilé.

       Alors, il devint fou, s'imaginant qu'il allait s'évanouir

       de faiblesse et ne plus pouvoir marcher. Et déjà, il

       [30] s'apprêtait à s'élancer vers le village, résolu à tout oser, à

       tout braver, quand il aperçut trois paysans qui s'en allaient

       aux champs avec leurs fourches sur l'épaule, et il se replongea

       dans sa cachette.

      

      Mais, dès que le soir obscurcit la plaine, il sortit lentement

       du fossé, et se mit en route, courbé, craintif, le coeur

       battant, vers le château lointain, préférant entrer

       là-dedans plutôt qu'au village qui lui semblait redoutable

       [5] comme une tanière pleine de tigres.

       Les fenêtres d'en bas brillaient. Une d'elles était même

       ouverte; et une forte odeur de viande cuite s'en échappait,

       une odeur qui pénétra brusquement dans le nez et jusqu'au

       fond du ventre de Walter Schnaffs, qui le crispa, le fit

       [10] haleter, l'attirant irrésistiblement, lui jetant au coeur une

       audace désespérée.

       Et brusquement, sans réfléchir, il apparut, casqué, dans

       le cadre de la fenêtre.

       Huit domestiques dînaient autour d'une grande table.

       [15] Mais soudain une bonne demeura béante, laissant tomber

       son verre,