Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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ne pouvait oublier, elle ne pouvait attendre. Que ferait-elle?

       [20] Elle ne dormait plus la nuit; elle n'avait plus ni

       repos ni apaisement; elle cherchait, obstinée. La chienne,

       à ses pieds, sommeillait, et, parfois, levant la tête, hurlait

       au loin. Depuis que son maitre n'était plus là, elle hurlait

       souvent ainsi, comme si elle l'eût appelé, comme si

       [25] son âme de bête, inconsolable, eût aussi gardé le souvenir

       que rien n'efface.

       Or, une nuit, comme Sémillante se remettait à gémir, la

       mère, tout à coup, eut une idée, une idée de sauvage vindicatif

       et féroce. Elle la médita jusqu'au matin; puis,

       [30] levée dès les approches du jour, elle se rendit à l'église.

       Elle pria, prosternée sur le pavé, abattue devant Dieu, le

      suppliant de l'aider, de la soutenir, de donner à son pauvre

       corps usé la force qu'il lui fallait pour venger le fils.

       Puis elle rentra. Elle avait dans sa cour un ancien

       baril défoncé, qui recueillait l'eau des gouttières; elle le

       [5] renversa, le vida, l'assujettit contre le sol avec des pieux

       et des pierres; puis elle enchaîna Sémillante à cette niche,

       et elle rentra.

       Elle marchait maintenant, sans repos, dans sa chambre,

       l'oeil fixé toujours sur la côte de Sardaigne. Il était

       [10] là-bas, l'assassin.

       La chienne, tout le jour et toute la nuit, hurla. La

       vieille, au matin, lui porta de l'eau dans une jatte; mais

       rien de plus: pas de soupe, pas de pain.

       La journée encore s'écoula. Sémillante, exténuée, dormait.

       [15] Le lendemain, elle avait les yeux luisants, le poil

       hérissé, et elle tirait éperdument sur sa chaîne.

       La vieille ne lui donna encore rien à manger. La bête,

       devenue furieuse, aboyait d'une voix rauque. La nuit

       encore se passa.

       [20] Alors, au jour levé, la mère Saverini alla chez le voisin,

       prier qu'on lui donnât deux bottes de paille. Elle prit de

       vieilles hardes qu'avait portées autrefois son mari, et les

       bourra de fourrage, pour simuler un corps humain.

       Ayant piqué un bâton dans le sol, devant la niche de

       [25] Sémillante, elle noua dessus ce mannequin, qui semblait

       ainsi se tenir debout. Puis elle figura la tête au moyen

       d'un paquet de vieux linge.

       La chienne, surprise, regardait cet homme de paille, et

       se taisait bien que dévorée de faim.

       [30] Alors la vieille alla acheter chez le charcutier un long

       morceau de boudin noir. Rentrée chez elle, elle alluma un

       feu de bois dans sa cour, auprès de la niche, et fit griller

      

      son boudin. Sémillante, affolée, bondissait, écumait, les

       yeux fixés sur le gril, dont le fumet lui entrait au ventre.

       Puis la mère fit de cette bouillie fumante une cravate

       à l'homme de paille. Elle la lui ficela longtemps autour

       [5] du cou, comme pour la lui entrer dedans. Quand ce fu

       fini, elle déchaîna la chienne.

       D'un saut formidable, la bête atteignit la gorge du mannequin,

       et, les pattes sur les épaules, se mit à la déchirer.

       Elle retombait, un morceau de sa proie à la gueule, puis

       [10] s'élançait de nouveau, enfonçait ses crocs dans les cordes,

       arrachait quelques parcelles de nourriture, retombait encore,

       et rebondissait, acharnée. Elle enlevait le visage

       par grands coups de dents, mettait en lambeaux le col

       entier.

       [15] La vieille, immobile et muette, regardait, l'oeil allumé.

       Puis elle renchaîna sa bête, la fit encore jeûner deux jours,

       et recommença cet étrange exercice.

       Pendant trois mois, elle l'habitua à cette sorte de lutte,

       à ce repas conquis à coups de crocs. Elle ne l'enchaînait

       [20]plus maintenant, mais elle la lançait d'un geste sur le

       mannequin.

       Elle lui avait appris à le déchirer, à le dévorer, sans

       même qu'aucune nourriture fût cachée en sa gorge. Elle

       lui donnait ensuite, comme récompense, le boudin grillé

       [25]pour elle.

       Dès qu'elle apercevait l'homme, Sémillante frémissait,

       puis tournait les yeux vers sa maîtresse, qui lui criait:

       «Va!» d'une voix sifflante, en levant le doigt.

       Quand elle jugea le temps venu, la mère Saverini alla

       [30] se confesser et communia un dimanche matin, avec une

       ferveur extatique, puis, ayant revêtu des habits de mâle,

      semblable à un vieux pauvre déguenillé, elle fit marché

       avec un pêcheur sarde, qui la conduisit, accompagnée de

       sa chienne, de l'autre côté du détroit.

       Elle avait, dans un sac de toile, un grand morceau de

       [5] boudin. Sémillante jeûnait depuis deux jours. La vieille

       femme, à tout moment, lui faisait sentir la nourriture

       odorante, et l'excitait.

       Elles entrèrent dans Longosardo. La Corse allait en

       boitillant. Elle se présenta chez un boulanger et demanda

       [10] la demeure de Nicolas Ravolati. Il avait repris son ancien

       métier, celui de menuisier. Il travaillait seul au fond de

       sa boutique.

       La vieille poussa la porte et l'appela:

       --Hé! Nicolas!

       [15] Il se tourna; alors, lâchant sa chienne, elle cria:

       --Va, va, dévore, dévore!

       L'animal, affolé, s'élança, saisit la gorge. L'homme

       étendit les bras, l'étreignit, roula par terre. Pendant

       quelques secondes, il se tordit, battant le sol de ses pieds;

       [10] puis il demeura immobile, pendant que Sémillante lui

       fouillait le cou, qu'elle arrachait par lambeaux. Deux

       voisins, assis sur leur porte, se rappelèrent parfaitement

       avoir vu sortir un vieux