Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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[25] brun que lui donnait son maître.

       La vieille, le soir, était rentrée chez elle. Elle dormit

       bien, cette nuit-là.

      

       L'AVENTURE DE WALTER SCHNAFFS

      A Robert Pinchon Depuis son entrée en France avec l'armée d'invasion, Walter Schnaffs se jugeait le plus malheureux des hommes. Il était gros, marchait avec peine, soufflait beaucoup et souffrait affreusement des pieds qu'il avait fort plats et [5] fort gras. Il était en outre pacifique et bienveillant, nullement magnanime ou sanguinaire, père de quatre enfants qu'il adorait et marié avec une jeune femme blonde, dont il regrettait désespérément chaque soir les tendresses, les petits soins et les baisers. Il aimait se lever tard et se [10] coucher tôt, manger lentement de bonnes choses et boire de la bière dans les brasseries. Il songeait en outre que tout ce qui est doux dans l'existence disparaît avec la vie; et il gardait au coeur une haine épouvantable, instinctive et raisonnée en même temps, pour les canons, les fusils, les revolvers et les sabres, mais surtout pour les baïonnettes, [15] se sentant incapable de manoeuvrer assez vivement cette arme rapide pour défendre son gros ventre. Et, quand il se couchait sur la terre, la nuit venue, roulé dans son manteau à côté des camarades qui ronflaient, il [20] pensait longuement aux siens laissés là-bas et aux dangers semés sur sa route: S'il était tué, que deviendraient les petits? Qui donc les nourrirait et les élèverait? A l'heure même, ils n'étaient pas riches, malgré les dettes qu'il avait contractées en partant pour leur laisser quelque [25] argent. Et Walter Schnaffs pleurait quelquefois. Au commencement des batailles il se sentait dans les

      jambes de telles faiblesses qu'il se serait laissé tomber, s'il

       n'avait songé que toute l'armée lui passerait sur le corps.

       Le sifflement des balles hérissait le poil sur sa peau.

       Depuis des mois il vivait ainsi dans la terreur et dans

       [5] l'angoisse.

       Son corps d'armée s'avançait vers la Normandie, et

       il fut un jour envoyé en reconnaissance avec un faible

       détachement qui devait simplement explorer une partie du

       pays et se replier ensuite. Tout semblait calme dans la

       [10] campagne; rien n'indiquait une résistance préparée.

       Or, les Prussiens descendaient avec tranquillité dans

       une petite vallée que coupaient des ravins profonds,

       quand une fusillade violente les arrêta net, jetant bas une

       vingtaine des leurs; et une troupe de francs-tireurs,

       [15] sortant brusquement d'un petit bois grand comme la main,

       s'élança en avant, la baïonnette au fusil.

       Walter Schnaffs demeura d'abord immobile, tellement

       surpris et éperdu qu'il ne pensait même pas à fuir. Puis

       un désir fou de détaler le saisit; mais il songea aussitôt

       [20] qu'il courait comme une tortue en comparaison des maigres

       Français qui arrivaient en bondissant comme un

       troupeau de chèvres. Alors, apercevant à six pas devant

       lui un large fossé plein de broussailles couvertes de feuilles

       sèches, il y sauta à pieds joints, sans songer même à la

       [25] profondeur, comme on saute d'un pont dans une rivière.

       Il passa, à la façon d'une flèche, à travers une couche

       épaisse de lianes et de ronces aiguës qui lui déchirèrent la

       face et les mains, et il tomba lourdement assis sur un lit

       de pierres.

       [30] Levant aussitôt les yeux, il vit le ciel par le trou qu'il

       avait fait. Ce trou révélateur le pouvait dénoncer, et il

       se traîna avec précaution, à quatre pattes, au fond de

      cette ornière, sous le toit de branchages enlacés, allant le

       plus vite possible, en s'éloignant du lieu de combat.

       Puis il s'arrêta et s'assit de nouveau, tapi comme un

       lièvre au milieu des hautes herbes sèches.

       Il entendit pendant quelque temps encore des détonations,

       [5] des cris et des plaintes. Puis les clameurs de la

       lutte s'affaiblirent, cessèrent. Tout redevint muet et

       calme.

       Soudain quelque chose remua: contre lui. Il eut un

       [10] sursaut épouvantable. C'était un petit oiseau qui, s'étant

       posé sur une branche, agitait des feuilles mortes. Pendant

       près d'une heure, le coeur de Walter Schnaffs en battit à

       grands coups pressés.

       La nuit venait, emplissant d'ombre le ravin. Et le

       [15] soldat se mit à songer. Qu'allait-il faire? Qu'allait-il

       devenir? Rejoindre son armée?... Mais comment?

       Mais par où? Et il lui faudrait recommencer l'horrible

       vie d'angoisses, d'épouvantes, de fatigues et de souffrances

       qu'il menait depuis le commencement de la guerre! Non!

       [20] Il ne se sentait plus ce courage. Il n'aurait plus l'énergie

       qu'il fallait pour supporter les marches et affronter les

       dangers de toutes les minutes.

       Mais que faire? Il ne pouvait rester dans ce ravin et

       s'y cacher jusqu'à la fin des hostilités. Non, certes. S'il

       [25] n'avait pas fallu manger, cette perspective ne l'aurait

       pas trop atterré; mais il fallait manger, manger tous les

       jours.

       Et il se trouvait ainsi tout seul, en armes, en uniforme,

       sur le territoire ennemi, loin de ceux qui le pouvaient

       [30] défendre. Des frissons lui couraient sur la peau.

       Soudain il pensa: «Si seulement j'étais prisonnier!» Et

       son coeur frémit de désir, d'un désir violent, immodéré,

      d'être prisonnier des Français. Prisonnier! Il serait

       sauvé, nourri, logé, à l'abri des balles et des sabres, sans

       appréhension possible, dans une bonne prison bien gardée.

       Prisonnier! Quel rêve!

       [5] Et sa résolution fut prise immédiatement:

       --Je vais me constituer prisonnier.

       Il se leva, résolu à exécuter ce projet sans tarder d'une

       minute. Mais il demeura immobile, assailli soudain par

       des réflexions fâcheuses et par des terreurs nouvelles.

       [10] Où allait-il se constituer prisonnier? Comment? De

       quel côté? Et des images affreuses, des images de mort,

       se précipitèrent dans son âme.

       Il allait courir des dangers terribles en s'aventurant

       seul, avec