Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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Quelle poche! un gouffre qui commençait à la hanche et

       finissait aux chevilles. Ayant retenu un terme de troupier,

       [10] il l'appelait sa «profonde,» et c'était sa profonde, en effet!

       Donc il avait détaché l'or des uniformes prussiens, le

       cuivre des casques, les boutons, etc., et jeté le tout dans

       sa «profonde» qui était pleine à déborder.

       Chaque jour, il précipitait là-dedans tout objet luisant

       [15] qui lui tombait sous les yeux, morceaux d'étain ou pièces

       d'argent, ce qui lui donnait parfois une tournure infiniment

       drôle.

       Il comptait remporter cela au pays des autruches, dont

       il semblait bien frère, ce fils de roi, torturé par le besoin

       [20] d'engloutir les corps brillants. S'il n'avait pas eu sa

       profonde, qu'aurait-il fait? Il les aurait sans doute

       avalés.

       Chaque matin sa poche était vide. Il avait donc un

       magasin général où s'entassaient ses richesses. Mais où?

       [25] Je ne l'ai pu découvrir.

       Le général, prévenu du haut fait de Tombouctou, fit

       bien vite enterrer les corps demeurés au village voisin,

       pour qu'on ne découvrit point qu'ils avaient été décapités.

       Les Prussiens y revinrent le lendemain. Le maire et sept

       [30] habitants notables furent fusillés sur-le-champ, par

       représailles, comme ayant dénoncé la présence des Allemands.

      L'hiver était venu. Nous étions harassés et désespérés.

       On se battait maintenant tous les jours. Les hommes

       affamés ne marchaient plus. Seuls les huit turcos (trois

       avaient été tués) demeuraient gras et luisants, et vigoureux,

       [5] toujours prêts à se battre. Tombouctou engraissait

       même. Il me dit un jour:

       --Toi beaucoup faim, moi bon viande.

       Et il m'apporta en effet un excellent filet. Mais de

       quoi? Nous n'avions plus ni boeufs, ni moutons, ni chèvres,

       [10] ni ânes, ni porcs. Il était impossible de se procurer

       du cheval. Je réfléchis à tout cela après avoir dévoré

       ma viande. Alors une pensée horrible me vint. Ces

       nègres étaient nés bien près du pays où l'on mange des

       hommes! Et chaque jour tant de soldats tombaient

       [15] autour de la ville! J'interrogeai Tombouctou. Il ne voulut

       pas répondre. Je n'insistai point, mais je refusai désormais

       ses présents.

       Il m'adorait. Une nuit, la neige nous surprit aux

       avant-postes. Nous étions assis par terre. Je regardais

       [20] avec pitié les pauvres nègres grelottant sous cette

       poussière blanche et glacée. Comme j'avais grand froid, je

       me mis à tousser. Je sentis aussitôt quelque chose s'abattre

       sur moi, comme une grande et chaude couverture.

       C'était le manteau de Tombouctou qu'il me jetait sur les

       [25] épaules.

       Je me levai et, lui rendant son vêtement:

       --Garde ça, mon garçon; tu en as plus besoin que moi.

       Il répondit:

       --Non, mon lieutenant, pou toi, moi pas besoin, moi

       [30] chaud, chaud.

       Et il me contemplait avec des yeux suppliants.

       Je repris:

      --Allons, obéis, garde ton manteau, je le veux.

       Le nègre alors se leva, tira son sabre qu'il savait rendre

       coupant comme une faulx, et tenant de l'autre main sa

       large capote que je refusais:

       [5]--Si toi pas gadé manteau, moi coupé; pésonne

       manteau.

       Il l'aurait fait. Je cédai.

       Huit jours plus tard, nous avions capitulé. Quelques-uns

       d'entre nous avaient pu s'enfuir. Les autres allaient

       [10] sortir de la ville et se rendre aux vainqueurs.

       Je me dirigeais vers la place d'Armes où nous devions

       nous réunir quand je demeurai stupide d'étonnement devant

       un nègre géant vêtu de coutil blanc et coiffé d'un

       chapeau de paille. C'était Tombouctou. Il semblait

       [15] radieux et se promenait, les mains dans ses poches, devant

       une petite boutique où l'on voyait en montre deux

       assiettes et deux verres.

       Je lui dis:

       --Qu'est-ce que tu fais?

       [20] Il répondit:

       --Moi pas pati, moi bon cuisiné, moi fait mangé colonel,

       Algéie; moi mangé Pussiens, beaucoup volé, beaucoup.

       Il gelait à dix degrés. Je grelottais devant ce nègre en

       coutil. Alors il me prit par le bras et me fit entrer.

       [25] J'aperçus une enseigne démesurée qu'il allait pendre devant

       sa porte sitôt que nous serions partis, car il avait quelque

       pudeur.

       Et je lus, tracé par la main de quelque complice, cet

       appel:

      CUISINE MILITAIRE DE M. TOMBOUCTOU

       ANCIEN CUISINER DE S. M. L'EMPEREUR.

       Artiste de Paris.--Prix modérés. Malgré le désespoir qui me rongeait le coeur, je ne pus [5]m'empêcher de rire, et je laissai mon nègre à son nouveau commerce. Cela ne valait-il pas mieux que de le faire emmener prisonnier? Vous venez de voir qu'il a réussi, le gaillard. [10] Bézières, aujourd'hui, appartient à l'Allemagne. Le restaurant Tombouctou est un commencement de Revanche.

       EN MER

      A Henry Céard

       On lisait dernièrement dans les journaux les lignes

       suivantes:

       Boulogne-sur-Mer, 22 janvier.--On nous écrit:

       «Un affreux malheur vient de jeter la consternation

       [5] parmi notre population maritime déjà si éprouvée depuis

       deux années. Le bateau de pêche commandé par le

       patron Javel, entrant dans le port, a été jeté à l'Ouest et

       est venu se briser sur les roches du brise-lames de la jetée.

       «Malgré les efforts du bateau de sauvetage et des lignes