Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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      vraiment semblait se mêler quelque chose de fantastique. Il

       a fallu l'abandonner d'ailleurs, faute de moyens de

       l'éclaircir.

       Plusieurs femmes prononcèrent en même temps, si vite

       [5] que leurs voix n'en firent qu'une:

       --Oh! dites-nous cela.

       M. Bermutier sourit gravement, comme doit sourire un

       juge d'instruction. Il reprit:

       --N'allez pas croire, au moins, que j'aie pu, même un

       [10] instant, supposer en cette aventure quelque chose de

       surhumain. Je ne crois qu'aux causes normales. Mais

       si, au lieu d'employer le mot «surnaturel» pour exprimer

       ce que nous ne comprenons pas, nous nous servions simplement

       du mot «inexplicable,» cela vaudrait beaucoup mieux.

       [15] En tout cas, dans l'affaire que je vais vous dire, ce sont

       surtout les circonstances environnantes, les circonstances

       préparatoires qui m'ont ému. Enfin, voici les faits:

       J'étais alors juge d'instruction à Ajaccio, une petite

       ville blanche, couchée au bord d'un admirable golfe

       [20] qu'entourent partout de hautes montagnes.

       Ce que j'avais surtout à poursuivre là-bas, c'étaient les

       affaires de vendetta. Il y en a de superbes, de dramatiques

       au possible, de féroces, d'héroïques. Nous retrouvons là

       les plus beaux sujets de vengeance qu'on puisse rêver, les

       [25] haines séculaires, apaisées un moment, jamais éteintes,

       les ruses abominables, les assassinats devenant des massacres

       et presque des actions glorieuses. Depuis deux

       ans, je n'entendais parler que du prix du sang, que de ce

       terrible préjugé corse qui force à venger toute injure sur

       la personne qui l'a faite, sur ses descendants et ses proches.

       J'avais vu égorger des vieillards, des enfants, des cousins,

       j'avais la tête pleine de ces histoires.

      

      Or, j'appris un jour qu'un Anglais venait de louer pour

       plusieurs années une petite villa au fond du golfe. Il

       avait amené avec lui un domestique français, pris à Marseille

       en passant.

       [5] Bientôt tout le monde s'occupa de ce personnage singulier,

       qui vivait seul dans sa demeure, ne sortant que pour

       chasser et pour pêcher. Il ne parlait à personne, ne venait

       jamais à la ville, et, chaque matin, s'exerçait pendant une

       heure ou deux, à tirer au pistolet et à la carabine.

       [10] Des légendes se firent autour de lui. On prétendit que

       c'était un haut personnage fuyant sa patrie pour des

       raisons politiques; puis on affirma qu'il se cachait après

       avoir commis un crime épouvantable. On citait même

       des circonstances particulièrement horribles.

       [15] Je voulus, en ma qualité de juge d'instruction, prendre

       quelques renseignements sur cet homme; mais il me fut

       impossible de rien apprendre. Il se faisait appeler sir

       John Rowell.

       Je me contentai donc de le surveiller de près; mais on

       [20] ne me signalait, en réalité, rien de suspect à son égard.

       Cependant, comme les rumeurs sur son compte continuaient,

       grossissaient, devenaient générales, je résolus

       d'essayer de voir moi-même cet étranger, et je me mis à

       chasser régulièrement dans les environs de sa propriété.

       [25] J'attendis longtemps une occasion. Elle se présenta

       enfin sous la forme d'une perdrix que je tirai et que je tuai

       devant le nez de l'Anglais. Mon chien me la rapporta;

       mais, prenant aussitôt le gibier, j'allai m'excuser de mon

       inconvenance et prier sir John Rowell d'accepter l'oiseau

       [30] mort.

       C'était un grand homme à cheveux rouges, à barbe

       rouge, très haut, très large, une sorte d'hercule placide et

      

      poli. Il n'avait rien de la raideur dite britannique et il

       me remercia vivement de ma délicatesse en un français

       accentué d' outre-Manche. Au bout d'un mois, nous

       avions causé ensemble cinq ou six fois.

       [5] Un soir enfin, comme je passais devant sa porte, je

       l'aperçus qui fumait sa pipe, à cheval sur une chaise dans

       son jardin. Je le saluai, et il m'invita à entrer pour boire

       un verre de bière. Je ne me le fis pas répéter.

       Il me reçut avec toute la méticuleuse courtoisie anglaise,

       [10] parla avec éloge de la France, de la Corse, déclara qu'il

       aimait beaucoup cette pays, et cette rivage.

       Alors je lui posai, avec de grandes précautions et sous la

       forme d'un intérêt très vif, quelques questions sur sa vie,

       sur ses projets. Il répondit sans embarras, me raconta

       [15] qu'il avait beaucoup voyagé, en Afrique, dans les Indes,

       en Amérique. Il ajouta en riant:

       --J'avé eu bôcoup d'aventures, oh! yes.

       Puis je me remis à parler chasse, et il me donna des

       détails les plus curieux sur la chasse à l'hippopotame, au

       [20] tigre, à l'éléphant et même la chasse au gorille.

       Je dis:

       --Tous ces animaux sont redoutables.

       Il sourit:

       --Oh! nô, le plus mauvais c'été l'homme.

       [25] Il se mit à rire tout à fait, d'un bon rire de gros Anglais

       content:

       --J'avé beaucoup chassé l'homme aussi.

       Puis il parla d'armes, et il m'offrit d'entrer chez lui

       pour me montrer des fusils de divers systèmes.

       [30] Son salon était tendu de noir, de soie noire brodée d'or.

       De grandes fleurs jaunes couraient sur l'étoffe sombre,

       brillaient comme du feu.

      Il annonça:

       --C'été une drap japonaise.

       Mais, au milieu du plus large panneau,