Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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[15] Le lendemain, on me l'apporta, trouvé dans le cimetière,

       sur la tombe de sir John Rowell, enterré là; car on

       n'avait pu découvrir sa famille. L'index manquait.

       Voilà, mesdames, mon histoire.. Je ne sais rien de plus.

       Les femmes, éperdues, étaient pâles, frissonnantes.

       [20] Une d'elles s'écria:

       --Mais ce n'est pas un dénouement cela, ni une explication!

       Nous n'allons pas dormir si vous ne nous dites

       pas ce qui s'était passé, selon vous.

       Le magistrat sourit avec sévérité:

       [25]--Oh! moi, mesdames, je vais gâter, certes, vos rêves

       terribles. Je pense tout simplement que le légitime propriétaire

       de la main n'était pas mort, qu'il est venu la

       chercher avec celle qui lui restait. Mais je n'ai pu savoir

       comment il a fait, par exemple. C'est là une sorte de

       [30] vendetta.

      Une des femmes murmura:

       --Non, ça ne doit pas être ainsi.

       Et le juge d'instruction, souriant toujours, conclut:

       --Je vous avais bien dit que mon explication ne vous

       [5] irait pas.

       UNE VENDETTA

      La veuve de Paolo Saverini habitait seule avec son fils

       une petite maison pauvre sur les remparts de Bonifacio.

       La ville, bâtie sur une avancée de la montagne, suspendue

       même par places au-dessus de la mer, regarde, par-dessus

       [5] le détroit hérissé d'écueils, la côte plus basse de la

       Sardaigne. A ses pieds, de l'autre côté, la contournant presque

       entièrement, une coupure de la falaise, qui ressemble à un

       gigantesque corridor, lui sert de port, amène jusqu'aux

       premières maisons, après un long circuit entre deux

       [10] murailles abruptes, les petits bateaux pêcheurs italiens ou

       sardes, et, chaque quinzaine, le vieux vapeur poussif qui

       fait le service d'Ajaccio.

       Sur la montagne blanche, le tas de maisons pose une

       tache plus blanche encore. Elles ont l'air de nids d'oiseaux

       [15] sauvages, accrochées ainsi sur ce roc, dominant sur ce

       passage terrible où ne s'aventurent guère les navires. Le

       vent, sans repos, fatigue la côte nue, rongée par lui, à

       peine vêtue d'herbe; il s'engouffre dans le détroit, dont il

       ravage les deux bords. Les traînées d'écume pâle,

       [20] accrochées aux pointes noires des innombrables rocs qui

       percent partout les vagues, ont l'air de lambeaux de toiles

       flottant et palpitant à la surface de l'eau.

       La maison de la veuve Saverini, soudée au bord même

       de la falaise, ouvrait ses trois fenêtres sur cet horizon sauvage

       [25] et désolé.

       Elle vivait là, seule, avec son fils Antoine et leur chienne

       «Sémillante,» grande bête maigre, aux poils longs et rudes,

      de la race des gardeurs de troupeaux. Elle servait au

       jeune homme pour chasser.

       Un soir, après une dispute, Antoine Saverini fut tué

       traîtreusement, d'un coup de couteau, par Nicolas

       [5] Ravolati, qui, la nuit même, gagna la Sardaigne.

       Quand la vieille mère reçut le corps de son enfant, que

       des passants lui rapportèrent, elle ne pleura pas, mais elle

       demeura longtemps immobile à le regarder; puis, étendant

       sa main ridée sur le cadavre, elle lui promit la vendetta.

       [10] Elle ne voulut point qu'on restât avec elle, et elle

       s'enferma auprès du corps avec la chienne, qui hurlait. Elle

       hurlait, cette bête, d'une façon continue, debout au pied

       du lit, la tête tendue vers son maître, et la queue serrée

       entre les pattes. Elle ne bougeait pas plus que la mère,

       [15] qui penchée maintenant sur le corps, l'oeil fixe, pleurait de

       grosses larmes muettes en le contemplant.

       Le jeune homme, sur le dos, vêtu de sa veste de gros

       drap, trouée et déchirée à la poitrine, semblait dormir;

       mais il avait du sang partout: sur la chemise arrachée

       [20] pour les premiers soins; sur son gilet, sur sa culotte, sur

       la face, sur les mains. Des caillots de sang s'étaient figés

       dans la barbe et dans les cheveux.

       La vieille mère se mit à lui parler. Au bruit de cette

       voix, la chienne se tut.

       [25]--Va, va, tu seras vengé, mon petit, mon garçon, mon

       pauvre enfant. Dors, dors, tu seras vengé, entends-tu?

       C'est la mère qui le promet! Et elle tient toujours sa

       parole, la mère, tu le sais bien.

       Et lentement elle se pencha vers lui, collant ses lèvres

       [30] froides sur les lèvres mortes.

       Alors, Sémillante se remit à gémir. Elle poussait une

       longue plainte monotone, déchirante, horrible.

      

      Elles restèrent là, toutes les deux, la femme et la bête,

       jusqu'au matin.

       Antoine Saverini fut enterré le lendemain, et bientôt on

       ne parla plus de lui dans Bonifacio.

       [5] Il n'avait laissé ni frère, ni proches cousins. Aucun

       homme n'était là pour poursuivre la vendetta. Seule, la

       mère y pensait, la vieille:

       De l'autre côté du détroit, elle voyait du matin au soir

       un point blanc sur la côte. C'est un petit village sarde,

       [10] Longosardo, où se réfugient les bandits corses traqués de

       trop près. Ils peuplent presque seuls ce hameau, en face

       des côtes de leur patrie, et ils attendent là le moment de

       revenir, de retourner au maquis. C'est dans ce village,

       elle le savait, que s'était réfugié Nicolas Ravolati.

       [15] Toute seule, tout le long du jour, assise à sa fenêtre, elle

       regardait là-bas en songeant à la vengeance. Comment

       ferait-elle sans personne, infirme, si près de la mort?