Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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[5] noir se détachait. Je m'approchai: c'était une main, une

       main d'homme. Non pas une main de squelette, blanche

       et propre, mais une main noire desséchée, avec les ongles

       jaunes, les muscles à nu et des traces de sang ancien, de

       sang pareil à une crasse, sur les os coupés net, comme

       [10] d'un coup de hache, vers le milieu de l'avant-bras.

       Autour du poignet, une énorme chaine de fer, rivée,

       soudée à ce membre malpropre, l'attachait au mur par

       un anneau assez fort pour tenir un éléphant en laisse.

       Je demandai:

       [15]--Qu'est-ce que cela?

       L'Anglais répondit tranquillement:

       --C'été ma meilleur ennemi. Il vené d'Amérique. Il

       avé été fendu avec le sabre et arraché la peau avec une

       caillou coupante, et séché dans le soleil pendant huit

       [20] jours. Aoh, très bonne pour moi, cette.

       Je touchai ce débris humain qui avait dû appartenir

       à un colosse. Les doigts, démesurément longs, étaient

       attachés par des tendons énormes que retenaient des

       lanières de peau par places. Cette main était affreuse à

       [25] voir, écorchée ainsi, elle faisait penser naturellement à

       quelque vengeance de sauvage.

       Je dis:

       --Cet homme devait être très fort.

       L'Anglais prononça avec douceur:

       [30]--Aoh yes; mais je été plus fort que lui. J'avé mis

       cette chaine pour le tenir.

       Je crus qu'il plaisantait. Je dis:

      --Cette chaine maintenant est bien inutile, la main ne

       se sauvera pas.

       Sir John Rowell reprit gravement:

       --Elle voulé toujours s'en aller. Cette chaine été

       [5] nécessaire.

       D'un coup d'oeil rapide j'interrogeai son visage, me

       demandant:

       --Est-ce un fou, ou un mauvais plaisant?

       Mais la figure demeurait impénétrable, tranquille et

       [10] bienveillante. Je parlai d'autre chose et j'admirai les

       fusils.

       Je remarquai cependant que trois revolvers chargés

       étaient posés sur les meubles, comme si cet homme eût

       vécu dans la crainte constante d'une attaque. Je revins

       [15] plusieurs fois chez lui. Puis je n'y allai plus. On s'était

       accoutumé à sa présence; il était devenu indifférent à tous.

       Une année entière s'écoula. Or un matin, vers la fin de

       novembre, mon domestique me réveilla en m'annonçant

       que sir John Rowell avait été assassiné dans la nuit.

       [20] Une demi-heure plus tard, je pénétrais dans la maison

       de l'Anglais avec le commissaire central et le capitaine

       de gendarmerie. Le valet, éperdu et désespéré, pleurait

       devant la porte. Je soupçonnai d'abord cet homme, mais

       il était innocent.

       [25] On ne put jamais trouver le coupable.

       En entrant dans le salon de sir John, j'aperçus du premier

       coup d'oeil le cadavre étendu sur le dos, au milieu

       de la pièce.

       Le gilet était déchiré, une manche arrachée pendait,

       tout annonçait qu'une lutte terrible avait eu lieu.

      L'Anglais était mort étranglé! Sa figure noire et gonflée,

       effrayante, semblait exprimer une épouvante abominable;

       il tenait entre ses dents serrées quelque chose; et

       le cou, percé de cinq trous qu'on aurait dit faits avec des

       [5] pointes de fer, était couvert de sang.

       Un médecin nous rejoignit. Il examina longtemps les

       traces des doigts dans la chair et prononça ces étranges

       paroles:

       --On dirait qu'il a été étranglé par un squelette.

       [10] Un frisson me passa dans le dos, et je jetai les yeux

       sur le mur, à la place où j'avais vu jadis l'horrible main

       d'écorché. Elle n'y était plus. La chaine, brisée,

       pendait.

       Alors je me baissai vers le mort, et je trouvai dans

       [15] sa bouche crispée un des doigts de cette main disparue,

       coupé ou plutôt scié par les dents juste à la deuxième

       phalange.

       Puis on procéda aux constatations. On ne découvrit

       rien. Aucune porte n'avait été forcée, aucune fenêtre,

       [20] aucun meuble. Les deux chiens de garde ne s'étaient pas

       réveillés.

       Voici, en quelques mots, la déposition du domestique:

       Depuis un mois, son maître semblait agité. Il avait reçu

       beaucoup de lettres, brûlées à mesure.

       [25] Souvent, prenant une cravache, dans une colère qui

       semblait de la démence, il avait frappé avec fureur cette

       main séchée, scellée au mur et enlevée, on ne sait comment,

       à l'heure même du crime.

       Il se couchait fort tard et s'enfermait avec soin. Il

       [30] avait toujours des armes à portée du bras. Souvent, la

       nuit, il parlait haut, comme s'il se fût querellé avec quelqu'un.

      Cette nuit-là, par hasard, il n'avait fait aucun bruit, et

       c'est seulement en venant ouvrir les fenêtres que le serviteur

       avait trouvé sir John assassiné. Il ne soupçonnait

       personne.

       [5] Je communiquai ce que je savais du mort aux magistrats

       et aux officiers de la force publique, et on fit dans toute

       l'île une enquête minutieuse. On ne découvrit rien.

       Or, une nuit, trois mois après le crime, j'eus un affreux

       cauchemar. Il me sembla que je voyais la main, l'horrible

       [10] main, courir comme un scorpion ou comme une araignée le

       long de mes rideaux et de mes murs. Trois fois, je me réveillai,

       trois fois je me rendormis, trois fois je revis le

       hideux débris galoper autour