Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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qui sortait de sa poche de côté.

       Je mesurai douze pas, et j'allai me placer là, dans cet angle,

       [10] en le priant de se dépêcher de tirer avant que ma femme

       rentrât. Il ne voulut pas et demanda de la lumière. On

       apporta des bougies.

       «Je fermai la porte, je dis qu'on ne laissât entrer personne,

       et, de nouveau, je le sommai de tirer. Il leva son

       [15] pistolet et m'ajusta... Je comptais les secondes... Je

       pensais à elle... Cela dura une effroyable minute. Silvio

       baissa son arme.

       «--J'en suis bien fâché, dit-il, mais mon pistolet n'est

       pas chargé de noyaux de guignes;... une balle est dure

       [20] ...Mais je fais une réflexion: ce que nous faisons ne

       ressemble pas trop à un duel, c'est un meurtre. Je ne

       suis pas accoutumé à tirer sur un homme désarmé. Recommençons

       tout cela; tirons au sort à qui le premier

       feu.

       [25] «La tête me tournait. Il parait que je refusai... Enfin,

       nous chargeâmes un autre pistolet; nous fîmes deux billets

       qu'il jeta dans cette même casquette qu'autrefois ma balle

       avait traversée. Je pris un billet, et j'eus encore le

       numéro 1.

       [30] «--Tu es diablement heureux, comte! me dit-il avec

       un sourire que je n'oublierai jamais.

       «Je ne comprends pas ce qui se passait en moi, et comment

      

      il parvint à me contraindre,... mais je fis feu, et ma

       balle alla frapper ce tableau.

       Le comte me montrait du doigt la toile trouée par le

       coup de pistolet. Son visage était rouge comme le feu.

       [5] La comtesse était plus pâle que son mouchoir, et, moi,

       j'eus peine à retenir un cri.

       --Je tirai donc, poursuivit le comte, et, grâce à Dieu,

       je le manquai... Alors, Silvio... dans ce moment, il était

       vraiment effroyable! se mit à m'ajuster. Tout à coup la

       [10] porte s'ouvrit. Macha se précipite dans le cabinet et

       s'élance à mon cou. Sa présence me rendit ma fermeté.

       «--Ma chère, lui dis-je, est-ce que tu ne vois pas que

       nous plaisantons? Comme te voilà effrayée!... Va, va

       boire un verre d'eau, et reviens-nous. Je te présenterai

       [15] un ancien ami et un camarade.

       «Macha n'avait garde de me croire.

       «--Dites-moi, est-ce vrai, ce que dit mon mari?

       demanda-t~elle au terrible Silvio. Est-il vrai que vous

       plaisantez?

       [20] «--Il plaisante toujours, comtesse, répondit Silvio.

       Une fois, par plaisanterie, il m'a donné un soufflet; par

       plaisanterie, il m'a envoyé une balle dans ma casquette;

       par plaisanterie, il vient tout à l'heure de me manquer

       d'un coup de pistolet. Maintenant, c'est à mon tour de

       [25] rire un peu...

       «A ces mots, il se remit à me viser... sous les yeux de

       ma femme. Macha était tombée à ses pieds.

       «--Lève-toi, Macha! n'as-tu point de honte! m'écriai-je

       avec rage.--Et vous, monsieur, voulez-vous rendre folle

       [30] une malheureuse femme? Voulez-vous tirer, oui ou non?

       «--Je ne veux pas, répondit Silvio. Je suis content.

       J'ai vu ton trouble, ta faiblesse; je t'ai forcé de tirer sur

      moi, je suis satisfait; tu te souviendras de moi, je

       t'abandonne à ta conscience.

       «Il fit un pas vers la porte, et, s'arrêtant sur le seuil, il

       jeta un coup d'oeil sur le tableau troué, et, presque sans

       [5] ajuster, il fit feu et doubla ma balle, puis il sortit. Ma

       femme s'évanouit. Mes gens n'osèrent l'arrêter et s'ouvrirent

       devant lui avec effroi. Il alla sur le perron, appela son

       postillon, et il était déjà loin avant que j'eusse recouvré

       ma présence d'esprit...

       [10] Le comte se tut.

       C'est ainsi que j'appris la fin d'une histoire dont le

       commencement m'avait tant intrigué. Je n'en ai jamais

       revu le héros. On dit que Silvio, au moment de l'insurrection

       d'Alexandre Ypsilanti, était à la tête d'un corps

       [15] d'hétaïrismes, et qu'il fut tué dans la déroute de Skouliani.

       Table des matières

       LA MAIN

      On faisait cercle autour de M. Bermutier, juge d'instruction,

       qui donnait son avis sur l'affaire mystérieuse

       de Saint-Cloud. Depuis un mois, cet inexplicable crime

       affolait Paris. Personne n'y comprenait rien.

       [5] M. Bermutier, debout, le dos à la cheminée, parlait,

       assemblait les preuves, discutait les diverses opinions,

       mais ne concluait pas.

       Plusieurs femmes s'étaient levées pour s'approcher et

       demeuraient debout, l'oeil fixé sur la bouche rasée du

       [10] magistrat d'où sortaient les paroles graves. Elles frissonnaient,

       vibraient, crispées par leur peur curieuse, par

       l'avide et insatiable besoin d'épouvante qui hante leur

       âme, les torture comme une faim.

       Une d'elles, plus pâle que les autres, prononça pendant

       [15] un silence:

       --C'est affreux. Cela touche au «surnaturel.» On ne

       saura jamais rien.

       Le magistrat se tourna vers elle:

       --Oui, madame, il est probable qu'on ne saura jamais

       [20] rien. Quant au mot surnaturel que vous venez d'employer,

       il n'a rien à faire ici. Nous sommes en présence

       d'un crime fort habilement conçu, fort habilement exécuté,

       si bien enveloppé de mystère que nous ne pouvons

       le dégager des circonstances impénétrables qui l'entourent.

       [25]