Vous n’aurez point pour moi de langages secretsecrets :
J’entendrai des regards que vous croirez muetmuets ;
Et sa perte sera l’infaillible salaire
D’un gestegeste ou d’un soupir échappé pour lui plaire.
Face à un empêchement si total, sémiologiquement holistique, l’échec de Junie ne pouvait qu’advenir, et c’est cet échec qui est si évidemment manifesté intrinsèquement dans le discours de Junie.
Mais parfois les contournementcontournements peuvent être couronnés de succès. Ainsi la scène de la fameuse partie de cartes dans le film de Marcel Pagnol Marius peut-il présenter un magistral exemple de la façon dont un empêchement de parole peut être contourné. De la même façon le roman de Siegfried LenzLenz (Siegfried) Deutschstunde est-il la manifestation discursive concrète de la réussite du locuteur diégétique Siggi parvenant à surmonter les Pressions contre le dire, qui consistaient en un « trop à dire » ce qui représente entre autres une belle prouesse narrative, tant au niveau diégétique (le récit homo-auto-diégétique de Siggi) qu’au niveau auctorial (le roman de Siegfried Lenz).
4. Conclusions
Au terme de ces analyses, il apparaît désormais clairement que l’empêchement de parole est le résultat d’une interprétation permettant de construire une représentation au fil de la lecture des textes de fiction considérés. Or pour que cette construction interprétative soit couronnée de succès, il est indispensable qu’elle ait recours à l’intégralité du matériau sémiotique mis à la disposition du lecteur selon le canal de communication concerné, et dans le cas de messages écrits, de tout l’appareil de présentation écrite des discours de fiction narratifs, théâtrauxthéâtraux ou de bande dessinée. Aucun élément n’est ainsi négligeable, qu’il ressortisse aussi bien à la présentation intrinsèque du discours linguistique, message en soi ou tout système de signes inhérents à la graphie, qu’à la présentation extrinsèque de ce même discours, englobant par là-même toutes les composantes du discours littéraire artistique, à tous les niveaux diégétiques. Ces analyses font donc ressortir l’importance et la pertinence de la prise en considération de toutes les instances de la présentation des discours, sans lesquelles l’interprétation des paroles (et de son empêchement) se condamnerait à la cécité.
La parole empêchée en cancérologie
Yves Raoul (Clinique de la Côte d’Émeraude Saint Malo)
La médecine est un art qui guérit et fait vivre. Toutefois, malgré des progrès considérables, force est de constater qu’en cancércancérologie, un malade sur deux ne guérit pas, malgré la mise en œuvre de traitements souvent agressifs. En France, 370 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année. 150 000 malades décèdécèdent et 25 % des malades considérés en rémission complète après le traitement, c’est-à-dire sans maladiemaladie apparente, rechutent.
La maladiemaladie cancéreuse a la particularité d’être « immortelle ». La guérison spontanée, sans traitement, n’existe pas. Son évolution se fait schématiquement en trois phases : la phase curative, qui espère guérir, la phase palliative, qui vise à contenir la maladie le plus longtemps possible sans objectif de guérison, et la phase des soins palliatifs où les traitements spécifiques sont arrêtés et seuls les soins de confort sont poursuivis.
Trois acteurs vont intervenir dans le parcours de soins : le malade, le médecin et l’entourage du malade :
– le malade veut guérir, mais il a souvent du mal à entendre la réalité ;
– le médecin veut soigner, mais il a parfois du mal à s’exprimer et à se faire comprendre ;
– l’entourage veut protéger, mais il a parfois envie de dissimuler ou mentirmensonge.
Il y a vingt ans, la relation médecin, malade et entourage était assez simple. Le médecin décidait et traitait, souvent sans prendre l’avis du malade. Le malade subissait respectueusement. L’entourage prenait le relais en fin de vie avec le médecin de famillefamille et les « officiers des cultes religieuxreligieux ». Le développement de l’information et la définition des droits du malade, la diminution de la place du médecin de famille et la prise en charge de plus en plus hospitalière, le déclin de l’influence des cultes religieux ont modifié ces relations.
Désormais, l’évaluation du stade initial, le potentiel évolutif de la maladiemaladie et donc son pronostic, le bénéfice attendu grâce au traitement mais aussi la toxicité de celui-ci, les informations qui doivent ou ne doivent pas être données au malade peuvent être l’enjeu de discussions et de réflexions entre les trois intervenants. L’incertitude médicale est, de plus, constamment présente. Pour des malades apparemment atteints de la même maladie au même stade, auxquels des traitements identiques sont appliqués, certains guérissent et d’autres non.
Ainsi, entre maintenir le malade dans le silence pour le protéger, au risque de l’obliger à vivre seul, dans l’isolementisolement, ce qu’il est contraint de subir, ou lui imposer d’entendre une véritévérité qu’il refuse et qui risque d’aggraver son état, se situe le champ de la parole empêchée. Celle-ci est ce que l’on ne peut pas ou ce que l’on ne veut pas se dire ou que l’on va dire de façon incomplèteincomplète ou détournée. Elle est souvent présente en cancérologie car il est trop difficile de dire ce qui fait peurpeur et parce qu’il est compliqué d’expliquer ce dont on ne connaît pas l’évolution. Elle évolue souvent dans le temps. Ne pas tout dire tout de suite permet au médecin de dire quand il le pourra et au malade d’entendre quand il le voudra. Car finalement l’objectif du traitement est souvent de se concentrer sur les moyens à mettre en œuvre pour prolonger la vie dans les meilleures conditions possibles en acceptant que cette maladiemaladie reste présente jusqu’au bout de la vie.
L’importance de la parole empêchée peut être d’emblée soulignée par deux exemples.
En France, des mots sont évités. On ne meurt pas d’un cancercancer, mais d’une longue maladiemaladie. On consulte non pas un cancérologue mais un oncologue. Les services de cancérologie sont rarement identifiés dans les hôpitaux comme tels. Le mot guérison est souvent remplacé par le terme rémission, ce qui maintient le malade dans une incertitude difficile à vivre, mais permet au médecin de ne pas se tromper, puisque l’hypothèse de la rechute est préservée. Le mot cancer est souvent, au moins au début, remplacé par d’autres termes : pré-cancer, polype, petit cancer…
Aux États-Unis, une étude récente, portant sur 1 200 malades porteurs d’un cancercancer du poumon métastatique montre que 70 % des malades n’ont pas compris que le traitement qui leur est appliqué est palliatif. Les malades sont persuadés de l’efficacité de la chimiothérapiethérapie comme traitement susceptible d’entraîner la guérison1.
Dans cet article, nous ne traiterons pas de l’empêchement de la parole par des maladies telles que l’aphasieaphasie, le locked-syndrome, les dysarthries ou les difficultés engendrées par les laryngectomies.
Nous développerons :
– les obligations que doit respecter le médecin dans l’annonce du diagnostic et du pronostic : le serment d’Hippocrate, la charte du patient hospitalisé, la loi Léonetti, la loi Huriet ;
– les moyens devant être mis en œuvre pour la prise en charge d’un patient atteint d’un cancercancer : l’adhésion à un réseau de cancérologie permettant la mise en place du dispositif d’annonce, l’accès aux soins de support et à un traitement efficace de la douleurdouleur ;
– les techniques d’annonce des mauvaises nouvelles ;
– l’importance des canaux non verbaux : gestegestes,