André le Savoyard. Paul de Kock. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul de Kock
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081003
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est parti; donnez-vous donc bien de la peine, privez-vous de sommeil, exposez votre vie, pour être récompensé ainsi!

      —Marie, dit mon père, on doit toujours obliger sans s’inquiéter si l’on en sera ou non récompensé; ne l’est-on pas toujours, d’ailleurs, par le plaisir d’avoir fait son devoir? Sans doute cet étranger aurait pu se montrer plus généreux... Tant pis pour lui, s’il ne sait pas donner, c’est une jouissance dont il se prive. Notre chaumière est ouverte à tout le monde: les riches doivent pouvoir y entrer comme les malheureux.—Mais cette blessure... c’est pour lui que tu as gagné cela...—Ça ne sera rien... va, tes soins et les caresses de nos enfants la guériront bien plus vite que tout l’or de ce voyageur.

      Ma mère ne dit plus rien à son mari, mais en allant et venant, je l’entends murmurer encore:—Un petit écu!... et il a manqué périr!

      En effet, pour un seigneur, M. le comte n’avait pas agi noblement; mais il y a beaucoup de roturiers qui ont l’âme noble, et cela fait compensation.

       LA MORT D’UN BON PÈRE.—SÉPARATION NÉCESSAIRE.

       Table des matières

      Depuis plus d’une heure les voyageurs étaient partis; mon père se reposait devant le feu, en mangeant la soupe que l’arrivée de M. le comte ne lui avait pas permis de prendre la veille. Ma mère s’occupait de son ménage; mes frères étaient déjà sur le seuil de notre porte, mordant chacun dans un gros morceau de pain bis. Je ne les avais pas suivis; je restai dans la maison, j’y cherchais encore la jolie petite fille, et j’étais triste de ne plus l’y trouver.

      En portant mes regards du côté du lit sur lequel elle s’est reposée, quelque chose de brillant frappe ma vue; je cours et je ramasse au pied du lit le médaillon que nous avons admiré la veille.

      Je pousse un cri de joie.—Qu’as-tu donc, André? me dit mon père.—Oh! j’ai trouvé un trésor... tenez... tenez...

      Je cours lui montrer le portrait.—C’est celui que la petite fille portait à son cou, dit ma mère; il se sera détaché de la chaîne. Regarde donc, Georget, la jolie femme! Oh! c’est la mère de ce petit ange qui dormait sur notre lit...—Oui... elle est très-bien; mais, morgué! comment faire pour rendre ce portrait à ce monsieur?... Diable!... si on avait vu cela plus tôt... Marie, sais-tu si l’on pourrait encore rejoindre la voiture?...—Non certainement, on ne le peut plus; ils ont près de deux heures d’avance... D’ailleurs, savons-nous où ils vont? Ne veux-tu pas encore courir et te blesser pour ce vieux vilain monsieur, qui ne vous remercie seulement pas?...—Ah! Marie... faut-il se montrer intéressée?... et quand il s’agit d’être honnête, de faire son devoir...—Pardi, j’espère que nous le sommes, honnêtes; Dieu merci, quoique pauvres, je n’en sommes pas moins estimés dans le pays. Mais, écoute, Georget; ce portrait n’est pas entouré de pierres précieuses... oh! s’il y avait des diamants, des bijoux alentour, je serais la première à courir après la voiture, dusse-je faire dix lieues, de peur qu’on ne nous crût capables de l’avoir gardé exprès; mais tu vois bien qu’il n’y a qu’un petit cercle d’or tout simple autour de cette figure... Ce n’est pas notre faute si la petite l’a perdu. D’ailleurs, dès que ce monsieur s’en apercevra, il se doutera sans doute que c’est ici que sa fille l’a laissée, et il l’enverra chercher par un de ses valets. En attendant, gardons ce portrait, puisque le hasard nous en rend dépositaires, et ne te tourmente plus pour cela. Si cet étranger y tient beaucoup, sois sûr qu’il ne manquera pas de nous l’envoyer demander.—Allons, je crois que tu as raison, Marie; d’ailleurs, la voiture est trop loin... Mais, bientôt, je pense, quelqu’un viendra réclamer ce médaillon.

      Mon père se trompait dans ses conjectures: les jours s’écoulèrent après celui où nous avions reçu les voyageurs, et personne ne vint chercher le portrait.

      Cependant la santé de mon père ne s’améliorait pas. Chaque jour, au contraire, ses forces diminuaient. Sa blessure à la tête était cicatrisée; mais il éprouvait par tout le corps des douleurs qu’il voulait en vain nous cacher. Notre indigence augmentait son mal, en lui donnant pour l’avenir de vives inquiétudes. Ma mère s’efforçait de le tranquilliser; mais depuis longtemps il ne pouvait plus se livrer à aucun travail. C’était en servant de guide aux voyageurs, aux curieux qui venaient souvent admirer nos montagnes et l’âpreté de nos sites, que mon père avait jusqu’alors trouvé le moyen de soutenir sa famille: cette ressource lui était ravie.

      Chaque jour je m’offrais pour remplacer mon père; je brûlais du désir d’être utile à mes parents et de soulager leur misère; mais ils me trouvaient trop jeune encore pour gravir les glaciers et m’exposer sur des chemins bordés de précipices; ils tremblaient pour mes jours; si je tardais à rentrer, lorsque j’allais dans le village, leur inquiétude était extrême; ils me croyaient blessé, et, à mon retour, après m’avoir grondé, ils se dédommageaient en m’accablant de caresses... Les pauvres gens apprennent souvent aux riches comment on doit aimer ses enfants.

      Un jour cependant, revenant seul du village, je rencontre un voyageur qui me prie de lui indiquer un chemin pour atteindre une hauteur d’où l’on découvre fort loin dans les environs. La route était difficile et bordée de précipices; mais plusieurs fois je l’avais parcourue à l’insu de mes parents. J’offre au voyageur de lui servir de guide, il accepte: nous gravissons les rochers. Après avoir admiré quelque temps le magnifique tableau qui s’offre à ses regards, l’étranger redescend, puis continue sa route; mais auparavant, il me met dans la main une petite pièce d’argent, en me disant:—Tiens, mon petit homme, voilà pour ta peine.

      Jamais je n’avais éprouvé un plaisir aussi grand; je cours... je vole vers notre demeure; mes pieds ne marquent point sur la neige, que je ne fais qu’effleurer; j’arrive enfin, respirant à peine, et je vais donner à ma mère la pièce de monnaie que j’ai reçue du voyageur.

      —D’où te vient cela? me dit mon père. Je raconte ce que j’ai fait; sans doute je parais alors bien fier, bien satisfait, car je vois mon père sourire, quoiqu’il veuille d’abord ma gronder.

      Pierre et Jacques ouvrent de grands yeux, et disent qu’ils veulent aussi gagner de l’argent; mais Jacques est si petit! et Pierre si timide!...

      Malheureusement de telles occasions sont rares: on veille à ce que je ne m’éloigne pas. Nous restons près de mon père; ses souffrances paraissent augmenter; ce n’est qu’entouré de ses enfants qu’il se sent mieux. Nous passons les longues soirées d’hiver assis à ses côtés. Hélas! il n’a plus la force de nous tenir sur ses genoux! Ma mère travaille sans cesse.—Mon rouet suffira, dit-elle, pour nous soutenir tous. Pauvre mère! elle ne dit pas qu’elle pleure la nuit, pendant que mon père repose!... Seul je m’en suis aperçu, car souvent aussi je ne dors point.

      Pour nous distraire de nos peines, souvent nous prions mon père de nous montrer le portrait de la belle dame. Nous aimons à le regarder. Pour moi, il me rappelle toujours la jolie petite fille qui a dormi dans notre chaumière.—Ne point avoir fait chercher ce portrait, dit mon père, c’est bien singulier!... Le mari de cette dame doit cependant bien l’aimer...—Son mari? dit ma mère. Ah! si c’est ce vilain borgne au petit écu, comment veux-tu qu’il aime sa femme?... Quand je lui parlais de sa fille, il ne songeait qu’à un chien qu’il allait revoir et faire passer dans un cerceau. Ce petit ange pleurait et demandait sa mère... c’était bien naturel! Au lieu de l’embrasser, de la consoler, il voulait la fouetter!... Enfin, il lui a débité, pendant une heure, de grandes phrases auxquelles cette pauvre petite ne pouvait rien comprendre!... Va! cet homme-là n’est pas capable d’aimer d’amour... Mais si c’était le portrait de son chien qu’il eût laissé ici, je gage bien qu’il aurait mis tous ses Champagnes en route pour le retrouver.

      Quelques amis de mon père, en venant dans notre chaumière, avaient aperçu le portrait