André le Savoyard. Paul de Kock. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul de Kock
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081003
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beaucoup de respect. Celui-ci, après l’avoir débouchée, la porte à ses lèvres et s’écrie bientôt:

      —Qu’est-ce que cela veut dire... Champagne?—Quoi donc, monsieur?—La bouteille est vide!—Vous croyez, monsieur?—Comment, je crois... j’en suis, par Dieu, bien sûr...—C’est singulier! elle était aux trois quarts pleine quand vous me l’avez rendue ce soir!—Je le sais fort bien, drôle!... Comment m’expliqueras-tu cela?—Ah! je vois ce que c’est, monsieur; tout à l’heure en me jetant brusquement sur vous pensant que l’on vous attaquait, j’aurai cogné ce flacon et il aura fui... ma poche est encore toute mouillée...—Comment, maraud... vous osez dire...—M. le comte sait bien qu’il n’a pas fermé l’œil de la nuit et que j’ai toujours été près de lui... Il m’eût été impossible de tromper monsieur, alors même que j’en aurais été capable...—Au fait, ta réflexion est assez judicieuse.

      M. Champagne s’esquive, enchanté de s’en être si bien tiré. Ma mère lavait avec de l’eau fraîche la blessure de mon père, que je venais de débarrasser de son chapeau et de son bâton; mes frères dormaient encore, et notre hôte se fourrait presque dans le foyer en se plaignant du froid. Il n’avait pas aperçu le mal que le bon Georget s’était fait en courant pour lui, la nuit, au milieu de nos montagnes: cet homme-là ne voyait que ce qui lui était personnel; pour la peine que l’on se donnait à son service, les souffrances des malheureux, les larmes de l’infortune, les pleurs de l’orphelin, l’œil qui lui restait semblait aussi recouvert d’un épais bandeau.

      Une petite voix bien douce attira notre attention. C’était la petite fille qui s’éveillait; la blessure de mon père nous avait fait oublier la jolie dormeuse.

      —Maman... maman... dit la jolie petite. Puis elle soulève sa tête et promène autour d’elle des regards surpris. Nous apercevons alors ses yeux: ils sont noirs, mais si doux, si bons!... A son premier cri, j’avais couru près du lit, et là, je restais à la regarder.—Maman, dit-elle de nouveau; et sa voix n’est plus aussi calme; le chagrin l’altère déjà; elle ne voit pas sa mère, ses jolis yeux se remplissent de larmes.

      Ma mère s’était aussi rapprochée de la petite qu’elle admirait, répétant à chaque minute:—Bon Dieu! la belle petite fille!... Chacun de nous lui souriait; mais la pauvre enfant nous regardait avec étonnement, avec crainte, et répétait:—Maman... je veux voir maman!...

      —Monsieur, dit ma mère à l’étranger, votre demoiselle est éveillée; elle demande sa maman.—Eh bien... donnez-lui à boire... les enfants se calment toujours en buvant... on les berce avec cela...

      Ma mère présente un verre à la petite, mais elle le repousse et continue d’appeler sa maman; ses larmes coulent, elle sanglote; ses beaux cheveux retombent sur ses yeux, qu’elle frotte avec ses petites mains, tout en répétant sans cesse:—Je veux qu’on me mène chez maman.

      Nous étions tous attendris de la douleur de la petite fille; le vieux monsieur, seul, ne paraissait pas y faire attention et murmurait en se frottant les jambes:—Mes pauvres chevaux auront eu bien froid. Je voudrais déjà être de retour à Paris. Je suis sûr que César s’ennuie après son maître... Comme il va faire le saut du cerceau à mon retour... Cet animal-là est plein d’intelligence... Il faut que je lui apprenne à jouer aux dominos, comme le fameux Munito.

      —Monsieur, dit ma mère, votre petite pleure toujours... La pauvre enfant ne peut pas se consoler...—Annoncez-lui que je vais lui donner le fouet.—Ah! monsieur... battre un enfant aussi petit... une si jolie fille... Ah!... c’est pour rire que monsieur dit cela... je ne battons pas les nôtres, nous... et cependant ils ne sont pas aussi délicats que ce petit amour-là.

      Le vieux monsieur se retourne en faisant la grimace et fixant sur ma mère son petit œil gris:—Est-ce que cette Savoyarde prétendrait me montrer comment je dois élever ma fille?... Amenez-moi mademoiselle Adolphine...

      Ma mère prend la petite dans ses bras et se dispose à la porter sur les genoux de son père; mais celui-ci lui fait signe de mettre l’enfant à terre devant lui, et la petite, après avoir envisagé M. le comte, fait une moue qui la rend encore plus gentille.

      —Mademoiselle, dit gravement le vieux monsieur après avoir pris du tabac dans une belle boîte d’or, votre conduite est au moins inconvenante, pour ne point dire plus; vous demandez madame la comtesse, c’est fort bien; mais parce que vous ne la voyez point, vous vous mettez à pleurer!... Je n’entends pas que ma fille se conduise avec autant de légèreté. Vous êtes avec moi... je crois vous avoir déjà dit que je suis votre père... D’ailleurs vous devez me reconnaître: et un père ou une mère, c’est absolument la même chose, si ce n’est que l’une vous gâte, et que l’autre vous donnera des chiquenaudes si vous n’êtes pas sage.

      Pour toute réponse à cette mercuriale, dont la petite fille n’a sans doute pas compris un mot, elle se met à taper des pieds avec violence, en répétant: je veux voir maman, moi!

      —Voyez un peu quel caractère! s’écrie M. le comte, elle n’en démordra pas... elle aura de la tête... beaucoup de tête... Cela n’est pas étonnant, c’est une Francornard, et c’est par la tête qu’on nous reconnaît tous.

      Dans ce moment, M. Champagne revient.—Voilà le jour, monsieur le comte, dit-il en entrant, quand vous voudrez vous remettre en route...—Sur-le-champ... La voiture est parfaitement raccommodée?—Oui, monsieur, il n’y a plus de danger...—Allons, donne-moi mon manteau, que je m’entortille bien...

      Pendant que le domestique enveloppe son maître aussi hermétiquement qu’une bouteille d’esprit-de-vin, je me rapproche de la petite fille; elle ne pleure plus, elle est immobile devant le feu... mais ses beaux yeux sont si tristes!... de gros soupirs sortent de sa poitrine; on voit qu’elle retient avec peine ses sanglots.

      Je l’entoure de mes bras... je l’enlève...—Que fais-tu donc, André? me dit mon père—Je vais la porter, papa. Oh! je suis bien assez fort... Vous êtes blessé; vous pourriez tomber encore...

      Je me disposais à porter la petite jusqu’à la voiture (car j’étais en effet déjà fort pour mon âge); mais M. Champagne m’arrête et s’empare de l’enfant. Oh! si j’avais pu résister... que j’aurais eu de plaisir à battre cet homme, qui me privait du bonheur de porter la petite demoiselle, dont les mains blanches comme la neige s’étaient déjà posées sur ma tête, et dont les petits doigts avaient jeté mon bonnet de laine, qui sans doute lui semblait une vilaine coiffure.

      Les voyageurs vont partir; M. Champagne tient dans ses bras la jolie dormeuse, qui me regarde et veut me sourire, quoique l’on s’aperçoive qu’elle a le cœur bien gros!... mais il est un âge où la peine et le plaisir se succèdent si rapidement!... la joie se fait jour sous les larmes, qui sèchent aussi vite qu’elles ont coulé. Déjà l’on ne voit que le bout du nez de M. le comte, qui prend pour regagner sa voiture autant de précautions que s’il devait gravir à pied le mont Blanc. Mon père est toujours dans un coin de la chambre, trop fier pour demander une récompense que cependant il a bien méritée. Mais en passant devant lui, M. Champagne s’arrête.—Oh! vous êtes blessé? lui dit-il.—Oui, dit ma mère, c’est en courant cette nuit pour votre maître qu’il s’est mis dans cet état.

      —Comment!... il est blessé!... dit M. le comte, dont la voix étouffée par son manteau ressemble alors au son d’un cornet à bouquin. Il s’arrête devant mon père, puis se décide à dégager une de ses mains de dessous son manteau, ce qu’il ne fait qu’avec bien du regret, et il cherche pendant longtemps dans son gousset en murmurant:

      —Ah! diable... au fait... j’allais oublier... il faut que je lui donne quelque chose... n’est-ce pas, Champagne?—Il le mérite bien, monsieur le comte.—Oui... oui... sans doute; c’est pourtant désagréable, en voyage, d’être toujours obligé d’avoir la main à la poche... on n’en finit jamais!... Allons... tenez, mon cher, je veux que vous vous souveniez que vous avez reçu dans votre chaumière le comte Nestor de Francornard.

      En