André le Savoyard. Paul de Kock. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul de Kock
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081003
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nous. Cependant, bien loin d’y consentir, mon père rejeta avec mépris cette proposition.—Ce bijou ne nous appartient pas, dit-il. Tôt ou tard celui qui le possédait peut venir le réclamer; et vous me proposez de le vendre! Non, Georget mourrait de besoin, qu’il ne toucherait point à ce dépôt.

      J’étais auprès de mon père comme il achevait ces mots. Il me prend par la main, m’attire près de lui et me dit:

      —Mon cher André, n’oublie jamais ce que tu viens d’entendre: un jour peut-être tu voyageras, tu iras à Paris... Qui sait si, plus heureux que moi, tu ne parviendras pas à t’enrichir? Mais que ce ne soit jamais par des moyens dont tu pourrais avoir à rougir! La probité des grandes villes est plus facile, plus accommodante que celle de nos montagnes; mais il faut conserver celle de ton père, du pays où tu es né: c’est la bonne, mon garçon; avec elle tu marcheras toujours tête levée, et, grâce au ciel, celui qui me conseillait de vendre ce bijou n’est pas né dans nos climats.

      —Je ferai comme vous, mon père, lui dis-je en l’embrassant. Et puis, si je vais à Paris, j’emporterai le bijou avec moi, car je rencontrerai sans doute ce monsieur qui est venu chez nous... Je le reconnaîtrai bien; il est si laid! Je reconnaîtrai aussi la petite fille... elle est si jolie! et je leur rendrai ce portrait.

      —Si tu vas à Paris, André, n’oublie point ta mère, que tu laisseras dans sa chaumière...

      —Oh! non, mon père; je lui enverrai tout l’argent que j’aurai amassé... et puis à vous aussi.

      —A moi!...

      Mon père sourit tristement; il sait bien qu’il ne doit plus être longtemps près de nous, mais il fait tout ce qu’il peut pour le cacher. La gaieté a fui de notre chaumière, où jadis elle habitait constamment. Mais la vue de notre père malade nous ôte même l’envie de nous livrer à nos jeux: plus de parties sur la montagne, plus de glissades, de boules de neige! Nous restons auprès de lui, car nous voyons que cela lui fait plaisir. Nous nous asseyons à ses pieds, où nous nous tenons bien tranquilles. Lorsqu’il peut goûter un moment de sommeil, du moins ses yeux, en se fermant, se reposent sur ses enfants, et à son réveil nous avons encore son premier regard.

      Mais, hélas! depuis longtemps il ne goûte plus ces moments de repos, pendant lesquels, assis à ses pieds, nous observions le plus grand silence, de crainte de l’éveiller. A peine a-t-il la force de se lever et de gagner sa grande chaise.—Comment te sens-tu? lui demande souvent ma mère.—Bien... bien... répond-il en souriant encore. Mais ce sourire ne la rassure plus; tandis que moi et mes frères ne connaissant pas l’état de notre père, tous les matins nous espérons le voir guéri.

      Un jour, ma mère pleurait sur son rouet, notre père ne nous avait pas parlé depuis longtemps. Tout à coup il nous appelle, il étend ses bras vers nous, il nous enlace plus fortement; je l’entends qui dit adieu à ma mère accourue près de lui... il nous nomme ses chers enfants... puis il ferme les yeux en poussant un profond soupir.

      Ma mère tombe sur une chaise en pleurant plus fort; elle ne peut arrêter ses sanglots.—Chut... ne fais pas de bruit, lui disons-nous mes frères et moi; notre père vient de s’endormir... tu vas le réveiller.—Et déjà nous avons pris notre place accoutumée; nous nous asseyons à ses pieds... nous observons le plus grand silence, mais notre mère pleure toujours... Enfin, elle s’écrie: Hélas! mes enfants, votre père est mort!... vous l’avez perdu. Mon bon Georget n’est plus!...

      Mort!... ce mot nous frappe, mais nous ne pouvons pas bien le comprendre...—Mort! répétons-nous, cela veut donc dire qu’il ne s’éveillera plus? Nous ne pouvons le croire... Nous nous levons doucement pour considérer notre père. Il semble dormir, et ses traits si bons, si doux, ne sont nullement changés. Petit Jacques l’appelle...—Non, mes enfants, il ne vous entend plus, dit ma mère. Elle s’approche de nous, et elle nous fait mettre à genoux, comme elle, devant notre père.—Priez le bon Dieu, nous dit-elle, pour que du haut des cieux votre père veille toujours sur vous.

      Nous prions pendant bien longtemps; et plus le temps s’écoule, plus notre douleur devient vive: car notre père ne s’éveille pas, et nous commençons à comprendre ce que c’est que la mort.

      Des gens du village sont entrés dans notre chaumière, ils tâchent de consoler ma mère; mais ils ne l’arrachent point de sa demeure, car chez nous on ne fuit pas ceux qu’on aime dès qu’ils ont cessé d’exister, et on ne craint pas d’avoir du chagrin en les voyant encore.

      Quelle triste journée s’écoule!... Ma mère pleure toujours... elle ne répond pas à ceux qui essayent de la consoler; elle ne paraît pas les écouter! Nous ne lui disons rien, moi et mes frères; mais nous allons nous mettre tout près d’elle. Nous l’entourons de nos bras; nous posons notre tête sur son sein... et alors elle pleure moins fort.

      Le lendemain matin, des hommes emportent mon père; on nous fait signe de les suivre, mes frères et moi, tandis que ma mère continue de se livrer à sa douleur. Nous n’étions pas seuls à suivre mon père; presque tous les hommes du village nous accompagnaient et marchaient derrière nous. On allait bien doucement, on ne parlait presque pas, et tout le monde avait l’air triste. J’entendais dire parfois:—Il était bien doux... Il n’avait point de défaut... Pauvre Georget!...

      Personne ne disait: Il était bien honnête homme! car dans nos montagnes on ne trouve cela que naturel.

      On plante une croix sur la tombe de mon père, et on écrit dessus son nom et son âge; on ne prononce point de discours sur ses cendres, mais tout le monde verse des larmes, et j’ai appris depuis que cela valait mieux qu’un discours.

      Ma pauvre mère! comme elle pleure en nous revoyant! comme elle nous embrasse en s’écriant:—Vous êtes toute ma consolation!... Nous partageons sa peine; et cent fois par jour nos yeux cherchent encore notre père, à cette place où il avait l’habitude de s’asseoir.

      Mais le temps adoucit bien vite les peines de l’enfance. Au bout de quelques semaines nous nous livrons de nouveau à nos jeux. Ma mère seule est toujours bien triste, quoiqu’elle ne pleure plus autant. Cette bonne mère travaille sans cesse... à peine si elle prend quelques heures de repos. C’est pour nous nourrir qu’elle se donne tant de mal. J’entends souvent les habitants du village lui dire:—Il faut envoyer vos deux aînés à Paris; ils sont assez grands pour faire ce voyage. Ils feront comme les autres: ils gagneront de l’argent, et vous en enverront. Ils reviendront ensuite au pays... Allons, la mère Georget, suivez notre conseil... Vous ne pourrez pas nourrir ces trois garçons-là; quand vous vous rendrez malade à force de travailler, cela ne vous avancera guère.

      —Oui... oui... dit ma mère, je sais bien qu’il faudra... Mais me séparer de mes enfants! Ah! je n’en ai point le courage.—Vous garderez le petit Jacques avec vous.—Mais André, Pierre, je ne les verrai plus.

      Et ma mère nous regardait en soupirant; puis elle travaillait avec encore plus d’ardeur. Mais je trouvais, moi, que nos voisins avaient raison; car je souffrais de voir ma mère se donner autant de peine et de ne point pouvoir l’aider, ainsi que mes frères. Quelquefois je servais de guide à un voyageur; mais cela arrivait si rarement!—Laissez-nous partir pour la grande ville, Pierre et moi, disais-je souvent, nous gagnerons beaucoup d’argent, et ce sera pour vous.—Tu veux donc me quitter, André?—C’est pour vous rendre un jour bien heureuse.

      Ma mère nous embrasse, mais elle diffère toujours. Cependant le temps s’écoule; il y a déjà six mois que notre bon père est mort. Je vois que ma mère se prive de tout pour nous soutenir; et je suis décidé à partir pour Paris. J’ai huit ans et quelques mois, j’ai du courage; j’ai surtout ce désir ardent de travailler, de gagner ma vie, qui supplée à nos forces physiques, et fait que l’être le plus faible laisse derrière lui le lâche et le paresseux, auxquels la nature accorde souvent d’inutiles faveurs.

      Pierre a près de sept ans. Je lui parle en cachette de ce Paris, où il faut nous rendre. Il n’est point aussi empressé que moi de partir. Cependant Pierre veut aussi aider notre mère; mais l’idée