André le Savoyard. Paul de Kock. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Paul de Kock
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066081003
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ne m’a pas plutôt vu tournant sur la barrière, qu’il grimpe à califourchon et se met en croupe derrière moi. Puis nous donnons le mouvement, et nous voilà nous ébattant à qui mieux mieux sur le morceau de bois qui nous fait tourner autour du poteau. Nous ne remarquons pas que ce poteau est placé tout près d’un précipice, et qu’en nous faisant aller de toute notre force sur la barrière, nous pourrions, si nous perdions l’équilibre lorsqu’elle revient sur le bord, rouler à plus de trente pieds, et nous casser bras et jambes sur les rochers; mais nous ne voyons plus le danger, et ce qui un moment auparavant nous causait de si vives alarmes est devenu pour nous une source de plaisirs.

      Comme il faut que tout ait une fin, après être restés près de trois quarts d’heure sur cette nouvelle balançoire, je descends et je dis à Pierre:—Il faut nous remettre en route, mon frère.—Ah! encore un peu... c’est si amusant!—Et coucher? et souper?...—Oh! je n’ai plus ni faim ni envie de dormir... André, fais-moi aller, je t’en prie!—Non, en voilà assez, il faut arriver au village.

      J’ai bien de la peine à déterminer Pierre à descendre de dessus la barrière; il cède cependant en répétant:—Quel dommage!... comme c’était amusant!

      Nous nous remettons en marche; mais cette fois c’est en riant, en chantant; la frayeur a disparu, le jeu nous a ôté de la tête toutes les visions causées par le clair de lune; et maintenant, quand nous apercevons de loin quelque chose qui semble remuer, Pierre s’écrie en sautant de joie:—Ah! si c’était encore une balançoire!... Qu’il faut peu de chose pour nous faire envisager les objets sous un aspect différent!.......

      Nous sommes arrivés au bourg que l’on m’a indiqué, et cette fois le chemin ne nous a pas paru long. Mais il est sans doute tard, car je n’aperçois pas de lumière dans les maisons.—Vois-tu! dis-je à Pierre, nous sommes restés trop longtemps à cheval sur la barrière. Je ne sais pas où il faut frapper pour demander à coucher et à souper.—Il faut frapper à une maison...—Oui, mais dans toutes les maisons on ne donne pas à coucher!...—Bah!... nous leur chanterons quelque chose... ou ben tu ramoneras, toi.—Est-ce qu’on ramone la nuit?... Cette bonne dame où nous avons passé ce matin m’avait dit d’aller à l’auberge, qu’on y couchait les Savoyards pour deux sous dans une belle grange, avec un morceau de fromage.—Il faut y aller...—Mais je ne sais à qui demander... Viens, Pierre, on dit que c’est une grande maison; cherchons-en une belle.

      Nous voilà parcourant le bourg, qui est assez considérable, et regardant toutes les maisons au clair de la lune. J’en aperçois une qui me semble bien plus belle que les autres, et je dis à Pierre:—C’est sans doute l’auberge... frappons.

      Nous cognons avec nos pieds et nos poings contre la porte de la maison. Aussitôt nous entendons les aboiements d’un chien qui accourt tout contre la porte à laquelle nous avons frappé, et qui fait un bruit épouvantable. Pierre, effrayé, s’éloigne de la maison, dont il ne veut plus approcher; je cours après lui pour le rassurer, mais les aboiements du chien ont réveillé les autres. Tous les mâtins du bourg semblent se répondre: de quelque côté que nous nous sauvions, nous entendons près de nous japper avec fureur, et Pierre est tremblant, parce qu’il croit avoir après lui tous les dogues de l’endroit; il veut à toute force quitter le village.

      —Viens, André, me dit-il, allons-nous-en... Il n’y a que des chiens dans cet endroit-ci... Oh! j’aime mieux coucher sur la route...—N’aie donc pas peur!... Tous ces chiens-là sont pour garder les maisons; mais ils ne nous feront pas de mal, nous ne sommes pas des voleurs!... Est-ce qu’il faut trembler comme ça? Attends, voilà encore une belle maison, je vais frapper plus doucement, pour que les chiens ne m’entendent pas.

      Je cogne un petit coup contre la porte: on ne répond pas. Je continue de cogner; mais le bruit que font les chiens empêche qu’on ne m’entende. Cependant on ouvre une fenêtre à quelques pas de moi, puis une autre dans une maison à côté: j’entends des voix, et bientôt la conversation s’établit d’une croisée à l’autre.

      —Dieu! queu tapage font tous ces mâtins!... queu qu’ils ont donc cette nuit pour être en l’air comme ça?...—Ah! c’est toi, Claudine! t’es donc réveillée aussi?—Est-ce qu’on peut dormir avec ce charivari?... Et toi, est-ce ton mari ou les chiens qui t’ont éveillée?—Mon mari!... Ah ben! on lui tirerait le canon dans l’oreille qu’il n’ bougerait pas plus qu’une bûche!... i’ n’est pus jamais gai la nuit. Tiens, Jeanne, si tu te remaries, ne prends pas un plâtrier!... I gnia rien de plus traître que ça... C’est un état trop fatigant, vois-tu: Michel est un bonhomme, mais i’ n’rit que le dimanche!...—Ah! c’est ben triste!... j’ tâcherai d’épouser un couvreur, ils sont ben plus aimables.

      Pendant la conversation de ces dames, le bruit a cessé. Je veux m’approcher d’elles et leur parler; mais elles viennent de refermer leur croisée. Je retourne à la grande maison, je frappe encore... Enfin, on ouvre une fenêtre: une vieille figure presque cachée sous un grand bonnet de laine se montre et demande avec colère:

      —Qui est-ce qui ose frapper chez M. le maire à l’heure qu’il est?

      —C’est nous, madame...—Qui, vous?—André et Pierre...—Qu’est-ce qu’ils veulent, André et Pierre?—Nous sommes de petits Savoyards... Avez-vous une cheminée à faire nettoyer?... Voulez-vous nous ouvrir, nous chanterons la petite chanson, et nous danserons nous deux mon frère pour un peu de pain et de fromage...—Ah! les petits drôles!... Ah! les mauvais sujets, qui viennent réveiller des gens comme nous!... pour leur proposer de les voir danser! Si je vous retrouve demain, je vous ferai danser, moi. Du fromage!... du fromage!... à ces polissons!... Allez-vous-en bien vite, et que je ne vous entende plus. Venir la nuit!... ramoner... chez M. le maire!...

      La vieille femme est rentrée en murmurant des menaces contre nous. Je retourne tristement près de mon frère.

      —André, me dit-il, ces gens-là sont bien méchants, ils ne veulent pas nous ouvrir... Pourquoi donc ça? Et quand on frappait la nuit à notre chaumière, mon père ouvrait toujours; il partageait son souper, sans faire ramoner sa cheminée, et sans savoir si on lui chanterait quelque chose. Pourquoi ces gens-là ne sont-ils pas comme mon père?—Ah! dame! je ne sais pas!...—Ça sera-t-il comme ça à Paris?—Oh! non! à Paris on aime bien les Savoyards, parce qu’on a beaucoup de cheminées à faire ramoner.

      Tout en causant avec mon frère, j’aperçois, à côté d’une petite maisonnette de bien chétive apparence, une espèce d’écurie dans laquelle sont plusieurs monceaux de paille et des instruments de jardinage. Il n’y a point de porte qui ferme cet endroit; j’entre tout doucement, en faisant signe à Pierre de me suivre. Il n’ose pas.—Il y a peut-être encore des chiens, me dit-il en restant à la porte. J’entre seul... je m’assieds sur la paille, et Pierre, voyant qu’il n’y a pas de danger, se décide enfin à entrer, et vient s’asseoir près de moi.

      —Oh! qu’on est bien là, André!—Nous allons y passer la nuit.—Mais si on nous gronde demain?—Non, non, puisqu’il n’y a pas de porte, c’est qu’on veut bien permettre d’y entrer. N’aie pas peur, Pierre... Nous serons aussi bien là que dans leur maison, et on ne nous dira rien.

      Pierre se rassure; d’ailleurs il est las, et il a sommeil. Comment quitter cette paille, sur laquelle nous sommes si douillettement!... Mon frère se couche à mon côté; je passe un de mes bras autour de lui, pour le sentir toujours près de moi; je mets mon autre main sur le médaillon, que je porte sous ma veste, afin qu’on ne puisse pas me l’enlever, car je suis fier de porter un objet si précieux. Plus tranquille de cette manière, je ne tarde pas à imiter Pierre, et nous nous endormons profondément.

       NOTRE DÉBUT.—PREMIER EXPLOIT DE PIERRE

       Table des matières

      Quand nous nous éveillons, le soleil est levé depuis