—Et pourquoi, mes enfants? me répondit le vieillard; reposez-vous tant que vous voudrez... Ne craignez pas de me gêner. Mais il fallait frapper à une chaumière, vous auriez été mieux et plus chaudement pour la nuit.—Ah! monsieur, nous n’avons pas osé... Nous avions déjà été quelque part, où nous avions été refusés et appelés polissons, parce que nous demandions à coucher et un peu de fromage sur not’ pain, et cependant, pour cela, nous aurions dansé et chanté, mon frère et moi.—Pauvres petits! Mais... où donc avez-vous frappé?—A la plus belle maison de l’endroit.—Mes enfants, c’était à la plus simple, à la plus modeste qu’il fallait vous adresser, on ne vous aurait pas chassés. Une autre fois, souvenez-vous de mon conseil: quand vous irez demander l’hospitalité, allez frapper aux chaumières, et non pas aux grandes maisons.
Pierre vient enfin d’ouvrir les yeux. J’ai bien de la peine à le décider à quitter notre lit. Il appelle Jacques et notre mère, il se croit encore chez nous. Il demande à déjeuner... Je le pousse, je le secoue.—Pierre, éveille-toi donc tout à fait... Nous ne sommes plus chez nous... Nous allons à Paris...
Il me regarde en se frottant les yeux. Il pousse un gros soupir.—Nous n’allons donc pas déjeuner, André?
—Si, mes enfants, nous dit le bon vieillard, vous allez déjeuner avec moi, et vous ne vous remettrez en route que lorsque vous aurez pris des forces pour longtemps.
Ces mots ont entièrement réveillé Pierre; nous suivons gaiement ce bon monsieur, qui nous fait entrer dans sa petite maisonnette. Là, nous voyons sur une table du lait, des œufs, du fromage et du pain blanc. Nous nous regardons en riant, Pierre et moi. Quel doux réveil! comme nous allons nous régaler!
Le vieillard nous fait asseoir devant la table.—Mangez, nous dit-il, reprenez des forces, mes enfants. Il y a loin d’ici à Paris! Mais à votre âge on doit faire la route en jouant et en chantant.
Nous ne nous sommes pas fait répéter l’invitation de notre hôte: nous dévorons le déjeuner qui est devant nous, et nous ne nous arrêtons que lorsque la respiration commence à nous manquer.
—Ah! que c’est bon du pain dans du lait! dit Pierre, qui regrette de ne pouvoir manger davantage. Je remercie ce bon vieillard, qui met dans nos sacs ce que nous avons laissé du déjeuner, puis nous conduit lui-même sur la route que nous devons prendre, et nous embrasse tendrement avant de nous quitter.
Nous voici de nouveau en chemin; mais le déjeuner que nous venons de faire nous a égayé l’imagination, nous voyons tout en rose. Quelle influence l’estomac a sur l’esprit! comme on est plus aimable, plus humain, plus généreux, plus sociable en sortant de table! et comme les hommes doivent avoir de la bienveillance, de l’aménité les uns pour les autres dans ce siècle où l’on dîne si bien, et où le Cuisinier Royal est à sa quatorzième édition!
Nous ne nous arrêtons que pour manger nos provisions et, vers le soir, nous arrivons sans accident à un village que le bon vieillard nous a indiqué le matin en nous disant d’y demander Joseph, qui doit nous donner à coucher. En effet, sur sa recommandation, nous sommes accueillis et logés dans une grange; mais j’apprends que la bande de montagnards a passé la veille, et ne s’est point arrêtée dans le village. Chaque instant nous éloigne davantage de ceux que nous voulons rejoindre. Comment faire? Pierre ne veut pas aller plus vite; je ne puis parvenir à l’éveiller avant le point du jour, et les autres ne nous attendront pas.—Ma foi! nous ferons la route sans eux, dis-je en me couchant près de mon frère; nous sommes assez grands pour aller seuls, et en demandant notre chemin nous saurons bien trouver ce Paris que tout le monde connaît.
Le lendemain, c’est la même cérémonie pour décider Pierre à se remettre en route. Si je le laissais faire, ce garçon-là passerait sa journée à dormir. Nous n’avons pas un déjeuner aussi bon que la veille, mais on nous donne du pain pour emporter; et je pousse Pierre pour qu’il remercie nos hôtes, ce qu’il fait d’assez mauvaise grâce et en lorgnant du coin de l’œil un fromage placé sur une planche et auquel on ne nous a pas fait goûter.
—Pierre, lui dis-je quand nous sommes en route, si tu n’es pas plus honnête, on ne nous donnera plus rien dans les maisons où nous nous arrêterons.—Pourquoi ne nous ont-ils pas donné de ce grand fromage jaune... qui sentait si bon?—C’est encore bien poli de nous avoir donné du pain, car nous n’avons rien fait chez eux, ni ramoné, ni chanté; tu veux qu’on te donne sans travailler, toi?
M. Pierre ne dit rien, il fait la moue, il est de mauvaise humeur pendant toute la route; il veut s’arrêter à chaque instant, et se plaint de son talon. Tout cela, parce qu’il est mécontent de son déjeuner.
Vers la brune, nous apercevons la ville de Pont-de-Beauvoisin. Tiens, vois-tu, dis-je à Pierre, nous avons déjà fait beaucoup de chemin!... C’est une grande ville, cela...—Sommes-nous à Paris?—Oh! non, mais nous approchons... Oh! il y a de belles maisons là... et de grandes cheminées... Allons, mon frère, c’est là qu’il faut commencer à gagner de l’argent... ne va pas faire le paresseux, surtout!...
Pierre roule ses yeux autour de lui d’un air qui n’annonce pas qu’il ait grande envie de m’obéir, et pendant que je saute de joie en entrant dans la ville, et que je commence à crier de toute ma force:—Ramoneurs de cheminées!... faut-il des ramoneurs?... j’aperçois mon frère qui tire la langue et fait des grimaces aux personnes qui se mettent à leur croisée.
—Pierre, veux-tu finir...—Quoi donc? je ne fais rien.—Je te vois bien te moquer du monde, faire la grimace: c’est bon, nous n’aurons ni à coucher ni à souper, et on nous chassera de la ville comme des mauvais sujets.
Pierre se tient plus tranquille; je recommence à crier:—Voilà des ramoneurs! En ce moment, nous nous trouvions devant la boutique d’un pâtissier-rôtisseur-restaurateur. Le maître prenait le frais en fumant sa pipe devant sa porte. Il nous regarde en souriant:—Ah! ah! voilà des enfants qui vont à Paris peut-être?...—Oui, monsieur... avez-vous des cheminées à faire ramoner?...—Allons, je veux essayer votre talent... Entrez, mes enfants... Marguerite!... Marguerite!... conduis-les à la cuisine et à la chambre du premier; ils ramoneront chacun une cheminée...
Le pâtissier nous a fait entrer chez lui. Pierre lorgne les petits pâtés qu’il aperçoit dans la salle basse. Une jeune fille arrive et demande à M. Boulette (c’est le nom du pâtissier) ce qu’il faut faire de nous. Il lui renouvelle l’ordre de nous conduire aux cheminées, et retourne fumer sa pipe sur sa porte.
—Allons, venez, petits, nous dit la jeune servante en marchant devant nous. Suivez-moi, et tâchez de ne point faire trop de poussière.
J’ai bien de la peine à faire avancer Pierre, qui semble cloué au milieu des petits pâtés. Je le force cependant à marcher devant moi; nous arrivons dans la cuisine.—Tiens, ramone celle-là, me dit la servante, tu es le plus grand, et c’est celle où il doit y avoir le plus d’ouvrage. Toi, petit, viens ramoner l’autre.
La jeune fille fait signe à Pierre, qui ne bouge pas, et se contente de chercher dans tous les coins de la cuisine s’il apercevra encore quelque galette.
—Va donc avec mamzelle, lui dis-je en le poussant—Est-ce qu’il ne sait pas ramoner? dit la servante.—Si, si, mamzelle; mais comme il est un peu petit, je vais aller avec vous, seulement pour l’aider à grimper.—Oh! le nigaud! j’en ai vu de bien plus petits que lui qui grimpaient comme des chats!
Je prends mon frère par le bras, il me suit sans ouvrir la bouche; nous arrivons dans la chambre de M. Boulette, et la servante lui montre la cheminée. Pierre devient rouge jusqu’aux oreilles, et je vois qu’il a envie de pleurer.
—Allons, Pierre, ôte tes souliers... mets là ton sac, accroche ton grattoir à ta ceinture, et monte là-dedans... Elle n’est pas ben haute.—Je ne veux pas!... me dit Pierre en mettant la