Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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jusqu'aux pieds du lit, cherchant des miettes sur le

       sol.

       [15] Les amis de Toine-ma-Fine désertèrent bientôt la salle

       du café, pour venir, chaque après-midi, faire la causette

       autour du lit du gros homme. Tout couché qu'il était, ce

       farceur de Toine, il les amusait encore. Il aurait fait

       rire le diable, ce malin-là. Ils étaient trois qui reparaissait

       [20] tous les jours: Célestin Maloisel, un grand maigre,

       un peu tordu comme un tronc de pommier, Prosper Horslaville,

       un petit sec avec un nez de furet, malicieux, futé

       comme un renard, et Césaire Paumelle, qui ne parlait

       jamais, mais qui s'amusait tout de même.

       [25] On apportait une planche de la cour, on la posait au

       bord du lit et on jouait aux dominos pardi, et on faisait

       de rudes parties, depuis deux heures jusqu'à six.

       Mais la mère Toine devint bientôt insupportable. Elle

       ne pouvait point tolérer que son gros faignant d'homme

       [30] continuât à se distraire, en jouant aux dominos dans son

       lit; et chaque fois qu'elle voyait une partie commencée,

       elle s'élançait avec fureur, culbutait la planche,

      

      saisissait le jeu, le rapportait dans le café et déclarait que

       c'était assez de nourrir ce gros suiffeux à ne rien faire

       sans le voir encore se divertir comme pour narguer le

       pauvre monde qui travaillait toute la journée.

       [5] Célestin Maloisel et Césaire Paumelle courbaient la

       tête, mais Prosper Horslaville excitait la vieille, s'amusait

       de ses colères.

       La voyant un jour plus exaspérée que de coutume, il

       lui dit:

       [10]--Hé! la mé, savez-vous c'que j'f'rais, mé, si j'étais de

       vous?

       Elle attendit qu'il s'expliquât, fixant sur lui son oeil de

       chouette.

       Il reprit:

       [15]--Il est chaud comme un four, vot'homme, qui n'sort

       point d'son lit. Eh ben, mé, j'li f'rais couver des oeufs.

       Elle demeura stupéfaite, pensant qu'on se moquait

       d'elle, considérant la figure mince et rusée du paysan qui

       continua:

       [20]--J'y en mettrais cinq sous un bras, cinq sous l'autre,

       l'même jour que je donnerais la couvée à une poule. Ça

       naîtrait d'même. Quand ils seraient éclos j'porterais à

       vot' poule les poussins de vot' homme pour qu'a les élève.

       Ça vous en f'rait de la volaille, la mé!

       [25] La vieille interdite demanda:

       --Ça se peut-il?

       L'homme reprit:

       --Si ça s'peut! Pourqué que ça n'se pourrait point!

       Pisqu'on fait ben couver des oeufs dans une boite chaude,

       [30] on peut en mett' couver dans un lit.

       Elle fut frappée par ce raisonnement et s'en alla, songeuse

       et calmée.

      

      Huit jours plus tard elle entra dans la chambre de Toine

       avec son tablier plein d'oeufs. Et elle dit:

       --J'viens d'mett' la jaune au nid avec dix oeufs. En

       v'là dix pour té. Tâche de n'point les casser.

       [5] Toine éperdu, demanda:

       --Qué que tu veux?

       Elle répondit:

       --J'veux qu'tu les couves, propre à rien.

       Il rit d'abord; puis, comme elle insistait, il se fâcha, il

       [10] résista, il refusa résolument de laisser mettre sous ses gros

       bras cette graine de volaille que sa chaleur ferait éclore.

       Mais la vieille, furieuse, déclara:

       --Tu n'auras point d'fricot tant que tu n'les prendras

       point. J'verrons ben c'qu'arrivera.

       [15] Toine, inquiet, ne répondit rien.

       Quand il entendit sonner midi, il appela:

       --Hé! la mé, la soupe est-elle cuite?

       La vieille cria de sa cuisine:

       --Y a point de soupe pour té, gros faigniant.

       [20] Il crut qu'elle plaisantait et attendit, puis il pria,

       supplia, jura, fit des «va-t-au nord et des va-t-au sud»

       désespérés, tapa la muraille à coups de poing, mais il dut se

       résigner à laisser introduire dans sa couche cinq oeufs

       contre son flanc gauche. Après quoi il eut sa soupe.

       [25] Quand ses amis arrivèrent, ils le crurent tout à fait

       mal, tant il paraissait drôle et gêné.

       Puis on fit la partie de tous les jours. Mais Toine semblait

       n'y prendre aucun plaisir et n'avançait la main

       qu'avec des lenteurs et des précautions infinies.

       [30]--T'as donc l'bras noué, demandait Horslaville.

       Toine répondit:

       --J'ai quasiment t'une lourdeur dans l'épaule.

      

      Soudain, on entendit entrer dans le café, les joueurs se

       turent.

       C'était le maire avec l'adjoint. Ils demandèrent deux

       verres de fine et se mirent à causer des affaires du pays.

       [5] Comme ils parlaient à voix basse, Toine Brûlot voulut

       coller son oreille contre le mur, et, oubliant ses oeufs, il

       fit un brusque «va-t-au nord» qui le coucha sur une

       omelette.

       Au juron qu'il poussa, la mère Toine accourut, et

       [10] devinant le désastre, le découvrit d'une secousse. Elle

       demeura d'abord immobile, indignée, trop suffoquée pour

       parler devant le cataplasme jaune collé sur le flanc de son

       homme.

       Puis, frémissant de fureur, elle se rua sur le paralytique

       [15] et se mit à lui taper de grands coups sur le ventre, comme

       lorsqu'elle lavait son linge au bord de la mare. Ses mains

       tombaient l'une après l'autre avec un bruit sourd, rapides