Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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les minutes.

      Le père était parti depuis une heure et demie. Il avait

       atteint la ville maintenant. Elle croyait le voir. Il racontait

       la chose à M. Lavigne, qui pâlissait d'émotion et

       sonnait sa bonne pour avoir on uniforme et ses armes;

       [5] Elle entendait, lui semblait-il, le tambour courant par les

       rues. Les têtes effarées apparaissaient aux fenêtres. Les

       soldats citoyens sortaient de leurs maisons, à peine vêtus,

       essoufflés, bouclant leurs ceinturons, et partaient, au pas

       gymnastique, vers la maison du commandant.

       [10] Puis la troupe, l'Échasse en tête, se mettait en marche,

       dans la nuit, dans la neige, vers la forêt.

       Elle regardait l'horloge. «Ils peuvent être ici dans une

       heure.»

       Une impatience nerveuse l'envahissait. Les minutes

       [15] lui paraissaient interminables. Comme c'était long!

       Enfin, le temps qu'elle avait fixé pour leur arrivée fut

       marqué par l'aiguille.

       Et elle ouvrit de nouveau la porte, pour les écouter

       venir. Elle aperçut une ombre marchant avec

       [20] précaution. Elle eut peur, poussa un cri. C'était son

       père.

       Il dit:

       --Ils m'envoient pour voir s'il n'y a rien de changé.

       --Non, rien.

       [25] Alors, il lança à son tour, dans la nuit, un coup de sifflet

       strident et prolongé. Et, bientôt, on vit une chose brune

       qui s'en venait, sous les arbres, lentement: l'avant-garde

       composée de dix hommes.

       L'Échasse répétait à tout instant:

       [30]--Passez pas devant le soupirail.

       Et les premiers arrivés montraient aux nouveaux venus

       le soupirail redouté.

      

      Enfin le gros de la troupe se montra, en tout deux cents

       hommes, portant chacun deux cents cartouches.

       M. Lavigne, agité, frémissant, les disposa de façon à cerner

       de partout la maison en laissant un large espace libre

       [5] devant le petit trou noir, au ras du sol, par où la cave

       prenait de l'air.

       Puis il entra dans l'habitation et s'informa de la force

       et de l'attitude de l'ennemi, devenu tellement muet qu'on

       aurait pu le croire disparu, évanoui, envolé par le soupirail.

       [10] M. Lavigne frappa du pied la trappe et appela:

       --Monsieur l'officier prussien?

       L'Allemand ne répondit pas.

       Le commandant reprit:

       --Monsieur l'officier prussien?

       [15] Ce fut en vain. Pendant vingt minutes il somma cet

       officier silencieux de se rendre avec armes et bagages, en

       lui promettant la vie sauve et les honneurs militaires pour

       lui et ses soldats. Mais il n'obtint aucun signe de consentement

       ou d'hostilité. La situation devenait difficile.

       [20] Les soldats-citoyens battaient la semelle dans la neige,

       se frappaient les épaules à grands coups de bras, comme

       font les cochers pour s'échauffer, et ils regardaient le

       soupirail avec une envie grandissante et puérile de passer

       devant.

       [25] Un d'eux, enfin, se hasarda, un nommé Potdevin qui

       était très souple. Il prit son élan et passa en courant

       comme un cerf. La tentative réussit. Les prisonniers

       semblaient morts.

       30 ~~Y a personne.

       Et un autre soldat traversa l'espace libre devant le trou

       dangereux. Alors ce fut un jeu. De minute en minute, un

      homme se lançant, passait d'une troupe dans l'autre

       comme font les enfants en jouant aux barres, et il lançait

       derrière lui des éclaboussures de neige tant il agitait vivement

       les pieds. On avait allumé, pour se chauffer, de

       [5] grands feux de bois mort, et ce profil courant du garde

       national apparaissait illuminé dans un rapide voyage du

       camp de droite au camp de gauche.

       Quelqu'un cria:

       --A toi, Maloison.

       [10] Maloison était un gros boulanger dont le ventre donnait

       à rire aux camarades.

       Il hésitait. On le blagua. Alors, prenant son parti il

       se mit en route, d'un petit pas gymnastique régulier et

       essoufflé, qui secouait sa forte bedaine.

       [15] Tout le détachement riait aux larmes. On criait pour

       l'encourager:

       --Bravo, bravo, Maloison!

       Il arrivait environ aux deux tiers de son trajet quand

       une flamme longue, rapide et rouge, jaillit du soupirail.

       [20] Une détonation retentit, et le vaste boulanger s'abattit

       sur le nez avec un cri épouvantable.

       Personne ne s'élança pour le secourir. Alors on le vit se

       trainer à quatre pattes dans la neige en gémissant, et,

       quand il fut sorti du terrible passage, il s'évanouit.

       [25] Il avait une balle dans le gras de la cuisse, tout en haut.

       Après la première surprise et la première épouvante, un

       nouveau rire s'éleva.

       Mais le commandant Lavigne apparut sur le seuil de

       la maison forestière. Il venait d'arrêter son plan d'attaque.

       [30] Il commanda d'une voix vibrante:

       --Le zingueur Planchut et ses ouvriers.

      Trois hommes s'approchèrent.

       ~-Descellez les gouttières de la maison.

       Et en un quart d'heure on eut apporté au commandant

       vingt mètres de gouttières.

       [5] Alors il fit pratiquer, avec mille précautions de prudence,

       un petit trou rond dans le bord de la trappe, et, organisant

       un conduit d'eau de la pompe à cette ouverture, il déclara

       d'un