Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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sans repos, appelant de

       toute sa force le frêle marmot attendu. Des gamins

       montaient sur les fossés; des gens apparaissaient aux

      

      barrières; des filles de ferme restaient debout entre deux

       seaux pleins de lait qu'elles posaient à terre pour regarder

       le baptême.

       Et la garde, triomphante, portait son fardeau vivant,

       [5] évitait les flaques d'eau dans les chemins creux, entre les

       talus plantés d'arbres. Et les vieux venaient avec cérémonie,

       marchant un peu de travers, vu l'âge et les douleurs;

       et les jeunes avaient envie de danser, et ils regardaient les

       filles qui venaient les voir passer; et le père et la mère

       [10] allaient gravement, plus sérieux, suivant cet enfant qui

       les remplacerait, plus tard, dans la vie, qui continuerait

       dans le pays leur nom, le nom des Dentu, bien connu par

       le canton.

       Ils débouchèrent dans la plaine et prirent à travers les

       [15] champs pour éviter le long détour de la route.

       On apercevait l'église maintenant, avec son clocher

       pointu. Une ouverture le traversait juste au-dessous du

       toit d'ardoises; et quelque chose, remuait là-dedans, allant

       et venant d'un mouvement vif, passant et repassant

       [20] derrière l'étroite fenêtre. C'était la cloche qui sonnait

       toujours, criant au nouveau-né de venir, pour la première

       fois, dans la maison du Bon Dieu.

       Un chien s'était mis à suivre. On lui jetait des dragées,

       il gambadait autour des gens.

       [25] La porte de l'église était ouverte. Le prêtre, un grand

       garçon à cheveux rouges, maigre et fort, un Dentu aussi,

       lui, oncle du petit, encore un frère du père, attendait

       devant l'autel. Et il baptisa suivant les rites son neveu

       Prosper-César, qui se mit à pleurer en goûtant le sel

       [30] symbolique.

       Quand la cérémonie fut achevée, la famille demeura sur

       le seuil pendant que l'abbé quittait son surplis; puis on se

      

      remit en route. On allait vite maintenant, car on pensait

       au diner. Toute la marmaille du pays suivait, et, chaque

       fois qu'on lui jetait une poignée de bonbons, c'était une

       mêlée furieuse, des luttes corps à corps, des cheveux arrachés;

       [5] et le chien aussi se jetait dans le tas pour ramasser

       les sucreries, tiré par la queue, par les oreilles, par les

       pattes, mais plus obstiné que les gamins.

       La garde un peu lasse, dit à l'abbé qui marchait auprès

       d'elle:

       [10]--Dites donc, m'sieu le curé, si ça ne vous opposait

       pas de m'tenir un brin vot'neveu pendant que je m'dégourdirai.

       J'ai quasiment une crampe dans les estomacs.

       Le prêtre prit l'enfant, dont la robe blanche faisait une

       grande tache éclatante sur la soutane noire, et il l'embrassa,

       [15] gêné par ce léger fardeau, ne sachant comment le tenir,

       comment le poser. Tout le monde se mit à rire. Une des

       grand'mères demanda de loin:

       --Ça ne t'fait-il point deuil, dis, l'abbé, qu'tu n'en

       auras jamais comme ça?

       [20] Le prêtre ne répondit pas. Il allait à grandes enjambées,

       regardant fixement le moutard aux yeux bleus, dont

       il avait envie d'embrasser encore les joues rondes. Il n'y

       tint plus, et, le levant jusqu'à son visage, il le baisa

       longuement.

       [25] Le père cria:

       --Dis donc, curé, si t'en veux un, t'as qu'à le dire.

       Et on se mit à plaisanter, comme plaisantent les gens

       des champs.

       Dès qu'on fut assis à table, la lourde gaieté campagnarde

       [30] éclata comme une tempête. Les deux autres fils allaient

       aussi se marier; leurs fiancées étaient là, arrivées seulement

       pour le repas; et les invités ne cessaient de lancer des

      allusions à toutes les générations futures que promettaient

       ces unions.

       C'étaient des gros mots, fortement salés, qui faisaient

       ricaner les filles rougissantes et se tordre les hommes. Ils

       [5] tapaient du poing sur la table, poussaient des cris. Le

       père et le grand-père ne tarissaient point en propos polissons.

       La mère souriait; les vieilles prenaient leur part de

       joie et lançaient aussi des gaillardises.

       Le curé, habitué à ces débauches paysannes, restait tranquille,

       [10] assis à côté de la garde, agaçant du doigt la petite

       bouche de son neveu pour le faire rire. Il semblait surpris

       par la vue de cet enfant, comme s'il n'en avait jamais

       aperçu. Il le considérait avec une attention réfléchie,

       avec une gravité songeuse, avec une tendresse inconnue,

       [15] singulière, vive et un peu triste, pour ce petit être fragile

       qui était le fils de son frère.

       Il n'entendait rien, il ne voyait rien, il contemplait

       l'enfant. Il avait envie de le prendre encore sur ses genoux,

       car il gardait, sur sa poitrine et dans son coeur, la sensation

       [20] douce de l'avoir porté tout à l'heure, en revenant de l'église.

       Il restait ému devant cette larve d'homme comme devant

       un mystère ineffable auquel il n'avait jamais pensé, un

       mystère auguste et saint, l'incarnation d'une âme nouvelle,

       le grand mystère de la vie qui commence, de l'amour

       [25] qui s'éveille, de la race qui se continue, de l'humanité qui

       marche toujours.

       La garde mangeait, la face rouge, les yeux luisants, gênée

       par le petit qui l'écartait de la table.

       L'abbé lui dit:

       [30]--Donnez-le-moi. Je n'ai pas faim.

       Et il reprit l'enfant. Alors tout disparut autour de

       lui, tout s'effaça: et il restait les yeux fixés sur