Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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      --Vous n'avez plus rien à dire?

       --Non, pu rien; l'compte est juste: j'en ai tué seize, pas

       un de pus, pas un de moins.

       --Vous savez que vous allez mourir?

       [5]--J'vous ai pas d'mandé de grâce.

       --Avez-vous été soldat?

       --Oui. J'ai fait campagne, dans le temps. Et puis,

       c'est vous qu'avez tué mon père, qu'était soldat de

       l'Empereur premier. Sans compter que vous avez tué mon

       [10] fils cadet, François, le mois dernier, auprès d'Évreux. Je

       vous en devais, j'ai payé. Je sommes quittes.

       Les officiers se regardaient.

       Le vieux reprit:

       --Huit pour mon père, huit pour mon fieu, je sommes

       [15] quittes. J'ai pas été vous chercher querelle, mé! J'vous

       connais point! J'sais pas seulement d'où qu'vous v'nez.

       Vous v'là chez mé, que vous y commandez comme si

       c'était chez vous. Je m'suis vengé su l's autres. J'm'en

       r'pens point.

       [20] Et, redressant son torse ankylosé, le vieux croisa ses

       bras dans une pose d'humble héros.

       Les Prussiens se parlèrent bas longtemps. Un capitaine,

       qui avait aussi perdu son fils, le mois dernier, défendait ce

       gueux magnanime.

       [25] Alors le colonel se leva et, s'approchant du père Milon,

       baissant la voix:

       --Écoutez, le vieux, il y a peut-être un moyen de vous

       sauver la vie, c'est de...

       Mais le bonhomme n'écoutait point, et, les yeux plantés

       [30] droit sur l'officier vainqueur, tandis que le vent agitait les

       poils follets de son crâne, il fit une grimace affreuse qui

       crispa sa maigre face toute coupée par la balafre, et,

      gonflant sa poitrine, il cracha, de toute sa force, en pleine

       figure du Prussien.

       Le colonel, affolé, leva la main, et l'homme, pour la

       seconde fois, lui cracha par la figure.

       [5] Tous les officiers s'étaient dressés et hurlaient des ordres

       en même temps.

       En moins d'une minute, le bonhomme, toujours impassible,

       fut collé contre le mur et fusillé, alors qu'il envoyait

       des sourires à Jean, son fils ainé; à sa bru et aux deux petits,

       [10] qui regardaient, éperdus.

      

       Table des matières

       LE CURÉ DE CUCUGNAN

      Tous les ans, à la Chandeleur, les poètes provençaux

       publient en Avignon un joyeux petit livre rempli jusqu'aux

       bords de beaux vers et de jolis contes. Celui de cette

       année m'arrive à l'instant, et j'y trouve un adorable

       [5] fabliau que je vais essayer de vous traduire en l'abrégeant

       un peu... Parisiens, tendez vos mannes. C'est de la

       fine fleur de farine provençale qu'on va vous servir cette

       fois...

       ........................................................

       L'abbé Martin était curé... de Cucugnan.

       [10] Bon comme le pain, franc comme l'or, il aimait

       paternellement ses Cucugnanais; pour lui, son Cucugnan aurait

       été le paradis sur terre, si les Cucugnanais lui avaient

       donné un peu plus de satisfaction. Mais, hélas! les

       araignées filaient dans son confessionnal, et, le beau jour

       [15] de Pâques, les hosties restaient au fond de son saint-ciboire.

       Le bon prêtre en avait le coeur meurtri, et toujours

       il demandait à Dieu la grâce de ne pas mourir avant

       d'avoir ramené au bercail son troupeau dispersé.

       Or, vous allez voir que Dieu l'entendit.

       [20] Un dimanche, après l'Évangile, M. Martin monta en

       chaire.

       ......................................................

       --Mes frères, dit-il, vous me croirez si vous voulez:

       l'autre nuit, je me suis trouvé, moi misérable pécheur, à

       la porte du paradis.

      

      «Je frappai: saint Pierre m'ouvrit!

       «--Tiens! c'est vous, mon brave monsieur Martin, me

       fit-il; quel bon vent...? et qu'y a-t-il pour votre service?

       «--Beau saint Pierre, vous qui tenez le grand livre et

       [5] la clef, pourriez-vous me dire, si je ne suis pas trop curieux,

       combien vous avez de Cucugnanais en paradis?

       «--Je n'ai rien à vous refuser, monsieur Martin; asseyez-vous,

       nous allons voir la chose ensemble.

       «Et saint Pierre prit son gros livre, l'ouvrit, mit ses

       [10] besicles:

       «--Voyons un peu: Cucugnan, disons-nous. Cu...

       Cu. ..Cucugnan. Nous y sommes. Cucugnan... Mon

       brave monsieur Martin, la page est toute blanche. Pas

       une âme. ..Pas plus de Cucugnanais que d'arêtes dans

       [15] une dinde.

       «--Comment! Personne de Cucugnan ici? Personne?

       Ce n'est pas possible! Regardez mieux...

       «--Personne, saint homme. Regardez vous-même, si

       vous croyez que je plaisante.

       [20] «Moi, pécaïre! je frappais des pieds, et, les mains jointes,

       je criais miséricorde. Alors, saint Pierre:

       «--Croyez-moi, monsieur Martin, il ne faut pas ainsi

       vous mettre le coeur à l'envers, car vous pourriez en avoir

       quelque mauvais-coup de sang. Ce n'est pas votre faute,

       [25] après tout. Vos Cucugnanais, voyez-vous, doivent faire

       à coup sûr leur petite quarantaine en purgatoire.

       «-Ah! par charité, grand saint Pierre! faites que je

       puisse au moins les voir et les consoler.