Contes Français. Divers Auteurs. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Divers Auteurs
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066089320
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--Mé seul.

       --Dites-moi comment vous vous y preniez.

       Cette fois l'homme parut ému; la nécessité de parler

       longtemps le gênait visiblement. Il balbutia:

       [20]--Je sais-ti, mé? J'ai fait ça comme ça s'trouvait.

       Le colonel reprit:

       --Je vous préviens qu'il faudra que vous me disiez

       tout. Vous ferez donc bien de vous décider immédiatement.

       Comment avez-vous commencé?

       [25] L'homme jeta un regard inquiet sur sa famille attentive

       derrière lui. Il hésita un instant encore, puis, tout à coup,

       se décida.

       --Je r'venais un soir, qu'il était p't-être dix heures, le

       lend'main que vous étiez ici. Vous, et pi vos soldats,

       vous m'aviez pris pour pu de chinquante écus de fourrage

       avec une vaque et deux moutons. Je me dis: Tant qu'i

       me prendront de fois vingt écus, tant que je leur y revaudrai

      ça. Et pi j'avais d'autres choses itou su l'coeur, que

       j'vous dirai. V'là qu'j'en aperçois un d'vos cavaliers qui

       fumait sa pipe su mon fossé, derrière ma grange. J'allai

       décrocher ma faux et je r'vins à p'tits pas par derrière,

       [5] qu'il n'entendit seulement rien. Et j'li coupai la tête

       d'un coup, d'un seul, comme un épi, qu'il n'a pas seulement

       dit «ouf!» Vous n'auriez qu'à chercher au fond d'la mare;

       vous le trouveriez dans un sac à charbon, avec une pierre

       de la barrière.

       [10] «J'avais mon idée. J'pris tous ses effets d'puis les

       bottes jusqu'au bonnet et je les cachai dans le four à

       plâtre du bois Martin, derrière la cour.»

       Le vieux se tut. Les officiers, interdits, se regardaient.

       L'interrogatoire recommença; et voici ce qu'ils apprirent:

       [15] Une fois son meurtre accompli, l'homme avait vécu avec

       cette pensée: «Tuer des Prussiens!» Il les haïssait d'une

       haine sournoise et acharnée de paysan cupide et patriote

       aussi. Il avait son idée, comme il disait. Il attendit

       quelques jours.

       [20] On le laissait libre d'aller et de venir, d'entrer et de

       sortir à sa guise, tant il s'était montré humble envers les

       vainqueurs, soumis et complaisant. Or il voyait, chaque

       soir, partir les estafettes; et il sortit, une nuit, ayant

       entendu le nom du village où se rendaient les cavaliers, et

       [25] ayant appris, dans la fréquentation des soldats, les quelques

       mots d'allemand qu'il lui fallait.

       Il sortit de sa cour, se glissa dans le bois, gagna le four

       à plâtre, pénétra au fond de la longue galerie et, ayant

       retrouvé par terre les vêtements du mort, il s'en vêtit.

       [30] Alors il se mit à rôder par les champs, rampant, suivant

      les talus pour se cacher, écoutant les moindres bruits,

       inquiet comme un braconnier.

       Lorsqu'il crut l'heure arrivée, il se rapprocha de la route

       et se cacha dans une broussaille. Il attendit encore.

       [5] Enfin, vers minuit, un galop de cheval sonna sur la terre

       dure du chemin. L'homme mit l'oreille à terre pour

       s'assurer qu'un seul cavalier s'approchait, puis il

       s'apprêta.

       Le uhlan arrivait au grand trot, rapportant des dépêches.

       [10] Il allait, l'oeil en éveil, l'oreille tendue. Dès qu'il ne fut

       plus qu'à dix pas, le père Milon se traîna en travers de la

       route en gémissant: «Hilfe! Hilfe! A l'aide, à l'aide!» Le cavalier s'arrêta, reconnut un Allemand démonté, le crut blessé, descendit de cheval, s'approcha sans soupçonner [15] rien, et, comme il se penchait sur l'inconnu, il reçut au milieu du ventre la longue lame courbée du sabre. Il s'abattit, sans agonie, secoué seulement par quelques frissons suprêmes. Alors le Normand, radieux, d'une joie muette de vieux [20] paysan, se releva, et, pour son plaisir, coupa la gorge du cadavre. Puis, il le traîna jusqu'au fossé et l'y jeta. Le cheval, tranquille, attendait son maître. Le père Milon se mit en selle, et il partit au galop à travers les plaines. [25] Au bout d'une heure, il aperçut encore deux uhlans côte à côte qui rentraient au quartier. Il alla droit sur eux, criant encore: «Hilfe! Hilfe!» Les Prussiens le laissaient venir, reconnaissant l'uniforme, sans méfiance. aucune. Et il passa, le vieux, comme un boulet entre les [30] deux, les abattant l'un et l'autre avec son sabre et un revolver. Puis il égorgea les chevaux, des chevaux allemands!

      Puis il rentra doucement au four à plâtre et cacha un

       cheval au fond de la sombre galerie. Il y quitta son uniforme,

       reprit ses hardes de gueux et, regagnant son lit,

       dormit jusqu'au matin.

       [5] Pendant quatre jours, il ne sortit pas, attendant la fin

       de l'enquête ouverte; mais, le cinquième jour, il repartit,

       et tua encore deux soldats par le même stratagème. Dès

       lors, il ne s'arrêta plus. Chaque nuit, il errait, il rôdait à

       l'aventure, abattant des Prussiens tantôt ici, tantôt là,

       [10] galopant par les champs déserts, sous la lune, uhlan perdu,

       chasseur d'hommes. Puis, sa tâche finie, laissant derrière

       lui des cadavres couchés le long des routes, le vieux cavalier

       rentrait cacher au fond du tour à plâtre son cheval et son

       uniforme.

       [15] Il allait vers midi, d'un air tranquille, porter de l'avoine

       et de l'eau à sa monture restée au fond du souterrain, et

       il la nourrissait à profusion, exigeant d'elle un grand

       travail.

       Mais, la veille, un de ceux qu'il avait attaqués se tenait

       [20] sur ses gardes et avait coupé d'un coup de sabre la figure

       du vieux paysan.

       Il les avait tués cependant tous les deux! Il était

       revenu encore, avait caché le cheval et repris ses humbles

       habits; mais, en rentrant, une faiblesse l'avait saisi et il

       [25] s'était traîné jusqu'à l'écurie, ne pouvant plus gagner la

       maison.

       On l'avait trouvé là tout sanglant, sur la paille...

       Quand il eut fini son récit, il releva soudain la tête et

       regarda fièrement les officiers prussiens.