Fils d'émigré. Ernest Daudet. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest Daudet
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083274
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dans tout son être leur soudaine rencontre.

      —Armand! mon Armand chéri!

      Suspendu au cou de son aîné, il lui prodiguait passionnément de tendres caresses, tandis que Valleroy, respectueux, son chapeau à la main, répétait à demi-voix:

      —Ah! Monsieur le vicomte, quelle joie de vous revoir!

      —Je vous avais bien dit que nous le trouverions ici, observa Reybach.

      —Quoi! mon vieux Reybach, c'est vous qui me les amenez?

      —C'est moi, Monsieur le vicomte. Le hasard m'a fait connaître l'aimable Bernard et son digne compagnon sur le bateau qui vient de Mayence et je me suis engagé à les piloter jusqu'à vous.

      —Comment vous remercier?

      —En me permettant de me retirer et de rentrer chez moi où m'attendent deux charmantes Françaises à qui j'ai offert l'hospitalité.

      —J'irai vous voir demain, Reybach, pour vous exprimer ma reconnaissance.

      —Et la nôtre aussi, Armand, ajouta Bernard, car depuis ce matin M.

       Reybach s'est prodigué en bons soins et en attentions.

      —Eh bien, c'est entendu, répondit le peintre; je serai heureux de vous revoir demain, mes gentilshommes, et je crois bien que vous trouverez chez moi une petite personne qui sera enchantée, elle aussi, de retrouver Monsieur le chevalier. Sur ce, je me sauve.

      Il s'esquiva, et Armand, qui le suivit d'un oeil reconnaissant, vit son grand feutre penché cavalièrement sur l'oreille et son pourpoint noir se perdre dans la foule pressée aux abords du café. Alors, il entraîna son frère et Valleroy au fond de la salle, et, s'asseyant avec eux à une table, il les interrogea.

      —M'expliquerez-vous comment vous êtes à Coblentz tous les deux, quand je vous croyais à Saint-Baslemont?

      —Nous avons été contraints de fuir, Monsieur le vicomte, dit Valleroy.

      —Contraints de fuir! Et notre père, Bernard? Et notre mère?

      —Ils ont été arrêtés, mon frère, et emprisonnés à Épinal.

      Depuis qu'Armand vivait éloigné de ses parents, tant de malheurs avaient assailli la France; il avait subi lui-même tant de déceptions, tant d'angoisses, qu'il lui semblait qu'aucune catastrophe, quelle qu'elle fût, ne pouvait plus survenir qu'il ne s'y fût attendu et préparé. Mais celle-ci dépassait ses prévisions et ses craintes. Il s'attendait à tout, sauf à l'arrestation du comte et de la comtesse de Malincourt, qu'il croyait protégés par l'attachement de la population de Saint-Baslemont. Il fut comme écrasé sous cette nouvelle, et, mêlant ses larmes à celles de son frère, il resta pendant quelques instants sans pouvoir prononcer une parole, abîmé dans son silence.

      —Comment cela est-il arrivé? demanda-t-il enfin.

      Bernard étant hors d'état de répondre, Valleroy fit le récit que voulait connaître Armand, il raconta comment l'arrivée imprévue des gardes nationaux d'Épinal était venue surprendre M. et Mme de Malincourt dans les préparatifs de leur départ; comment lui-même, par l'ordre du comte, avait emporté Bernard, et, après l'avoir mis en sûreté, était revenu sur ses pas pour assister sans être vu à l'arrestation.

      —Il y avait là, dit-il, un certain Joseph Moulette, surnommé Curtius Scoevola, qui est un fier bandit. Ah! si jamais il me tombe sous la main…

      —Ce n'est probablement pas lui le plus coupable, objecta tristement le vicomte. Les vrais criminels sont ceux qui ont dénoncé mon père, des jacobins, assurément, et ces gens de Saint-Baslemont qui n'ont pas eu le courage de le défendre.

      —Oh! ceux-là n'ont fait montre que de couardise. À la première menace du citoyen Curtius Scoevola, ils se sont mis à trembler comme des roseaux et n'ont plus songé qu'à se dérober. Peut-être, s'il s'était trouvé au milieu d'eux un homme énergique, se seraient-ils soulevés. J'ai été au moment de me présenter, de me mettre à leur tête. Mais nous n'avions pas d'armes, tandis que les brigands étaient armés jusqu'aux dents. Et puis, que serait devenu M. le chevalier?

      —Oh! moi, je serais mort avec joie pour sauver nos parents! soupira

       Bernard.

      —Hélas! Monsieur le chevalier, nous aurions bien pu y passer tous; ils n'auraient pas été sauvés. Et puis, j'avais les ordres de M. le comte; j'étais tenu d'obéir.

      Armand tendit la main à Valleroy.

      —Tu as rempli tout ton devoir, mon brave, lui dit-il, et au nom de ma famille, en mon nom, je te remercie d'avoir sauvé mon frère.

      —Vous me remercierez quand j'aurai complété mon oeuvre, Monsieur le vicomte, répondit Valleroy.

      —Que veux-tu dire?

      —Je veux dire que je partirai dès demain pour Épinal et que, dussé-je y laisser ma peau, je délivrerai nos prisonniers.

      —Il a un plan, un plan superbe, ajouta Bernard.

      Armand secoua la tête et fit un geste de dénégation.

      —Je ne doute pas de la beauté de ton plan, Valleroy, reprit-il, ni du courage que tu mettrais à l'exécuter; mais je doute de son efficacité. Toute la noblesse de France conjurée, soutenue par l'or des puissances, n'a pu délivrer le roi.

      —Justement parce que c'est le roi, et peut-être aussi parce qu'elle n'a pas su s'y prendre.

      —Tu es libre de le croire; mais tu n'es pas libre d'aller exposer ta vie sans mon consentement, et sans que nous ayons étudié le moyen d'atteindre le but que nous poursuivons. Et puis si nous décidons qu'il y a lieu de tenter cette grande entreprise, n'est-ce pas à moi qu'il appartient d'agir?

      —Vous, Monsieur le vicomte, mais vous ne feriez pas trois pas dans l'intérieur du royaume sans être arrêté! Songez que vous figurez sur la liste des émigrés. Ce n'est pas de vous que vos parents peuvent attendre un prompt secours.

      —Aussi n'ai-je pas dit que je veux partir: j'ai dit que je ne veux pas que tu partes à la légère, sans accord préalable avec moi. D'ailleurs, en cette circonstance, j'ai le devoir de consulter Mgr le comte d'Artois. Peut-être sera-t-il d'avis qu'il vaut mieux attendre que les armées coalisées soient en marche sur Paris. Alors il me sera facile de m'engager à leur suite, et, en passant à Épinal, de rendre la liberté à nos parents.

      —Mais est-il question de la mise en marche des troupes étrangères? demanda Valleroy.

      —Elle est décidée, et, du même coup, celle de l'armée des princes.

       Avant un mois nous serons à Paris.

      —Après avoir combattu sous les drapeaux de l'Autriche et de la Prusse, et Français contre Français! Ce sera une victoire chèrement achetée.

      —Et qu'importe, si le résultat final nous dédommage! Si j'étais homme à avoir comme toi des scrupules, crois-tu que les nouvelles que tu viens de m'apporter ne les dissiperaient pas? Catholique, hier, je défendais mon Dieu, et royaliste, je défendais mon roi; fils, je défends aujourd'hui mon père.

      —Et la patrie. Monsieur le vicomte?

      —La patrie! Elle est là où est le drapeau royal.

      Un silence suivit ces paroles que Valleroy n'osa relever. Son dévouement à la maison de Malincourt n'altérait pas l'indépendance de ses opinions. Mais il y puisait l'énergie de ne pas les défendre contre ses maîtres, même lorsque, sans le vouloir, ils les froissaient. Et puis, il comprenait qu'un débat eût été en ce moment inutile et cruel, en présence de deux fils livrés à la plus légitime douleur. Cependant, ce fut une sensation d'une douceur infinie lorsque, après avoir parlé, il sentit la petite main de Bernard se poser sur la sienne et la presser. Il lui semblait que c'était un témoignage d'approbation, et il se réjouit en pensant que, sur ces graves