Fils d'émigré. Ernest Daudet. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest Daudet
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083274
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       Ernest Daudet

      Fils d'émigré

      Publié par Good Press, 2020

       [email protected]

      EAN 4064066083274

       CHAPITRE PREMIER

       CHAPITRE II

       CHAPITRE III

       CHAPITRE IV

       CHAPITRE V

       CHAPITRE VI

       CHAPITRE VII

       CHAPITRE VIII

       CHAPITRE IX

       CHAPITRE X

       CHAPITRE XI

       CHAPITRE XII

       CHAPITRE XIII

       CHAPITRE XIV

       CHAPITRE XV

       CHAPITRE XVI

       CHAPITRE XVII

       CHAPITRE XVIII

       CHAPITRE XIX

       CHAPITRE XX

       CHAPITRE XXI

       CHAPITRE XXII

       CHAPITRE XXIII

       CHAPITRE XXIV

       CHAPITRE XXV

       Table des matières

      CE QUI SE PASSAIT À SAINT-BASLEMONT EN 1792

      En juin 1792, à la tombée du jour, dans une chambre du château de Saint-Baslemont, à l'entrée des Vosges, une femme et un enfant sont agenouillés devant un grand crucifix accroché au mur, entre des portraits d'ancêtres. Quoique la femme ait dépassé la première jeunesse, on la devine vieillie par la douleur plus que par l'âge. Ce qui lui reste de beauté resplendit encore sous ses cheveux blonds, dans l'éclat de ses yeux, dans la pureté de ses traits, dans la pâleur de son teint. Habillée d'une robe noire, en laine, sans ornements, toute sa personne, cependant, trahit tant d'élégance hautaine que ce vêtement de deuil la pare à l'égal des habits de cour qu'elle est accoutumée à porter. Elle se nomme la comtesse Louise de Malincourt.

      L'enfant est son second fils, Bernard, celui qu'on appelle M. le chevalier. Il a treize ans à peine. Mais, depuis longtemps, il voit autour de lui des visages si tristes, il entend exprimer de si vives alarmes, raconter de si sombres histoires, proférer de si violentes menaces, que son esprit s'est mûri prématurément, et, qu'enfant par l'âge, c'est presque un homme par la pensée. Cette précocité se devine à l'expression inquiète de son regard, à la gravité répandue sur ses traits, au pli contracté de ses lèvres déshabituées du rire. Il est mince et brun, son front haut et large sous la perruque poudrée. Son habit violet, en soie unie, flotte sur les formes de son buste, élégantes quoique un peu grêles, et plus bas que la boucle d'argent qui arrête la culotte au-dessous du genou, la jambe se dessine fine et vigoureuse.

      Agenouillé près de sa mère, il s'associe mentalement à la prière qu'elle récite à haute voix.

      —Mon Dieu! dit-elle, daignez protéger et soutenir dans leur infortune S. M. Louis XVI, sa famille, les princes ses frères et ses neveux. Je vous implore aussi pour mon mari, pour moi-même, pour mes enfants, surtout pour l'aîné que le service du roi expose, loin de nous, à d'innombrables périls.

      Dans l'accent de cette ardente supplication se devinent les angoisses de l'épouse et de la mère. Elles sont cruelles, ces angoisses, cruelles et justifiées par les événements survenus depuis la Révolution: le 14 juillet 1789, la prise de la Bastille; le 5 octobre de la même année, l'invasion de Versailles et le retour forcé de la famille royale aux Tuileries; en 1790, la fête de la Fédération; en 1791, la tentative avortée de Varennes et l'arrestation du roi fugitif; puis les massacres dans les rues de Paris, le pillage d'un grand nombre de châteaux, la fuite précipitée de plusieurs milliers de nobles, l'arrestation de beaucoup d'autres, l'audace croissante du parti jacobin et de la Commune de Paris. Avec un tel passé, que ne peut-on craindre de l'avenir? Cet avenir, la comtesse de Malincourt, à travers son imagination enfiévrée, le voit troublé, violent et sombre.

      Et sa vision n'exagère rien. Ne touche-t-on pas à la journée du 10 août, durant laquelle sera proclamée la déchéance de Louis XVI, et aux journées de septembre, effroyable prologue du 21 janvier et des actes féroces qui suivront? Sans cesse cette vision angoissante la poursuit, lui montre son mari et son fils aîné payant de leur vie leur dévouement à la cause royale. Ne recevant, depuis qu'ils sont partis, que de rares nouvelles, toujours seule avec son fils cadet dans ce grand château où, quoiqu'elle n'ait jamais fait que du bien aux habitants de Saint-Baslemont, elle n'ose se croire en sûreté, elle vit écrasée sous une douleur persistante que les tendres soins de Bernard ne parviennent pas à alléger.

      Quand, la prière achevée, elle se lève et va s'asseoir près de la croisée ouverte pour respirer un moment l'air apaisant de cette journée d'été qui finit, des larmes mouillent ses joues.

      Bernard s'approche d'elle, se met à ses pieds, les coudes sur ses genoux, les mains croisées, et lui dit:

      —Si vous saviez, mère chérie, combien je suis malheureux quand vous pleurez, vous ne pleureriez plus!

      Ce reproche affectueux; la rend à elle-même. Elle prend à deux mains la tête de l'enfant, et, l'embrassant passionnément, elle soupire:

      —Pardonnez-moi,