Fils d'émigré. Ernest Daudet. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Ernest Daudet
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066083274
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princes ont été invités au couronnement de S. M. François II, roi de Bohême et de Hongrie, comme empereur d'Allemagne. La cérémonie, qui doit avoir lieu à Mayence, est fixée au 12 juillet et sera l'occasion de fêtes brillantes. Désireux d'y aller, j'ai sollicité l'honneur d'être attaché, pendant la durée du voyage, à la suite de Mgr le comte d'Artois. Malincourt, qui le voit librement à toute heure, s'est chargé de lui présenter ma requête. Il devait la présenter ce soir et m'en faire connaître ici le résultat.

      —Alors, vous allez être fixé sur votre sort, mon cher, fit vivement celui qu'on avait appelé Morfontaine. Voilà le vicomte Armand.

      Tous les trois tournèrent la tête vers la porte et virent Malincourt qui les cherchait du regard, et répondait aux obséquieux saluts que lui valaient de tous côtés la bienveillance et la faveur du comte d'Artois.

      —Par ici, Malincourt, lui cria Guilleragues en se levant.

      Armand s'avança, le sourire aux lèvres. C'était un beau garçon de vingt ans, à l'oeil pur et hardi, dont son uniforme, le même que celui de Guilleragues, mettait en relief les formes sveltes et vigoureuses.

      —C'est fait, dit-il à son ami, en tendant la main au vidame d'Épernon et au comte de Morfontaine. Tu viens avec nous à Mayence.

      Guilleragues lui sauta au cou.

      —C'est entre nous à la vie et à la mort, vicomte. Je n'oublierai jamais ce que tu viens de faire pour moi.

      —Adresse surtout tes remerciements à Monseigneur, répondit Armand en s'asseyant. Il a été charmant. À peine j'ai eu prononcé ton nom et formulé ton désir qu'il m'a coupé la parole en disant qu'il était très heureux de saisir cette occasion de te prouver l'estime particulière en laquelle il te tient.

      —J'irai lui exprimer ma reconnaissance, fit joyeusement Guilleragues, et, dès demain matin, je m'occuperai de mes équipages.

      Le vidame souriait à cet enthousiasme, tout en donnant de la main de petits coups secs sur son jabot de dentelle pour en faire tomber quelques grains de tabac qui en tachaient la blancheur.

      —Est-ce de moi que vous souriez, mon oncle? lui demanda Guilleragues.

      —De vous, non, mon neveu, mais de votre bonheur. Ah! c'est beau, la jeunesse! Et vous voilà tout content de pouvoir faire sauter vos écus.

      —Puisque j'accompagne un prince de sang à un sacre impérial, il est tout naturel que je veuille m'y montrer à sa suite dans une tenue digne de lui.

      —Oui, certes, et il est très heureux que votre grand-père maternel ait été fermier général et se soit enrichi. Seulement, mon enfant, si j'étais à votre place, je me contenterais des équipages que vous possédez actuellement et qui sont encore en bon état, et, au lieu de me livrer à une dépense au moins inutile, qui ne réjouira que vos fournisseurs, j'en distribuerais le montant entre les camarades moins fortunés que vous.

      —Le fait est que nous ne sommes pas tous sur des roses! soupira

       Morfontaine.

      —Mais je ne demande qu'à vous rendre service, comte, s'écria Guilleragues, un peu troublé par la petite leçon que venait de lui donner son oncle.

      —Eh bien, marquis, je ne vous cache pas que cinquante louis seraient en ce moment les bienvenus dans ma bourse.

      —Vous les aurez demain, mon cher, et cela ne m'empêchera pas, tout en tenant compte du conseil de M. le vidame, mon oncle, de m'acheter un cheval qui soit digne de figurer dans le cortège de Monseigneur.

      Pendant que s'échangeaient ces propos, Armand de Malincourt, qui s'était fait servir une glace, la dégustait à petites gorgées, silencieux et préoccupé. Tout à coup, du bout de la cuillère en vermeil, il frappa sur la table.

      —Assez d'enfantillages! dit-il. J'ai à vous entretenir de choses plus graves.

      Et comme les yeux de ses amis, subitement fixés sur lui, l'interrogeaient, il continua:

      —De graves nouvelles sont arrivées ce soir, de Paris, de Berlin et de

       Vienne, Monseigneur m'en a fait la confidence.

      —Qu'est-ce donc? interrogea le vidame d'Épernon.

      —À Paris, la situation du roi devient pire de jour en jour. Sa Majesté est réellement prisonnière aux Tuileries, n'ayant plus ni la liberté de ses paroles, ni celle de ses actes. Les scélérats qui gouvernent en son nom viennent de signifier à l'électeur de Trèves l'invitation pressante, presque un ordre, de licencier l'armée des princes, et s'ils résistent, de chasser les émigrés. L'électeur s'est effrayé; il a transmis cet ordre à nos augustes seigneurs, en les suppliant de s'y conformer.

      —Il fallait s'y attendre, objecta le vidame. Voici trois mois que le gouvernement de Paris, pressé par l'Assemblée nationale, a fait connaître sa volonté. Il ne se laissera pas braver indéfiniment.

      —Par bonheur, les puissances ont enfin mesuré le danger dont les menace la Révolution. Elles sont décidées à agir. L'empereur François II a donné l'ordre à ses troupes des Pays-Bas de marcher sur la frontière de France. D'un autre côté s'avance un Corps prussien. Il traversera Coblentz vers le milieu du mois prochain. Le duc de Brunswick est nommé généralissime des armées alliées. Il arrive ici demain.

      —L'impératrice Catherine intervient-elle? demanda Morfontaine.

      —Non encore par les armes. Mais le prince de Nassau est arrivé ce soir de Saint-Pétersbourg, apportant un million qu'elle offre à la cause royale. Quant aux émigrés, le général marquis de Bouillé vient d'obtenir du roi de Prusse qu'ils soient employés dans les opérations qui se préparent. Brunswick résistait. Il ne voulait pas de nous. Mais Frédéric-Guillaume s'est prononcé. L'armée des princes et l'armée de Condé seront de la partie. On doit négocier à Mayence les conditions de leur entrée en campagne.

      —Enfin, nous allons donc combattre! s'écria Guilleragues dont le visage s'illuminait.

      Le vidame intervint.

      —Ne vous réjouissez pas, mon neveu, dit-il. Ce sera un triste spectacle que celui de Français mêlés aux armées étrangères pour combattre contre des Français.

      Les jeunes gens protestèrent.

      —Quoi, Monsieur le vidame, c'est vous qui parlez ainsi? dit

       Morfontaine.

      —Quand il s'agit de délivrer le roi et de rendre à la noblesse de

       France ses antiques privilèges! continua le vicomte Armand.

      —Mon oncle a toujours été un peu jacobin, ajouta Guilleragues en riant.

      Le vidame allait répondre, mais sa parole fut étouffée sur ses lèvres par un cri de surprise que poussa Malincourt en se précipitant vers la porte, au seuil de laquelle venaient d'apparaître de nouveaux venus. Ces nouveaux venus étaient Bernard et Valleroy, accompagnés ou plutôt guidés par Venceslas Reybach. Quelques instants avant, au moment de quitter le bateau, le peintre leur avait dit:

      —À cette heure-ci, c'est au café des Trois-Couronnes que vous êtes sûrs de trouver le vicomte de Malincourt. Je vous y conduirai; si vous le voulez bien.

      Et à peine débarqué, après avoir laissé à sa porte tante Isabelle et Nina, auxquelles il avait offert une hospitalité provisoire, en attendant qu'elles trouvassent à se loger, il s'était empressé d'amener Bernard et Valleroy au café des Trois-Couronnes. Au moment où ils y arrivèrent, Armand regardait du côté de l'entrée. Il les vit surgir tout à coup, alors qu'il ne songeait guère à eux. Peut-être, si Bernard se fût présenté seul, il ne l'eût pas reconnu sur-le-champ, tant était complète la transformation qu'avait subie l'enfant depuis une année. Mais il reconnut Valleroy et son jeune frère du même coup. C'est alors que, au grand étonnement de ses amis, il s'était précipité vers la