Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054
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royaliste contre la Révolution et la République… Cependant, tout en accusant MM. de Polignac et de Rivière de ramener des troubles peut-être plus sanglants que ceux de 93, je les trouve moins coupables que des généraux républicains… des hommes comme Moreau (sa voix devint tremblante), Pichegru!.. qui vont serrer la main, comme frères, au chouan Georges!..

      Il se laissa aller sur un canapé… Il était pâle et semblait avoir le frisson; ses lèvres étaient blêmes et toute sa physionomie bouleversée. Madame de Montesson fut alarmée et fit un mouvement; mais Joséphine lui fit signe de demeurer tranquille, et, s'approchant de Napoléon, elle lui prit les mains, les serra dans les siennes, puis elle l'embrassa, lui parla bas longtemps, et peu à peu le calme revint sur la belle physionomie de l'Empereur. Mais madame de Montesson dit ensuite qu'elle avait eu peur lorsque ses yeux s'étaient fermés et qu'il était tombé sur le canapé. Oui, reprit-il en se levant et marchant très-vite, en partie dans la chambre et en partie dans le jardin53… ces hommes de la France sont plus coupables que des serviteurs de la famille de Louis XVI, de ce malheureux Louis XVI!.. Mais Moreau… le vainqueur d'Hohenlinden!.. lui, devenir un conspirateur!.. Il me croit jaloux54 de lui! et pourquoi, grand Dieu!.. Ma portion de renommée est assez belle; je n'ai besoin de nulle autre pour la rendre plus brillante… Et si Dieu me prend en faveur, j'espère bien en mériter une aussi élevée qu'il y en a sous le ciel!..

      – Eh bien! donc, dirent les deux femmes en même temps en se mettant presque à genoux, soyez clément pour MM. de Polignac… commuez la peine… mais pas de mort!.. Oh! pas de mort!..

      – Demain tu viendras me parler pour Moreau, dit Napoléon à Joséphine!.. Croiriez-vous, dit-il ensuite à madame de Montesson, qu'après avoir été le but des impertinences de la femme pendant quatre ans, elle a été plus qu'importune pour obtenir la grâce entière du mari?.. Elle est vraiment bonne, ma Joséphine. Et l'attirant à lui, il l'embrassa avec une profonde émotion.

      – Et moi, dit madame de Montesson, il me faut aussi vous embrasser pour vous remercier.

NAPOLÉON étonné, mais souriant

      Me remercier! et de quoi?

MADAME DE MONTESSON

      Mais de la grâce de mes amis! Ne venez-vous pas de le dire?.. N'avez-vous pas reconnu que Moreau était plus coupable qu'eux?..

NAPOLÉON

      Sans doute.

MADAME DE MONTESSON

      Eh bien! s'il en est ainsi, vous ne pouvez pas condamner les uns quand vous faites grâce au plus criminel…

NAPOLÉON la regardant

      Eh! qui vous dit, madame, que je ferai grâce à quelqu'un?

MADAME DE MONTESSON

      Mon cœur qui vous connaît et qui m'assure que vous ne voulez pas faire condamner Moreau… Il ne le sera pas.

JOSÉPHINE

      Mon ami… grâce!.. grâce!..

MADAME DE MONTESSON

      Allons, dites ce mot-là!.. il vous fera du bien.

NAPOLÉON

      Mais je ne puis la faire entière cette grâce… il me faut une garantie, et je ne puis l'avoir que dans la liberté de ces messieurs…

MADAME DE MONTESSON l'embrassant avec affection 55

      Ah! merci! merci!.. vous êtes bon! vous êtes aussi bon que vous êtes grand!..

JOSÉPHINE l'embrassant aussi très-émue

      Merci, mon ami!.. merci!.. Voilà une belle journée!.. elle doit aussi être belle pour toi!..

NAPOLÉON

      Mais que dans leur prison ils soient circonspects; pas d'intrigues… pas de complots.

MADAME DE MONTESSON avec assurance

      Je réponds d'eux… (Elle va vers l'Empereur, mais sans crainte.) En parlant des accusés… j'ai entendu tous les accusés pour la cause royale.

NAPOLÉON très-vivement

      Non, madame… En vous accordant, ainsi qu'à Joséphine, la vie de M. de Polignac et de M. de Rivière, je n'ai entendu et compris que ces deux noms; les autres doivent subir leur sort.

MADAME DE MONTESSON

      Même M. d'Hozier?..

NAPOLÉON

      M. d'Hozier comme les autres.

JOSÉPHINE

      Mon ami!..

NAPOLÉON frappant du pied avec colère

      On a bien raison de dire qu'un homme d'état ne devrait jamais laisser approcher une femme de son cabinet!.. Que me voulez-vous toutes deux?.. Vous me tourmentez depuis une heure pour obtenir une chose qui peut-être me sera fatale!.. Dieu veuille qu'un jour vous ne vous rappeliez pas cette conversation avec effroi!

MADAME DE MONTESSON

      Dieu protége les rois cléments, et nous ne nous la rappellerons que pour vous en aimer davantage… Mais, je vous en conjure, donnez-moi la vie de M. d'Hozier.

NAPOLÉON

      Vous l'aimez donc beaucoup?

MADAME DE MONTESSON

      Moi! du tout, je ne le connais pas56.

NAPOLÉON

      Eh bien! pourquoi donc alors vouloir arrêter le cours de la loi?..

MADAME DE MONTESSON

      Que vous importe?.. Allons, accordez-moi sa grâce!.. je vous en conjure!.. Hélas! pour vous-même, je voudrais vous voir signer une amnistie pleine et entière. Ainsi, par exemple, M. de Saint-Victor…

NAPOLÉON l'interrompant avec une sorte de hauteur

      Ah! pour celui-là, je vous demande de ne pas aller plus loin! M. de Saint-Victor est sans doute un brave homme; mais il est du nombre de ces conspirateurs qui ruinent une cause, quand ils y entrent comme associés actifs… C'est un homme bien dangereux57… et il a fait bien du mal à tous les siens!.. Il doit mourir!.. (ajouta-t-il après un long silence et comme répondant à une voix intérieure.) Nous ne sommes plus au temps des Brutus.

MADAME DE MONTESSON

      Je ne connais M. de Saint-Victor que de nom, ainsi que M. d'Hozier; mais des rapports intimes existent entre ce dernier et moi par des amis communs: voilà pourquoi je tiens tant à le sauver.

NAPOLÉON

      Eh bien! soit: je vous le donne encore… (se reprenant) c'est-à-dire j'en parlerai avec Cambacérès et le grand-juge; car je n'ai pas pouvoir à moi seul…

      Madame de Montesson quitta Saint-Cloud tellement heureuse d'avoir obtenu ce qu'elle voulait, qu'elle ne souffrait plus…

      – Victoire! cria-t-elle du plus loin qu'elle aperçut ses amies désolées qui accouraient à elle… Victoire! – Et elle leur annonça ce que l'Empereur venait de faire.

      – C'est un homme qui veut mériter ce qu'il cherche à obtenir, dit M. de Valence… et ce n'est pas moi qui lui serai un empêchement.

      Telle fut la véritable histoire de MM. de Polignac58. Je ne sais s'ils en sont instruits; mais la voici telle qu'elle me fut racontée par la principale actrice de ce drame intéressant et confirmée par la seconde.

      Nous remarquâmes, en parlant de cette conspiration et du jugement des accusés, qu'ils montrèrent dans cette circonstance le même courage insouciant que toute la noblesse a constamment prouvé pendant le temps de la Révolution. – M. de Rivière, à qui je reproche trop de ferveur pour son parti peut-être, fut pendant ce procès l'homme de cour d'autrefois… C'était M. de Narbonne se battant avec un bouton de rose dans la bouche, et qui, le laissant59 tomber, se penche, le ramasse, mais sans cesser de croiser le fer, se relève, reprend aussitôt son avantage et désarme son adversaire. – M. de Rivière faisait des vers. Un jour, se trouvant au tribunal et apercevant madame de La Force parmi ses nombreux amis, ayant à côté d'elle mademoiselle de La Ferté60, il fit ce couplet, et l'ayant


<p>53</p>

Cette scène, que je tiens en entier de M. de Valence et de madame de Montesson, me fut confirmée depuis par l'impératrice Joséphine; elle avait intérêt à laisser croire qu'elle avait obtenu la grâce à elle seule, mais, comme je savais la vérité, elle n'osa pas l'altérer devant moi.

<p>54</p>

C'est ici le lieu de parler de la manière dont on comprend le mot jalousie: il paraît qu'il y a de certaines gens qui voient ce sentiment en autrui lorsqu'ils le sentent en eux-mêmes, comme ceux qui ont la jaunisse et voient tout jaune. J'ai entendu souvent des hommes qui, après avoir rimé vingt vers, prétendaient que Victor Hugo et Dumas étaient jaloux d'eux!.. J'ai vu pareille stupidité dans beaucoup de femmes relativement à madame de Genlis et à madame de Staël!.. madame de Staël, le plus beau génie de son époque après M. de Châteaubriand! J'ai entendu la même parole sur madame Sand, le plus beau talent de notre temps! De qui serait-elle jalouse, elle, bon Dieu?.. aussi ne l'est-elle pas. – De qui Napoléon eût-il été jaloux?.. lui dont la tête penchait sous le poids des couronnes, et qui, sans quitter celle de laurier, allait les surmonter toutes par celle de Charlemagne, comme lui-même avait surpassé sa gloire.

<p>55</p>

Elle était naturellement très-froide et peu expansive; elle avait même habituellement une dignité qui donnait de la crainte aux jeunes femmes qu'on lui présentait.

<p>56</p>

Je crois qu'en effet elle ne le connaissait pas du tout.

<p>57</p>

M. Coster de Saint-Victor était fanatique pour ses rois comme un Romain de l'ancienne Rome l'était pour sa république. Pendant tout le procès il fit constamment des réponses inconcevables, et toujours bravant les juges et l'autorité… Souvent il dédaignait de répondre, et en tout Napoléon avait raison: il fit beaucoup de mal à sa cause par l'obstination qu'il apportait quelquefois dans ses réponses… Du reste loyal, brave, et brave chevaleresquement… L'infortuné périt avec le plus noble courage, et sur l'échafaud, au moment où sa tête tombait, il criait encore: Vive le Roi!

<p>58</p>

On croit généralement que M. Jules de Polignac avait été condamné à mort; c'est une erreur, il ne le fut jamais qu'à deux ans de détention.

<p>59</p>

Ce fut à M. de Narbonne (le comte Louis de Narbonne) que ce fait arriva.

<p>60</p>

Qui depuis est devenue duchesse de Rivière. C'est un beau caractère de femme. C'est le dévouement, la tendresse, tout ce qu'une âme de femme renferme, mais ce que souvent elle n'a pas le courage de donner. Mademoiselle de La Ferté eut ce courage; honneur à elle!