Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054
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est encor plus mal au Temple.

      À l'Abbaye on n'est pas mieux,

      Car d'en sortir chacun s'efforce.

      Le prisonnier le plus heureux,

      C'est le prisonnier de la Force.

      Chanter sous le couteau; comme c'est français!..

      La conduite de madame de Montesson dans cette circonstance fut connue, mais moins peut-être qu'elle n'aurait dû l'être en raison de sa modestie. On parla beaucoup dans le monde de la vie de MM. de Polignac sauvée par Joséphine, mais voici la vraie version. Sans doute que les MM. de Polignac l'ont su, ainsi que M. de Rivière, et que leur reconnaissance aura payé celle qui ne faisait en cela que servir ses amis et sauver la vie d'un homme.

      La santé de madame de Montesson, qui, à cette époque, était déjà perdue, parut reprendre un peu de mieux par la joie qu'elle vit autour d'elle. Madame de La Tour remerciait Dieu chaque soir et le priait pour cette âme parfaite qui lui avait conservé tout ce qui lui restait d'une sœur bien-aimée… Madame de Montesson, heureuse du bonheur de ses amis, jouissait de son ouvrage, et pendant toute l'année 1804 elle fut encore assez bien pour donner de l'espoir. Sa maison de Romainville, toujours ouverte, était plus que jamais le rendez-vous de tout ce qui arrivait à Paris en gens distingués, et de cette belle fleur de bonne compagnie française dont il y avait encore alors un bon nombre en France… Remplie de reconnaissance, attachée d'amitié à l'Empereur, elle prit une part positive à tout ce qui lui arriva dans les années qui s'écoulèrent entre la grâce de MM. de Polignac et le jour où elle mourut. L'arrivée du Pape, les événements immenses qui se groupaient autour de Napoléon pour prouver qu'il ne pouvait être servi par la fortune qu'en raison de sa gigantesque destinée, trouvaient en elle une amie pour les faire valoir. Elle l'aimait de cœur, enfin, ainsi que Joséphine et plusieurs des généraux attachés à l'Empereur. M. d'Abrantès y allait beaucoup lorsqu'il était à Paris. J'y voyais aussi le maréchal Pérignon, mais pas très-souvent. Duroc y allait aussi; – Savary jamais. Madame de Montesson le détestait…

      Mais la santé de madame de Montesson s'altéra au point que Hallé, que je voyais souvent, et qui à cette époque était mon médecin, me dit qu'elle était fort mal. On lui fit quitter Romainville et elle revint à Paris, mais dans un état désespéré. Madame de Genlis eut alors une conduite admirable et à laquelle il faut rendre justice. Madame de Montesson était riche; elle avait même une immense fortune, et elle laissait sa nièce travailler la nuit pour gagner sa subsistance. Peut-être avait-elle pour se conduire ainsi des motifs que j'ignore61, cela se peut; – je le veux croire même pour l'excuser… mais madame de Genlis ne devait pas moins en ressentir la blessure. Aussitôt qu'elle apprit le danger de madame de Montesson, elle laissa un ouvrage pour lequel elle avait un dédit assez fort si elle ne le livrait pas pour un jour fixé, et elle consacra ses journées entières à sa tante, partant de l'Arsenal, où elle logeait alors, pour aller chez la malade dans la Chaussée-d'Antin, à dix heures du matin, pour n'en revenir qu'à dix heures du soir!.. Pendant ses journées de souffrance, madame de Montesson avait constamment sa tête, et comme ses douleurs n'étaient pas fort aiguës, madame de Genlis lui faisait la lecture pendant quatre et cinq heures… Le jour de sa mort, sentant sa fin approcher, elle demanda elle-même les sacrements… sa nièce les lui vit recevoir et pria avec le clergé… À peine les prêtres étaient-ils partis, que l'agonie commença… Cachée derrière le rideau du lit de la mourante, madame de Genlis priait tout bas et sans qu'elle pût entendre les prières des agonisants que sa nièce disait pour elle!.. Aussitôt qu'elle fut expirée, madame de Genlis, fort émue et toute en pleurs, tira le rideau, et, tombant à genoux près du corps de cette parente à un degré si intime qui avait oublié au moment extrême qu'elle laissait la fille de sa sœur dans un état malheureux, elle pria longtemps pour elle… puis, se relevant, elle lui ferma les yeux; alluma deux cierges qu'elle mit auprès de son lit, et fit chercher à Saint-Roch, paroisse de madame de Montesson, un prêtre, qu'elle établit dans la chambre mortuaire pour dire les prières des morts auprès du corps.

      Pendant la maladie de madame de Montesson, un page de l'Empereur ou de l'Impératrice allait tous les jours savoir des nouvelles de la malade, et en apprenant sa mort, Napoléon ordonna qu'elle reçût les honneurs qu'une princesse recevrait. Elle fut exposée, pendant UNE SEMAINE, dans une chapelle ardente à Saint-Roch, chose qui n'avait jamais lieu, pas plus qu'aujourd'hui, au reste, pour une personne du monde.

      Une circonstance dramatique eut lieu au moment où le corps descendait les vingt-cinq marches de Saint-Roch, pour être déposé sur le corbillard qui devait le porter à Seine-Assise, où il devait être enterré près du duc d'Orléans. Au moment où l'on descendait le cercueil, escorté de plus de cent personnes qui lui faisaient cortége, un autre convoi s'arrêtait au bas de l'escalier de l'église, et les deux cercueils se croisèrent dans leur marche funèbre. La dernière arrivée était mademoiselle Marquise, autrefois danseuse de l'Opéra, adorée jadis de M. le duc d'Orléans, qu'elle avait rendu père de M. de Saint-Far, de M. de Saint-Albin et de madame de Brossard. M. le duc d'Orléans l'avait aimée avec passion, l'avait faite marquise de Villemomble…; et puis il avait aimé madame de Montesson et abandonné la mère de ses fils. Et ces deux femmes, jadis rivales, jalouses et vindicatives, se retrouvaient ainsi sur le seuil du cimetière, de ce lieu où s'éteignent toutes les passions!.. Le même requiem était chanté sur leur bière, les mêmes tentures drapaient l'église pour leur fête de mort, et les mêmes cierges brûlaient pour l'éclairer.

      SALON DE MADAME DE GENLIS,

      À L'ARSENAL

      Lorsqu'après dix ans d'exil, madame de Genlis revit la France, elle n'eut pas d'abord la pensée d'avoir un salon, ni de pouvoir même de longtemps former une société intime dont l'agrément devait remplacer tout ce que les malheurs révolutionnaires avaient enlevé à chacun. Rien ne peut se comparer à ce qu'on voyait alors en France: la France, qui, peu d'années avant, se disait avec orgueil la reine des nations civilisées pour tout ce qui est élégance et bon goût! Ce qu'on appelait le monde n'était qu'une bigarrure mal composée même, et qui n'offrait à l'œil qu'un assemblage choquant des couleurs les plus opposées. Le monde, ou plutôt la société de cette époque, était une réunion de parvenus à la fortune par des fournitures à l'armée, ou par l'agiotage au perron, ou par d'autres moyens moins honorables et moins industriels. Pendant nos temps calamiteux de la Révolution, une seule route s'était offerte pour conduire à un noble but: c'était l'armée; parler de gloire à des Français, c'est flatter leur passion favorite, c'est leur parler selon leur cœur. Aussi les hommes de toutes les classes répondirent-ils à cet appel, et la France fut défendue et puis ensuite sauvée par ces mêmes hommes qui ne s'étaient d'abord levés que pour former une barrière de leurs corps à l'étranger, qui voulait nous envahir… Les parvenus par ce noble chemin furent toujours différents des autres; et cela fut de tout temps. La Rochefoucauld dit: «L'air bourgeois se perd rarement à la Cour, il se perd toujours à l'armée.» Aussi était-ce une chose remarquable à voir, que les fils d'une famille dont le père et la mère restés à Paris avaient fait leur fortune par les causes que j'ai dites. Les enfants, sans avoir eu d'autres maîtres que les dangers, une vue continuelle des hommes dans toutes les positions, rapportaient dans la maison paternelle une attitude aisée et souvent même agréable, tandis que le père et la mère étaient demeurés comme devant leur comptoir…

      Les plus insupportables de ces parvenus à la fortune de l'époque révolutionnaire, c'étaient les fournisseurs de l'armée. Je n'en excepte qu'un; mais aussi celui-là est tout à fait à part, c'est M. Collot. Il est lui-même un type d'esprit et de manières courtoises et polies… Mais il y a longtemps que j'ai parlé de lui dans ce sens, en disant ce que j'en pense et ce que j'en connais…

      Paris offrait alors lui-même dans son ensemble, comme ville, un coup d'œil étrange et terrible à la fois pour l'infortuné qui le revoyait après quinze ans d'exil!.. S'il voulait faire une course dans la ville, il ne retrouvait plus son chemin… Les rues ne portaient plus leur ancien nom… Ceux des hôtels, gravés jadis sur des plaques de marbre ou de pierre, étaient effacés et mutilés, tandis que


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Lorsqu'on voit une personne naturellement bonne se conduire sévèrement envers des parents très-proches, que le public ne se presse pas de lui donner tort; il est probable qu'elle n'en a aucun.