Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
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Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054
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et l'une des premières élèves de Steibelt. Dès qu'il fut arrivé à Paris, il fut attiré dans cette maison et contribua à l'agrément du salon de madame de Montesson. C'était une aimable femme que madame Robadet36; elle formait, avec la famille nombreuse de madame de Montesson, le fond et le noyau de la société qu'on était toujours sûr de trouver à Romainville. Tout cela se groupait autour de la maîtresse de la maison, sans chercher à faire un effet exclusif, et pour l'aider seulement à rendre sa maison plus agréable37, quoique parmi elles il y en eût qui pouvaient le faire avec certitude de succès; mais la pensée n'en venait pas… Il y avait donc à Romainville madame de Valence, encore jolie à faire tourner une tête, et madame Ducrest, nièces toutes deux de madame de Montesson; les deux filles de madame de Valence38, parfaitement élevées, polies, et faisant déjà présumer ce qu'elles sont devenues, des femmes parfaites; mademoiselle Ducrest (Georgette), jolie comme un ange et fraîche comme un bouton de rose… Voilà ce qui formait le fond de la société habituelle de madame de Montesson; il faut y ajouter les dames de La Tour39, amies malheureuses pour qui elle fut une providence… Les plus habituées ensuite étaient madame Récamier, madame Regnault de Saint-Jean-d'Angély… Madame Bonaparte y allait aussi souvent qu'elle le pouvait, ainsi que la princesse Borghèse. J'y allais aussi, mais je fus à Arras alors, ce qui me rendit moins assidue. On y voyait aussi presque toujours madame de Fontanges40, fille de M. de Pont; et puis encore madame de Custine, mademoiselle de Sabran, cette belle et ravissante personne, dont le dévouement, aussi grand que son courage et sa beauté, fit impression sur un peuple en délire, et ne put toucher des juges qui, pour la satisfaire, n'avaient qu'à écouter la justice!..

      On voyait encore chez madame de Montesson toutes les étrangères ayant une spécialité de fortune, de rang ou de beauté: la marquise de Luchesini41, la marquise de Gallo42, madame Visconti, la duchesse de Courlande, madame Divoff, madame Demidoff, la princesse Dolgorouki et la belle madame Zamoïska43, et une foule de Françaises et d'étrangères dont les noms m'échappent.

      J'ai dit que madame de Montesson ne sortait pas. Sa santé, presque détruite, en était encore plus la cause que l'étiquette, contre laquelle plusieurs personnes se révoltaient. À l'époque dont je parle surtout (en 1804), elle souffrait cruellement de douleurs aiguës qui lui ôtaient presque ses facultés. Un jour cependant, quelles que fussent ses souffrances, elle prouva combien madame de Genlis avait tort en l'accusant de manquer de cœur44. Elle était plus accablée que de coutume, et retirée dans l'intérieur de son appartement; elle était entourée de ses femmes, qui empêchaient le moindre bruit de parvenir à elle… Tout à coup, elle entend la voix de madame de La Tour, de son amie, qui, au milieu de sanglots étouffés, suppliait la femme de chambre de garde auprès de la malade de la laisser entrer… Madame de Montesson, émue de ce qu'elle entend, sonne, et donne l'ordre de laisser entrer madame de La Tour.

      – Ah! mon amie, ma seule amie, venez à notre secours! s'écrie madame de La Tour, en tombant à genoux près de son lit… Mes neveux vont périr si vous ne les secourez pas!.. Vous seule le pouvez; car vous avez tout pouvoir sur madame Bonaparte, et madame Bonaparte peut tout à son tour sur le général Bonaparte45.

      Et madame de La Tour apprend à son amie ce qu'elle ignorait, n'ayant lu aucun journal depuis le matin, la conspiration de Georges et le danger de MM. de Polignac.

      Madame de Montesson, dont l'esprit rapide comprit sur-le-champ le danger des accusés, ne perd pas un moment à délibérer; elle sonne, donne l'ordre de mettre ses chevaux et demande une robe.

      – Mais vous êtes malade, mon amie!.. vous souffrez cruellement… vous ne pouvez aller à Paris… Je ne vous demandais qu'un billet pour madame Bonaparte!

      – Un billet n'est point assez éloquent lorsqu'il s'agit de la vie d'un homme, lui répondit madame de Montesson… Il faut que je voie non-seulement Joséphine, mais l'Empereur!..

      – Mais vous avez la fièvre! s'écrie madame de La Tour, qui venait de serrer sa main.

      – Eh bien! je n'en parlerai que mieux et plus vivement, dit-elle en souriant et en montrant des dents encore superbes…

      Et une demi-heure n'était pas encore écoulée depuis l'entrée de madame de La Tour dans sa chambre, qu'elle était sur le chemin de Saint-Cloud.

      En arrivant, elle fut aussitôt introduite auprès de Joséphine; elle lui demanda avec instance, avec larmes, la grâce de MM. de Polignac et de M. de Rivière46.

      – Hélas! répondit Joséphine, que puis-je pour eux?

      – Tout! dit avec force madame de Montesson; car vous avez un motif puissant pour exiger de l'Empereur qu'il vous accorde les trois têtes qu'il veut faire tomber. C'est sa propre gloire que vous voulez sauver avec elles!.. Que veut-il?.. être roi!.. Eh bien! veut-il aussi que nos vœux, qui seront toujours pour lui, soient refoulés dans nos cœurs par cet acte de cruauté?.. Veut-il que les marches du trône où il monte soient teintes du sang innocent?..

      – Mais ils sont coupables! dit doucement Joséphine.

      – Non, ils ne sont pas coupables! dit madame de Montesson, avec une force que lui donnait la fièvre qu'elle avait et l'émotion de son âme. Non, ils ne sont pas coupables!.. Quels serments ont-ils prêtés?.. quelle est la foi jurée qu'ils ont violée?.. Toujours fidèles à leur souverain, ils sont rentrés en France pour ses intérêts; c'est vrai… Eh bien! qu'on les surveille… qu'on les enferme… Mais pas de mort!.. pas de sang versé!.. Mon Dieu! la France n'en a-t-elle pas assez vu couler?..

      Et, tout épuisée de l'effort qu'elle venait de faire, elle retomba sur le canapé d'où elle s'était levée, entraînée par son agitation.

      – Calmez-vous, lui dit Joséphine en l'embrassant, vous me faites rougir de mes craintes. Je parlerai… Bonaparte m'entendra… et je vous jure qu'il faudra qu'il me donne la grâce de MM. de Polignac, ou je n'aurai plus d'affection pour lui. Vous m'ouvrez les yeux!.. Sans doute, ils ne sont pas aussi coupables que ce Moreau!..

      – Oh! lui, je vous l'abandonne!.. quoiqu'à vrai dire, il faudrait que la première action de votre héros, dans la route nouvelle que sa gloire lui a frayée, fût tout entière grande et généreuse. Ah! Joséphine! la clémence est si belle dans un souverain!..

      – Je vous promets de faire tout ce que je ferais pour sauver mon frère… Reposez-vous sur moi.

      – Ne pourrais-je le voir? demanda madame de Montesson.

      – Je vais le savoir, dit Joséphine avec empressement, et peut-être charmée d'avoir un auxiliaire aussi puissant avec elle.

      Elle revint au bout de quelques minutes l'air tout abattu. – Je ne puis le voir moi-même, dit-elle… Partez; mais comptez sur moi.

      Madame de Montesson revint à Romainville dans un état digne de pitié. Sa fièvre avait redoublé par la crainte de ne pas réussir, et de rapporter une parole de mort dans cette famille désolée47, au lieu de la joie qu'elle lui avait promise… En arrivant, elle vit accourir madame de La Tour et sa fille. – Espérez!..«leur cria-t-elle du plus loin qu'elle put se faire entendre. Il lui semblait que cette espérance ne serait pas vaine…

      On a dit une foule de versions sur cette affaire de MM. de Polignac; le fait réel est celui que je raconte. On a mis sur le compte de Murat, de Savary, de l'impératrice, le salut des accusés. Ce fut madame de Montesson, ce fut elle qui sauva M. de Polignac, M. de Rivière et M. d'Hozier48. Murat, qui alors était gouverneur de Paris, dit seulement à l'Empereur: Soyez clément, et vous sèmerez pour recueillir.

      Mais


<p>36</p>

Madame Robadet, dame de compagnie de madame de Montesson, fut toujours attentive à lui plaire, mais n'en fut pas récompensée comme elle aurait dû l'être à la mort de madame de Montesson. Elle fut à peu près oubliée dans le testament, si elle ne le fut pas tout-à-fait. J'ai contribué pour ma part, et sans qu'elle l'ait su, peut-être, à lui faire avoir une place de dame de compagnie en Italie. Madame Robadet était une aimable femme.

<p>37</p>

J'ai vu des exemples de ce que je viens de citer, pas plus tard que l'hiver dernier. C'était dans un salon où il y avait beaucoup de monde; la maîtresse de la maison se levait pour aller parler à quelqu'un à l'extrémité du salon; elle trouvait sa place auprès de la cheminée prise, cette place qui est toujours un lieu réservé, ainsi que tout le monde sait. Cette ridicule usurpation se fit plusieurs fois de suite; il fallut que la maîtresse de la maison le dît enfin, pour qu'on ne retombât plus dans cette faute.

<p>38</p>

Qui depuis épousèrent, l'une M. de Celles, préfet de Nantes, l'autre le maréchal Gérard. Toutes deux sont faites pour servir de modèle comme filles, comme épouses et comme mères. Madame de Celles est morte à Rome en 1825.

<p>39</p>

Madame de La Tour était mademoiselle de Polastron et sœur de la duchesse Jules de Polignac.

<p>40</p>

Madame la marquise de Fontanges, fille de l'ancien intendant de Metz, était une charmante personne et jolie comme un ange; sa fille Delphine a depuis épousé M. Onslow (Georges), qui possède un si beau talent pour la composition de musique dramatique.

Madame de Fontanges et son père, M. de Pont, étaient aussi des amis intimes de ma mère. M. de Pont était avec M. de Valence et César Ducrest, lorsque ce malheureux jeune homme fut tué par une bombe, au feu d'artifice tiré pour la paix avec l'Angleterre: M. de Pont eut le bras cassé à plus de soixante-six ans. Il était l'ami le plus intime, après M. de Valence, de madame de Montesson.

<p>41</p>

Femme du ministre de Prusse. – C'était une énorme Prussienne, très-bonne femme du reste.

<p>42</p>

Ambassadrice de Naples.

<p>43</p>

Sœur du prince Czartorinsky.

<p>44</p>

Madame de Genlis a été pour madame de Montesson comme beaucoup de gens sont envers les grands parents, c'est-à-dire ingrats, du jour où celui qui a longtemps fait s'arrête. Alors ce parent a tous les défauts; il a d'abord les siens, et puis toutes ses qualités qui se sont changées en défauts. Bienheureux qu'elles ne deviennent pas des vices!

<p>45</p>

Madame de La Tour se serait crue coupable d'appeler l'Empereur par son nom.

<p>46</p>

On a dit vulgairement que MM. de Polignac avaient été tous deux condamnés à mort; c'est une erreur. M. Armand le fut, mais non pas M. Jules. Il fut condamné à deux ans de prison; il n'eut pas de lettres de grâce comme les autres.

<p>47</p>

Junot et moi nous étions alors à Arras, et Murat était gouverneur de Paris. J'ai vu Junot se féliciter, avec un bonheur dont des paroles ne peuvent donner l'idée, de s'être trouvé loin de Paris dans un pareil moment. – Si je m'y fusse trouvée, toutefois, j'aurais été aussi une des premières auprès de l'Empereur. – Madame de La Tour était l'amie de ma mère, comme je l'ai déjà dit, ainsi que la famille Polastron, à Toulouse.

<p>48</p>

Il ne faut pas confondre M. d'Hozier avec M. Bouvet de Lozier, aussi accusé dans cette affaire de Georges. M. Bouvet de Lozier ne courait aucun risque, sa prompte franchise avait assuré sa vie.