Histoire des salons de Paris. Tome 4. Abrantès Laure Junot duchesse d'. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Abrantès Laure Junot duchesse d'
Издательство: Public Domain
Серия:
Жанр произведения: Зарубежная классика
Год издания: 0
isbn: http://www.gutenberg.org/ebooks/44054
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satisfaire son amour-propre, parce qu'il était allié de très-près, par madame Savary, aux Polignac; mais quand il vit se froncer le sourcil impérial, il se retira au fond de sa coquille pour s'y tenir tranquille. Ce fut, je le répète, madame de Montesson qui sauva MM. de Polignac et de Rivière.

      L'espérance que madame de Montesson avait rapportée à ses amies ne fut pas d'abord réalisée… La condamnation fut prononcée… En l'apprenant, madame de Montesson oublia de nouveau toutes ses souffrances; elle ne sentit plus qu'une seule douleur, celle de ces femmes qui pleuraient et sanglotaient dans ses bras, l'appelant à leur aide et lui criant qu'elles n'espéraient qu'en elle.

      – Mon Dieu! mon Dieu! disait madame de Montesson tandis que sa voiture roulait rapidement vers Saint-Cloud, prêtez-moi un accent qui le persuade; car ce n'est que de lui seul que j'attends quelque pitié.

      Elle avait raison; elle savait qu'autour des rois, et Napoléon l'était déjà par le fait49, il n'y a que trop de gens perfides dont la volonté d'exécution outre-passe toujours l'intention de punir du maître.

      – J'ai parlé, lui dit Joséphine aussitôt qu'elle l'aperçut, mais j'ai peu d'espoir… Il est plus irrité cette fois que je ne l'ai vu encore pour des conspirations, même celle de la machine infernale, où, sans ce pauvre Rapp, Hortense et moi nous sautions en l'air, sans compter madame Murat50… Je lui ai parlé avec l'intérêt que je devais mettre à une aussi importante affaire, et je crains…

      – Mais je veux le voir! s'écria madame de Montesson… Joséphine, faites que je le voie, et vous serez un ange.

      – Vous le verrez, mon amie!.. vous le verrez, calmez-vous… mais, au nom de vous-même, si vous voulez parvenir à son âme, ne me faites pas craindre ce qu'il appelle des scènes. Je le connais, et je sais que c'est le moyen de n'arriver à rien… calmez-vous.

      – Eh! puis-je être calme!.. si vous saviez quelle douleur, quelle désolation j'ai laissée derrière moi…

      – Mais soyez tranquille, au moins en apparence… Attendez-moi… je reviens dans un moment.

      Et Joséphine partit en courant… À cette époque elle était svelte encore, et sa taille avait ce charme qu'elle a conservé si longtemps.

      Quelques minutes après, elle revint précipitamment;… sa figure, toujours bonne et gracieuse, était ravissante en ce moment.

      – Venez, venez! s'écria-t-elle en offrant son bras à madame de Montesson et l'entraînant vers le cabinet de l'Empereur; il veut bien vous voir!.. c'est d'un heureux augure.

      Madame de Montesson le pensait aussi, et cette pensée lui donna des forces pour parcourir l'espace assez grand qu'il y avait entre la chambre de Joséphine et le cabinet de Napoléon; mais à peine fut-elle entrée dans ce cabinet et eut-elle regardé Napoléon, que tout espoir s'évanouit de nouveau, et ce ne fut qu'en tremblant qu'elle entra dans l'appartement… Napoléon se promenait rapidement dans la chambre, ayant encore son chapeau sur sa tête, qu'il n'ôta même pas à l'entrée de madame de Montesson.

      – Eh bien, madame, lui dit-il assez brusquement… vous aussi vous vous liguez avec mes ennemis!.. vous venez me demander leur vie quand ils ne rêvent que ma mort!.. quand ils la cherchent et veulent me la faire trouver jusque dans l'air que je respire!.. Ils me rendent craintif… moi!.. oui… ils m'empêchent de sortir, parce que je redoute que la moitié de Paris ne soit victime de leur barbarie… ce sont des monstres!..

      Madame de Montesson ne répondit rien… l'Empereur s'irrita de son silence:

      – Vous n'êtes pas de mon avis, à ce qu'il paraît, madame?.. dit-il avec amertume.

      Elle baissa les yeux.

NAPOLÉON

      Vous ne voulez pas me faire l'honneur de me répondre?

MADAME DE MONTESSON

      Que puis-je vous dire, Sire?.. vous êtes ému, vous êtes surtout offensé… et vous ne m'entendriez pas. Ce que je puis seulement vous affirmer, c'est que j'ai l'horreur du sang, même de celui d'un coupable!.. Jugez ce que je pense de ceux qui veulent faire couler le vôtre!!!..

NAPOLÉON, se rapprochant d'elle

      Pourquoi donc alors, si vous avez de l'amitié pour moi, venez-vous intercéder pour des hommes qui me tueront demain, si tout à l'heure je leur fais grâce?..

MADAME DE MONTESSON

      Non, Sire; on vous a trompé. MM. de Polignac peuvent avoir une pensée unique, absolue, qui régit leur vie et les guide dans tout ce qu'ils font et ce qu'ils disent. Ils veulent le retour des princes, comme le général Berthier, le général Junot voudraient le vôtre en pareille circonstance; mais ils ne sont pas assassins. Ils ont pu employer un homme à qui tous les moyens sont bons; mais eux, ils sont incapables d'imaginer et encore moins d'exécuter une infamie.

JOSÉPHINE allant à lui et l'embrassant sur le front

      Que t'ai-je dit, mon ami?.. tu vois que madame de Montesson te parle comme moi!.. Que t'ai-je dit encore? que MM. de Polignac seraient à l'avenir liés par la reconnaissance s'ils te doivent leur vie!

MADAME DE MONTESSON

      Ajoutez à cette considération, qui est immense, que vous êtes dans un moment, Sire, où vous devez marquer par votre clémence plus que par la sévérité… Cette époque à laquelle vous êtes parvenu, vous savez que je vous l'ai presque prédite51; en faveur de cette prédiction… soyez toujours mon héros!.. soyez plus, soyez l'ange protecteur de la France!.. qu'on dise de vous seul ce qu'on n'a dit encore d'aucun souverain: —Il fut vaillant comme Alexandre et César, et bon comme Louis XII.

NAPOLÉON, d'une voix plus douce

      Mais je ne suis pas roi!.. je ne suis, comme empereur, que le premier magistrat de la république.

MADAME DE MONTESSON, souriant

      Vous êtes tout ce que vous voulez et vous serez aussi tout ce que vous voudrez… Enfin, comme premier magistrat de votre république, comme vous l'appelez, vous pouvez faire grâce, et il faut la faire.

NAPOLÉON

      Et qui me garantira non-seulement ma vie, mais celle de tout ce qui m'entoure, si je fais grâce?

MADAME DE MONTESSON

      La parole d'honneur des condamnés qu'ils ne violeront jamais, j'en suis garant.

NAPOLÉON

      Vous connaissez mal ceux dont vous répondez, madame, à ce qu'il me paraît; MM. de Polignac sont des hommes d'honneur, sans doute, mais ils regarderont la parole donnée comme un serment prêté sous les verrous, et ils s'en feront relever par le pape.

JOSÉPHINE

      Eh bien! si tu crains qu'ils ne soient pas assez forts contre leur volonté dominante, garde-les sous des verrous; mais pas de mort, mon ami… pas de mort!

MADAME DE MONTESSON se levant et allant à lui en lui prenant la main

      Sire!.. que faut-il faire? Faut-il vous conjurer à genoux?.. Sauvez M. de Polignac… sauvez les accusés; sauvez-les tous!.. oh! je vous supplie!..

      Et elle plia le genou au point de toucher la terre; Napoléon la releva précipitamment et la contraignit presque de se rasseoir.

NAPOLÉON

      Vous m'affligez… car, en vérité, je ne puis vous accorder la vie de tous ces hommes, pour qui le repos de la France n'est rien, et qui se jouent du sang de ses fils comme de celui d'une peuplade sauvage.

JOSÉPHINE

      Bonaparte52, je t'ai déjà bien prié… je te prierai tant qu'il y aura de l'espoir… mais, si tu me refuses, je ne t'aimerai plus…

NAPOLÉON l'embrassant

      Mais puisque tu m'aimes, comment peux-tu me demander la grâce de ces hommes qui non-seulement, je le répète, veulent ma mort, mais le bouleversement de la France?

MADAME DE MONTESSON avec douceur

      Ce n'est pas ce qu'ils veulent.

NAPOLÉON

      Eh! madame, peuvent-ils espérer autre chose?


<p>49</p>

Il était empereur depuis le 4 mai 1804; on était alors en juin.

<p>50</p>

Malgré sa vive préoccupation, madame de Montesson fut frappée d'une façon risible en entendant ce mot si comique dans une circonstance de vie et de mort. – On sait que madame Bonaparte n'aimait aucune de ses belles-sœurs, et madame Murat était, dans le temps où nous sommes maintenant, l'une de celles qu'elle aimait le moins. – Le jour de la machine infernale, madame Murat était en effet dans la voiture de madame Bonaparte avec mademoiselle de Beauharnais 176. Elles ne furent sauvées toutes trois que parce que Rapp, qui pourtant ne s'entendait guère à la toilette des femmes, s'avisa, en descendant l'escalier, de trouver que le châle de madame Bonaparte n'allait pas avec la robe, ou je ne sais quelle autre partie de l'habillement. Madame Bonaparte, qui allait immédiatement après le Consul, se serait trouvée dans l'explosion, tandis qu'elle ne se trouva qu'à une grande distance. M. d'Abrantès échappa à la mort également ce jour-là par un hasard miraculeux.

<p>51</p>

La faveur dont jouissait madame de Montesson ne venait pas, comme on le croyait, de madame Bonaparte, mais de Napoléon lui-même. Un jour, le duc d'Orléans était à Brienne avec madame de Montesson, alors sa femme; le prince fut invité à donner les prix aux élèves de l'école militaire, et ce fut madame de Montesson que le prince chargea de ce soin, et qui les couronna. En donnant le laurier à Napoleone Buonaparte, elle lui dit: Je souhaite qu'il vous porte bonheur. Cette phrase, dite sans aucune pensée directe, fit impression sur le jeune homme couronné; et plus tard, lorsqu'il fut au pouvoir, il se rappela madame de Montesson et fut doublement heureux en la retrouvant liée avec Joséphine. Et son amitié pour elle se ressentit beaucoup de la pensée de Brienne, à laquelle d'ailleurs elle faisait très-souvent allusion.

<p>52</p>

Elle ne lui donnait jamais le nom de Napoléon, ni en lui parlant, ni loin de lui. Elle disait toujours Bonaparte, et plus tard, en parlant de lui, l'Empereur. Mais elle fut très-longtemps à prendre l'habitude de ce dernier nom… et en lui parlant alors, elle lui disait: Mon ami.