C’est le texte dramatique français de l’Andromède de Corneille, créé presque trois ans plus tard dans la salle du Petit Bourbon avec les machines que Torelli avait conçues pour Orfeo, qui aura droit à une édition de prestige. Jouée en pleine Fronde à partir du début du mois de janvier 1650, durant la fragile trêve qui précède l’arrestation de Condé, Conti et Longueville, cette tragédie à machines et avec musique marque le début d’une nouvelle ère pour la fête théâtrale. En effet, tout se passe comme si la participation de Corneille révélait, pour la première fois en France, toute la force de la composante dramatique d’une représentation à grand spectacle – douce revanche pour l’auteur du Cid dont Desmarets avait eu l’ambition de corriger les défauts en donnant à Richelieu la magnifique, mais exsangue tragicomédie de Mirame.
Aussi les vers de Corneille inspirent-ils à Théophraste Renaudot, dans un extraordinaire de la très officielle Gazette de France, des pages dithyrambiques où perce l’espoir d’une réconciliation du royaume. Cet espoir, c’est le texte lui-même qui le porte : « venu au comble de la perfection : et pour parler avec les Astrologues, en son apogée », le poème dramatique, observe Renaudot, retrouve le pouvoir « d’apprivoiser » et de « rendre plus traitables » les esprits de ce temps17.
Inspiré des Métamorphoses, le sujet d’Andromède s’était déjà prêté, au moment où Corneille s’en empare, à de nombreux usages politiques18. La libération, par le fils de Jupiter, de l’héritière du trône d’Éthiopie offerte en sacrifice à un monstre marin en raison de l’hybris de sa mère convient parfaitement à la célébration des vertus des princes chrétiens pourfendeurs d’hérésies et protecteurs de la vertu. En développant les caractères de Persée et de son rival, le prince Phinée auquel est d’abord promise Andromède, Corneille offre au jeune Louis XIV le portrait du « plus jeune et [du] plus grand des rois » comme l’entonne le chœur du prologue. Le texte imprimé permet de prendre la pleine mesure du discours moral et politique qui se déploie dans Andromède sous la forme d’un discours dramatique soutenu19.
Ce n’est plus Torelli dont les décors et les machines sont pourtant à l’origine du spectacle, mais Corneille qui obtient les privilèges et contrôle l’impression de la magnifique mise en scène de son texte dramatique. Un « dessein […] contenant l’ordre des scènes, la description des théâtres et des machines et les paroles qui se chantent en musique », imprimé à Rouen « aux dépens de l’auteur », se vend à Paris chez Antoine Courbé dès le mois de mars 1650. Comme pour l’argument de la Finta pazza, il attise la curiosité du public qui n’a pas encore pu assister aux représentations, mais peut aussi servir de livret pour suivre les paroles chantées durant le spectacle car, en dépit de la déclaration que Corneille place à la fin de l’argument de sa tragédie – « cette pièce n’est que pour les yeux » –, l’auteur dramatique est particulièrement soucieux que ses vers soient entendus et compris. La première édition du texte, un in-12° imprimé à Rouen chez Laurens Maurry et vendu à Paris chez Charles de Sercy, ne diffère en rien des publications des autres pièces de théâtre de l’époque, sinon que sa mise en page est particulièrement soignée20 et inclut une description circonstanciée des décors. C’est un an plus tard que paraît, grâce aux soins du même Maurry, le livre commémorant ce spectacle magnifique : un in-4° enrichi de six planches gravées par François Chauveau.
C’est à l’aune de la tragédie de Corneille que durent se mesurer les dernières fêtes théâtrales farcies d’entrées de ballet composées par l’abbé Buti. Le texte dramatique italien du ballet des Nozze di Peleo e di Teti, chanté à l’occasion du carnaval de 1654, et celui d’Ercole amante, qui devait être prêt pour le mariage de Louis XIV et de Marie-Thérèse mais ne sera créé qu’en 1662, représentent les dernières tentatives d’adaptation des spectacles transalpins au goût français avant que Molière, Quinault et Lully ne développent pleinement les formes hybrides et originales que sont la comédie-ballet et la tragédie en musique21.
Ces textes sont publiés avec des traductions françaises qui ne sont pas seulement infidèles, comme on l’a remarqué, mais cherchent précisément à reproduire la grandeur des vers que Corneille avait su faire entendre sur la scène du théâtre du Petit Bourbon. Imprimées en regard du texte original italien sur les pages de gauche, ces traductions restées anonymes prêtent aux personnages des pensées et un langage plus honnêtes et bienséants22.
En dépit de leur prologue encomiastique, les textes dramatiques de l’abbé Buti résistent à la lecture allégorique, et les clés que l’on a essayé de leur appliquer ne produisent que de bien insatisfaisantes interprétations. Comme l’expliquent Thétis, Pélée et Prométhée à la toute fin des Nozze di Peleo e di Theti, la leçon morale qu’on pourrait tirer de l’intrigue se résume au principe suivant lequel les épreuves imposées par la vertu conduisent à la félicité.
La fonction épithalamique d’Ercole amante est évoquée une première fois dans le prologue par le personnage de Diane (Cynthie) :
E veda ogn’un che desiar non sa | Car le prix le plus noble et le plus magnifique |
Un eroico valore, | Dont se puisse payer la valeur heroïque, |
Qui giù premio maggiore | C’est de pouvoir enfin avec tranquillité |
Che di goder in pace alta beltà. | Posséder plainement une rare Beauté.23 |
Il est ensuite repris par le chœur dans l’apothéose qui clôt la représentation :
Così un giorno avverà con più diletto | Ainsi sur son pompeux et triomphant rivage, |
Che della senna in sù la riva altera | La Seine quelque jour doit voir le mariage, |
Altro Gallico Alcide arso d’affetto | Dont saintement estreint, un Hercule François |
Giunga in pace à goder bellezza Ibera. | De l’Ibere Beauté suivra les douces loix : |
Mà noi dal Ciel traem viver giocondo | Mais au lieu qu’en l’Hymen où le Ciel nous engage |
E per tal coppia sia beato il mondo. | Nous seuls favorisez, trouvons nostre advantage |
Ce couple glorieux dans les justes plaisirs |