" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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Nous savons, enfin, que le marché du texte dramatique imprimé, en proposant des pièces à lire et à jouer, met en jeu la propriété intellectuelle et les intérêts financiers des libraires, des auteurs dramatiques et des troupes de comédiens1. La présente communication n’apportera qu’une modeste contribution à ce vaste champ d’études en présentant quelques réflexions sur les fonctions du texte dramatique dans les premiers livres de fêtes publiés en France entre le milieu du XVIe siècle et le milieu du XVIIe siècle.

      Force est de constater que durant cette période en France, la publication d’un texte dramatique joué à l’occasion d’une fête ou d’une cérémonie politique est plutôt l’exception que la norme. Ces textes sont bien connus des spécialistes des arts du spectacle : les vers composés par Nicolas Filleul pour le Balet comique de la Royne donné par la reine Louise de Lorraine à l’occasion du mariage du duc de Joyeuse le 15 octobre 1581 ; l’Arimène de Nicolas de Montreux, grande pastorale à intermèdes jouée à la cour de Nantes pour le carnaval de 1596, imprimée avec une description détaillée de sa mise en scène ; Mirame, tragi-comédie de Jean Desmarets jouée à l’occasion de l’inauguration de la grande salle de spectacle du Palais Cardinal le 14 janvier 1641 ; et quatre des pièces en ou avec musique et machines commanditées par Anne d’Autriche et Mazarin : La Folle supposée (La Finta pazza) de Giulio Strozzi, jouée en décembre 1645, l’Andromède de Pierre Corneille, créée en janvier 1650, Les Noces de Pélée et de Thétis (LeNozze di Peleo e di Theti) de Francesco Buti jouée en avril et en mai 1654, et l’Hercule Amoureux (Ercole Amante), toujours de Buti, créée en février 1662.

      Il est vrai que la fête théâtrale n’est pas aussi appréciée chez nous qu’elle ne l’est par exemple à la même époque à Florence, à Rome ou à Ferrare, où les textes dramatiques sont non seulement publiés sous forme de livrets pour faciliter la compréhension du spectacle, mais souvent reproduits dans de magnifiques livres commémoratifs. Or, les quelques pièces représentées lors de spectacles ou de cérémonies, notamment à l’occasion d’entrées solennelles, ne sont pas non plus imprimées comme en témoigne, par exemple, le livre qui commémore l’entrée d’Henri II et de Catherine de Médicis à Lyon en 1548. À l’occasion de cette entrée fastueuse, l’archevêque de Lyon, ainsi que les artisans, marchands, et banquiers représentant la nation florentine, financèrent une représentation de La Calandria, comédie de Bernardo Dovizi da Bibbiena imitée des Ménechmes, farcie d’intermèdes allégoriques joués dans un décor fastueux. Ce spectacle n’est que sommairement décrit dans la relation officielle imprimée chez Guillaume Rouillé. C’est dans un opuscule de vingt-sept pages imprimé à la suite de la traduction italienne du livre de l’entrée lyonnaise que la nation florentine fait valoir sa contribution à la magnificence préparée en l’honneur des souverains. Cette Particulare descritione della Comedia che fece recitare la Natione Fiorentina à richiesta di sua Maesta Christianissima donne une description détaillée du décor de la salle de spectacle, le récit du déroulement de la représentation et les vers des intermèdes allégoriques ; mais la comédie, elle, n’est ni reproduite, ni décrite. Elle n’est annoncée que par les propos du personnage jouant le prologue, rapportés dans la relation, qui explique qu’elle est imitée de Plaute et qu’elle a été choisie :

      […] primieramente per cio che piacevolissima era et di sollazzevoli motti piena et da i piu intendenti stata sempre lodata e pregiata molto, e appresso per cio che era nata nella patria loro di Toscana e fattura di persona illustre et nelle buone lettere essercitata, e nutrita poi, e con sommo honore alzata dalla Chiarissima casa della Maestà Christianissima della Regina sua Consorte.2

      C’était tout ce qu’il y avait à dire d’un divertissement dont les vers, contrairement aux intermèdes, ne pouvaient contribuer à la louange des souverains. En effet, dans le contexte d’une fête ou d’une cérémonie officielle, un texte dramatique n’est imprimé que s’il participe de la magnificence de l’événement commémoré, qualité essentielle de la fête dont Roy Strong a bien montré la centralité, et que Jean-Yves Vialleton nous invite à considérer, à côté des notions d’honnêteté et de galanterie, comme une catégorie esthétique à part entière3. Un texte dramatique joué à l’occasion d’une fête ne paraîtra dans un livre commémoratif qu’à condition que son sujet, ses personnages et son style répondent aux critères de noblesse, de gravité et de sérieux convenables à la célébration de son hôte ou de son commanditaire.

      La publication de L’Arimène de Nicolas de Montreux illustre parfaitement cette volonté de traduire et de pérenniser la magnificence d’un spectacle4. L’épître dédicatoire du livre commémorant la représentation de cette pastorale à intermèdes et à machines donnée à grands frais à la cour de Nantes durant le carnaval 1596 accorde explicitement au texte dramatique imprimé une fonction encomiastique. Montreux attribue en effet à son maître, Philippe-Emmanuel, duc de Mercœur, la paternité d’une œuvre qui

      n’a peu naistre autrement de [lui], puis que la vertu qui [le] recommande, ne souffre point l’imparfaict. Les paroles ne sont point trop basses, les inventions qui ont formé les corps des intermedes, ont ravy les ames des spectateurs, en leur objects, et la naïfve prononciation des vers, esmeut à les entendre. Aussi ont ils esté honorez par le voeu des plus belles ames de ceste province, qui ont servy [sa] louäble intention en ce labeur : ils ont partagé justement la gloire qui l’a suivy, dont comme [lui, Montreux], ils [lui, Mercœur] recognoissent la cause.5

      Ce lieu commun des épîtres dédicatoires, qui prétend faire du commanditaire le véritable auteur du texte imprimé, s’exprime ici en des termes qui confondent les forces en jeu dans une relation de clientèle où le public est pris à partie. Les qualités morales du duc de Mercœur, commanditaire d’un spectacle dont il aurait été l’inventeur, ne peuvent produire autre chose que la perfection du style. Cette perfection est source de ravissement pour des spectateurs qui voient avec délice le mouvement harmonieux des machines des intermèdes, alors que la justesse de la déclamation permet aux vers de les émouvoir.

      Nul doute que la commémoration de ce spectacle ne procurât au duc de Mercœur la satisfaction de se voir représenter en seigneur magnifique dispensateur de divertissements raffinés comme l’avaient été les Médicis et les Valois, et ce en dépit de la révocation récente de son poste de gouverneur de Bretagne par Henri IV. Or, la magnificence du prince renvoyant au poète, comme dans un miroir, une image magnifiée de son art, la représentation exceptionnellement fastueuse de L’Arimène sert aussi les ambitions d’un auteur engagé dans la publication de l’ensemble de son œuvre6.

      En plus de traduire la magnificence du spectacle et de contribuer à la réputation de son commanditaire et de ses inventeurs, la publication du texte dramatique d’une fête théâtrale peut aussi se substituer, de façon métonymique, à une relation détaillée de l’ensemble des activités associées à la célébration d’un événement politique. Comme je l’ai montré dans La Fête imprimée7, c’est le cas, par exemple, du livre qui commémore les fêtes données en l’honneur du mariage du duc de Joyeuse et de Marguerite de Lorraine en octobre 1581.

      Parmi les nombreux tournois, bals et banquets donnés à cette occasion, auxquels avaient pourtant contribué les plus grands artistes de l’époque, seul le ballet de Circé donné par la reine Louise a été imprimé, assurant la gloire à son inventeur, Balthazar de Beaujoyeux. Ce spectacle, où le chant, la déclamation, la danse, les chars et les machines concourent à éblouir la cour, était pour la première fois structuré de manière à représenter une intrigue suivie. Les vers chantés et déclamés représentent une action simple qui consiste à engager le roi de France, aux côtés de la reine et de nymphes qui se révoltent contre la tyrannie de Circé, à vaincre les charmes de la magicienne grâce au soutien de Pan, des quatre Vertus Cardinales, de Minerve et de Jupiter.

      En plus de se prêter à plusieurs interprétations allégoriques célébrant le pouvoir universel et pacificateur d’Henri III, le poème dramatique est farci d’éloges directs aux souverains. Dès le début du