" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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le feras, HENRY, plus valeureux qu’Alcide

      Ou celui qui tua la chimère homicide :

      Et pour tant de mortelz et dieux que tireras

      Des liens de la Fee, immortel te feras

      Et la postérité qui te feras des temples,

      De verdissant laurier couronnera tes temples.

      Plus loin, un chœur de sirènes renchérit en rappelant que

      Jupiter n’est seul aux cieux,

      La mer loge mille Dieux :

      Un Roy seul en France habite,

      HENRY, grand Roy des François,

      En peuple, en justice, en loix

      Rien aux autres dieux ne quitte.

      Autre qualité du poème dramatique de Nicolas Filleul, les répliques sont émaillées de ces sentences qui font le prix des tragédies de l’époque, et que des guillemets distinguent dans les marges du livre :

      Il fasche d’estre serf, mais cette servitude

      Qu’on rend a un indigne est plus vile et plus rude.

      Souvent l’opinion, que le vulgaire bruit,

      Seme un brave renom ou du tout le détruit.

      Les actes violents d’une chaude jeunesse

      Ne sont point estimez pour vertus ni prouesse ;

      C’est du temps advenir l’espoir verd qui fleurit,

      Et fletrit si le temps en fruit ne le meurit.

      Mais pour mal conseillé cestuy-là on estime

      Qui se hasarde en vain.

      Ces sentences font écho aux devises représentées sur les médailles que des dames de la cour présentent, à la fin du spectacle, aux seigneurs de la maison de Lorraine, aux favoris et à d’autres dignitaires. Elles constituent autant de mises en garde contre le mauvais usage des passions et rappellent que ce mariage entre une princesse de Lorraine et un favori du roi visait, du moins en apparence à rétablir la paix du royaume8.

      La publication de Mirame, tragicomédie de Jean Desmarets, représente un autre cas intéressant de substitution métonymique. Imprimée chez Henri Le Gras en format in-folio avec six belles estampes réalisées par Stefano della Bella, le texte dramatique de Mirame remplit seul la fonction de commémorer la grande fête donnée par Richelieu le 14 janvier 1641 en l’honneur de la reine avec qui le ministre souhaitait se raccommoder publiquement. Un compte rendu de la Gazette nous apprend en effet que cette soirée de gala, qui inaugurait la nouvelle salle de spectacle du Palais Cardinal, comportait également une collation et un bal magnifiques9. En limitant la commémoration de la fête à la fable dramatique jouée à son occasion, le livre qui paraît chez Le Gras conserve la mémoire d’un événement inimitable en lui associant les qualités poétiques de la tragicomédie réglée telle qu’elle est théorisée à l’époque dans l’entourage de Richelieu10.

      Il est probable que, derrière l’intention que proclame pompeusement le titre du livre –Ouverture du théâtre de la grande salle du Palais Cardinal –, Richelieu ait également voulu célébrer, par anticipation, un mariage qui rehaussait le prestige de sa maison et qui allait être conclu un mois plus tard : celui de sa nièce, Claire-Clémence de Maillé-Brézé, avec Louis II de Bourbon, duc d’Enghien, le futur Grand Condé. Bien que cette fonction épithalamique ne semble pas avoir été relevée par les premiers publics de Mirame, l’intrigue qui est peut-être de l’invention de Richelieu, où il est question d’une princesse qui obtient d’épouser, contre toute attente, le prince étranger et rebelle dont elle est amoureuse, se prête tout à fait bien à la célébration d’une telle union.

      En revanche, la volonté de rendre public, grâce à ce spectacle, un rapprochement politique entre la reine et le ministre n’échappa pas aux ennemis de Richelieu qui firent courir le bruit que la pièce avait été choisie non pas pour rendre hommage, mais pour humilier Anne d’Autriche. Tallemant des Réaux et l’abbé Arnaud rapportent en effet une clé selon laquelle l’entretien secret que l’héroïne accorde de nuit à son amant évoquait l’idylle scandaleuse impliquant la reine avec un « prince étranger », le duc de Buckingham, une quinzaine d’années auparavant. Cette clé, qui en toute probabilité ne traduit pas une intention de Richelieu11, atteste néanmoins qu’un texte dramatique joué à l’occasion d’une fête de cour se prête nécessairement à ce type de lecture et que sa publication permet à un plus large public de juger de la valeur de telles interprétations12.

      La dernière fonction qu’il est nécessaire de relever dans le cadre restreint de cette analyse, est sans doute celle qui a le plus intéressé les premières générations de chercheurs qui se sont penchés sur les fêtes politiques des cours européennes. Plus que la lecture à clé, c’est l’interprétation allégorique des fables historiques ou mythologiques qui justifie le plus souvent leur sélection et leur représentation. La publication d’un texte dramatique joué dans le contexte d’une fête, surtout si le texte est accompagné d’un prologue ou de discours qui en explicitent les significations, comme c’est le cas notamment dans le livre du Balet comique de la Royne, intensifie ce type de réception. Or c’est précisément à cette lecture que résistent trois des quatre grandes fêtes théâtrales commanditées par Anne d’Autriche et Mazarin dont le texte dramatique a été imprimé.

      La première est donnée dans la salle du Petit-Bourbon à l’occasion du carnaval de 1645. Pour offrir au jeune roi et à la cour un spectacle fastueux dans le goût de ceux qui faisaient la réputation de Rome, de Florence et, depuis peu, de Venise, Anne d’Autriche fait venir de la Sérénissime le célèbre architecte-ingénieur Giacomo Torelli, accompagné du chorégraphe Giovan Battista Balbi. Les deux artistes sont chargés de préparer avec les comédiens italiens de la troupe de Giuseppe Bianchi, installée à Paris, une mise en scène à grand spectacle de la Finta pazza de Giulio Strozzi. Torelli, qui avait conçu les décors et les machines pour la création de cet opéra au Teatro Novissimo de Venise en 1641, reproduit à Paris non seulement sa scénographie, mais aussi la stratégie éditoriale qu’il avait développée avec Strozzi et les membres de l’Académie des Incogniti, et qui avait assuré le succès et la renommée de leur entreprise. Il obtient, en effet, un privilège pour imprimer un argument avant la représentation afin d’attiser la curiosité du public, et surtout, il publie le texte de la pièce avant que ne débutent les représentations13.

      Contrairement aux petits livrets publiés à Venise, cet in-folio n’est pas principalement destiné à être emporté au théâtre pour faciliter la compréhension du spectacle, bien que l’intrigue de la Finta pazza, qui raconte les aventures d’Achille dans l’île de Scyros, ne soit pas facile à suivre. Il s’agit bien plutôt d’un livre commémoratif qui contient une dédicace et une adresse du scénographe au lecteur, une relation circonstanciée du spectacle, ainsi que cinq planches gravées représentant les décors et les machines. Le titre de l’ouvrage, Feste theatrali per la Finta pazza, drama del sigr Giulio Strozzi, rappresentate nel Piccolo Borbone in Parigi quest anno 1645 et da Giacomo Torelli da Fano Inventore dedicate ad Anna d’Austria Regina di Francia, met d’ailleurs bien en évidence le rôle que s’approprie Torelli dans cette affaire. Le titre promet des « fêtes théâtrales » dédiées à la reine mère par leur inventeur et données à l’occasion non pas d’un événement heureux, mais pour servir à la représentation de la Finta pazza. En remplaçant la préposition articulée « della » appelée normalement par le contexte, par la préposition et l’article « per la », le livre commémoratif place le service rendu par Torelli à la reine au rang des événements dignes de commémoration, reléguant le texte dramatique au statut de faire-valoir du spectacle. Les personnages de Strozzi, la vivacité de leurs répliques et la complexité de l’intrigue comique ayant été conçus pour répondre aux goûts du public bigarré qui s’attroupait