" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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du père Garasse

      Julie MÉNAND

      IHRIM-Lyon 2 (UMR 5317)

      Le père Garasse (1585-1631) est un écrivain jésuite spécialisé dans l’écriture de combat. Le contexte dans lequel il prend la plume est en effet propice à la polémique. Les difficultés que rencontre la Compagnie de Jésus depuis son rétablissement en France (1604), l’arrière-plan des dernières guerres de religion ou encore la montée de l’incroyance dénoncée par les apologistes constituent autant de lignes de front. Le père Garasse s’engage donc en s’inscrivant dans une dynamique propre à son Ordre. Son œuvre est ainsi marquée par le foisonnement polémique qui caractérise le début du siècle.

      La critique s’est essentiellement intéressée à ses écrits de combat, ce qui tend à occulter le fait qu’il est l’auteur d’une œuvre protéiforme. Entre 1611 et 1620, il rédige des vers latins de circonstance liés à des enjeux nationaux, comme la mort d’Henri IV et le sacre de Louis XIII1, ou régionaux, comme l’édification à Bordeaux de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde2. Le père Garasse rédige également des textes français en prose, à l’instar du Rapport d’un Parlement au Ciel et d’un premier Président au Soleil3, adressé au président du parlement de Bordeaux André de Nesmond, ou en prose et vers mêlés, comme La Royalle Reception4, qui rend compte des festivités dans la ville de Bordeaux lors du mariage de Louis XIII. Il est enfin l’auteur de l’oraison funèbre d’André de Nesmond5, publiée en 1617.

      Progressivement, le père Garasse laisse de côté le genre épidictique pour aborder ses premiers combats. Là encore, sa pratique est diversifiée. Il commence par de courtes satires latines en prose et vers mêlés (1614-1616)6 et poursuit avec une brève satire française en prose et vers mêlés également (1617)7, visant des adversaires gallicans et protestants. Suivent deux ouvrages plus volumineux parus entre 1619 et 1622, qui tiennent tout à la fois de l’ouvrage de réfutation et du libelle8. La Doctrine curieuse (1623)9, pamphlet satirique destiné à combattre les libertins et plus spécifiquement le poète Théophile de Viau, trouve un pendant doctrinal en la Somme théologique (1625)10, genre religieux que le père Garasse tente de faire entrer dans le champ des belles-lettres. Dans le but de se défendre, il rédige enfin, entre autres, une Apologie11, un Mémoire justificatif12, et des mémoires non publiés de son vivant couvrant l’histoire des jésuites parisiens entre 1624 et 162613.

      L’œuvre du père Garasse, sous ses formes multiples, est tout entière consacrée à l’illustration et à la défense de son Ordre, et à la lutte pour la Réforme catholique. Le jésuite, pragmatique, adapte ses stratégies de publication à l’adversaire, au destinataire et au contexte. L’objectif de cette étude sera d’examiner ses différentes stratégies de publication, stratégies qui aident à percevoir la diversité de son œuvre et de ses enjeux.

      Au début de sa carrière (1611-1620), le père Garasse produit des écrits de célébration, tantôt liés à la ville de Bordeaux, où il a résidé pendant sa formation, tantôt liés à des enjeux nationaux. Ces écrits peuvent être rédigés en vers ou en prose, en français ou en latin. Ils sont publiés de façon régulière et, pour la plupart, sous son nom et titre de jésuite. En 1611 paraissent ainsi des élégies latines adressées à Louis XIII à la mort de son père et d’autres élégies consacrées au sacre du jeune roi : sur leurs pages de titre figurent la mention du nom de l’auteur, de sa ville d’origine, Angoulême, et de sa qualité de jésuite : Franciscus Garassus Engolimensis, ex Societate Iesu14. Dans le cas du recueil collectif de vers latins relatifs à la consécration de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde (1617), ou des vers latins célébrant la statue d’Henri IV érigée sur le Pont‑Neuf15, le nom de l’auteur et son statut n’apparaissent pas dès la page de titre. En revanche, l’auteur signe les pièces liminaires adressées à des destinataires prestigieux, respectivement le cardinal de Sourdis et le Premier président du parlement de Paris Nicolas de Verdun, « Franciscus Garassus S.I.T.16 ».

      L’identification de l’auteur en début d’ouvrage n’est pas systématique pour les écrits de célébration en langue française. Le Rapport d’un Parlement au Ciel, et d’un premier President au Soleil, adressé pour ses étrennes à André de Nesmond, ne donne pas le nom de l’auteur. Son identité est donnée en fin d’ouvrage, sous forme de signature : « Vostre tres-humble & obeissant serviteur, François Garassus de la Compagnie de Jesus17 ». Peut-être s’agit-il d’un choix tendant à afficher une posture de modestie dans le cadre d’une publication qui n’est pas collective ou n’émane pas de l’Ordre – même si les bonnes relations entre André de Nesmond et la Compagnie sont soulignées par le jésuite18.

      La page de titre peut comporter, comme c’est le cas pour les élégies célébrant le sacre de Louis XIII, la formule « nomine collegii Pictavensis Societatis Iesu » avant la mention du nom de l’auteur : il s’agit de montrer que la publication se fait au nom de l’Ordre et prend place aux côtés des autres productions jésuites visant à célébrer la dynastie royale française. De même, dans La Royalle reception (1615), celui qui prend en charge le discours s’efface : la publication se fait sous le signe de la collectivité, comme en témoigne l’adresse finale au roi, qui le prie d’accepter cet ouvrage au nom de ses « tres-humbles & tres-fidelles sujets & serviteurs, les Peres de la Compagnie de Jesus, du College de Bordeaux19 ». Seul un poème liminaire des ChampsElyziens, signé Sammartinus, cite l’auteur, mais seulement par ses initiales20.

      Les écrits de célébration paraissent en outre avec une adresse typographique réelle, conformément aux lois qui régissent l’imprimerie. Certains d’entre eux possèdent un privilège, comme la Royalle reception. À l’exception du Colossus Henrico Magno in Ponte Novo positus, publié en 1617 chez le libraire-imprimeur parisien Sébastien Chappelet, tous les textes du père Garasse relevant du genre épidictique sont publiés soit chez Simon Millanges à Bordeaux, soit chez Antoine Mesnier à Poitiers. Le choix de ces lieux s’explique par les déplacements du père Garasse, liés à l’évolution de sa carrière. Il s’explique aussi par les sujets traités – les vers latins du jésuite célébrant l’édification de la Chartreuse Notre-Dame de Miséricorde paraissent en 1620 à Bordeaux, en même temps que d’autres textes similaires. L’adresse de ces deux imprimeurs ordinaires du roi, qui figure sur chacune des pages de titre, confère à ces publications un statut régulier.

      Ces écrits sont donc assumés par le père Garasse, qui contribue ainsi à la vie de son Ordre, tout en se forgeant une identité d’auteur. Ces textes, essentiellement produits en début de carrière et témoignant de ses talents, peuvent également être utilisés à des fins personnelles afin de construire sa carrière au sein de la Compagnie. Dans le cadre de polémiques ultérieures autour de la Doctrine curieuse (1623), le jésuite revendique en outre ces écrits pour mettre en valeur ses qualités d’écrivain, qui lui sont niées, et pour se défendre d’avoir l’esprit porté à la satire21.

      Écrits épidictiques et satiriques sont liés. Tout comme les seconds, les premiers participent du combat pour le rétablissement des positions jésuites en France. Il ne s’agit pas que de contribuer au prestige de l’Ordre par le biais de poèmes virtuoses en latin. Il s’agit également de donner des gages de loyauté au pouvoir royal dans un contexte troublé, en produisant des textes patriotiques. Les écrits du père Garasse s’inscrivent donc dans l’ensemble des publications jésuites du temps, et reflètent l’état des relations entre la royauté et la Compagnie suite à la mort d’Henri IV. Ils tendent à réaffirmer la fidélité des jésuites au souverain alors qu’ils sont mis en cause. Les écrits épidictiques sont donc le pendant d’un autre type de productions jésuites, qui combattent les accusations portées contre la Compagnie.

      Dans le cadre de sa production satirique (1614-1620), le père Garasse publie soit sous l’anonymat, soit sous pseudonyme. Quant aux adresses, lorsqu’il y en a, elles sont souvent fictives. Ses écrits satiriques n’émanent pas officiellement de la Compagnie, même s’ils sont souvent en lien avec d’autres textes jésuites de