" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

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Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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l’esprit » du texte, qui se trouve défini comme un discours adressé par une instance énonciatrice à un récepteur. Du Ryer entend rétablir le fil de l’un à l’autre, « traduire » le texte et par là rendre ce discours intelligible.

      On ne s’étonne pas, dès lors, que la lecture devienne un phénomène pluriel, le livre suggérant plusieurs entrées possibles dans le texte et comportant des rythmes et des architectures qui ne se recouvrent que partiellement : la page, le livre sont dans la traduction commentée et illustrée de 1660 un ensemble polyphonique, supports et structure d’une multiplicité de discours. Dans sa matérialité même, le livre répond à la préface de Du Ryer en reflétant une lecture des fables comme récits à moralité, et non plus comme récits moralisants8.

      Cette tendance sous-tend également l’écriture des Métamorphoses en rondeaux d’Isaac de Benserade (1676), comme l’a montré Marie-Claire Chatelain9, mais aussi, ce qui est nouveau dans le siècle, la conception de leurs figures gravées par François Chauveau, Jean Lepautre et Sébastien Leclerc. Ces images, où se perçoit l’influence de la série de 1619, montrent une attention fine des graveurs au texte qu’ils illustrent : dans notre corpus, c'est l'un des rares cas (avec l’Ovide burlesque de d’Assoucy) d’une série gravée spécifiquement pour le texte et d’après lui.

      Sébastien Leclerc, « Persée délivre Andromède », dans les Métamorphoses d'Ovide en rondeau, Paris, Imprimerie royale, 1676, p. 122. [BmL : Rés 106084]

      Dans un article très complet consacré à l’ouvrage, Véronique Meyer souligne que les gravures illustrent les moralités des fables bien plus que les fables elles-mêmes, moralités qui constituent de fait le fond sur lequel travaille Benserade, et qui offrent souvent leur pointe à ses poèmes10.

      Dernier avatar de cette série, la traduction de 1701 par Morvan de Bellegarde s’accompagne de copies de la série de 1676 par François Ertinger.

      François Ertinger, Les metamorphoses d'Ovide, avec des explications à la fin de chaque fable. Traduction nouvelle par M. l'abbé de Bellegarde, Paris, Michel David, 1701, t. I, p. 258 [BmL : 400543]

      Là encore, la suite gravée enregistre la lecture mondaine des fables, et l’ingéniosité est considérée comme leur qualité première : les mythes ovidiens s’avèrent très proches dans leur fonctionnement des fables ésopiques – l’ensemble des composantes du livre, texte et images, est sous-tendu par l’idée de bel esprit et par la forme de l’épigramme. La matière ovidienne, précédemment réputée mystérieuse parce que poétique, moralisable parce que fictive, est donnée à lire comme le livre de référence d’une mythologie assimilée par la galanterie.

      C’est dans cet esprit aussi que sont gravées les images de l’Ovide en belle humeur11. Volontairement très différentes des séries précédentes, ces gravures traduisent visuellement l’entreprise burlesque et désacralisatrice de d’Assoucy. Ovide est sommé de se contempler dans le miroir déformant mais véritable du burlesque. De même les images, encadrées de rideaux qui en exhibent le caractère de comédies au second degré, jouent avec la tradition visuelle de l’emblème et avec les lieux communs de la représentation mythologique.

      Anonyme, frontispice, dans d’Assoucy, L'Ovide en belle humeur, Paris, Charles de Sercy, 1650 [BmL : 317797]

      Anonyme, Phébus et le serpent Python, dans d’Assoucy, L'Ovide en belle humeur, Paris, Charles de Sercy, 1650, p. 84. [BmL : 317797]

      La traduction illustrée (b) : le livre-musée

      Un deuxième modèle de traduction illustrée apparaît en 1677 avec Les Métamorphoses d’Ovide en latin et en françois, divisées en XV livres, avec de nouvelles explications Historiques Morales & Politiques, sur toutes les Fables, chacune selon son sujet, de la traduction de Mr Pierre Du Ryer parisien, de l’Académie françoise. Édition nouvelle, enrichie de tres-belles figures publiées à Bruxelles chez François Foppens. Si le texte est bien celui de 1660, accompagné de ses commentaires, l’édition signale une approche nouvelle des Métamorphoses. Nous avons eu l’occasion d’analyser l’importance qu’occupent les gravures dans cette édition, reprise à Amsterdam en 1702 chez Blaeu, Janssons a Waerberg, Boom et Goethals, et actualisée en 17321. La fragmentation du texte, la multiplication des gravures et une iconographie plus proche de la tradition picturale rapprochent ces livres d’une forme de musée mythologique : un rapport nouveau à l’Antiquité se laisse percevoir dans ces gravures, qui s’exhibent comme des artefacts, des rêveries parfois nostalgiques, souvent facétieuses, à partir d’une époque révolue. Cette mise en avant dans les images même de leur nature d’artefact est confirmée par la reproduction auprès du texte d’Ovide d’œuvres rares (les cartons de l’histoire de Méléagre peints par Le Brun) ou marquantes (la salle des Géants de Giulio Romano à Mantoue). Ces phénomènes additionnés tendent à transformer les fables d’Ovide en un ensemble de cartouches posés sous les figures du livre, objet de collectionneur et cabinet de curiosités mythologiques.

      La traduction illustrée (c) : rêverie du lecteur solitaire

      Un dernier modèle d’illustration, enfin, enregistre dans le livre l’existence de la lecture en liberté, faite à plaisir. Si celle-ci n’est certainement pas nouvelle – les récriminations de Perrot d’Ablancourt contre la lecture féminine l’attestent bien – elle se trouve ici légitimée et même programmée. La traduction, sans commentaire cette fois, donnée par Martignac en 1697 s’illustre de quinze planches disposées au début de chacun des quinze livres des Métamorphoses1. Il s’agit là d’un remploi de gravures dessinées par F. Klein et gravées par Salomon Savrii publiées en 1637 dans l’édition latine annotée par Thomas Farnaby2. Ces gravures avaient d’abord été employées pour la traduction anglaise de George Sandys parue à Oxford chez John Lichfield en 1632. Ces estampes sont elles-mêmes redevables des gravures de Giacomo Franco publiées en 1584 pour une réédition des Metamorfosi di Ovidio, ridotte da Giovanni Andrea dell’Anguillara in ottava rima3. Les gravures ordonnent dans la perspective les fables qui composent chacun des quinze livres, en retenant pour chacune un trait distinctif.

      L’édition latine de Thomas Farnaby propose le texte dans une typographie serrée, formant des blocs denses disposés en colonnes, afin visiblement d’économiser l’espace et de constituer sous les yeux de l’élève des unités signifiantes et mémorisables. Scandé par les quinze gravures qui distinguent clairement les grandes unités du poème, le livre isole nettement chaque fable, posant les segments narratifs les uns à côté des autres plus encore que les uns derrière les autres. Les images équilibrent cette fragmentation méthodique du poème pour en restituer le souffle et l’ampleur, et rendre ainsi justice à la poétique ovidienne. En cela, elles modifient le sens que prenait la répartition des fables dans l’espace dans la version renaissante : la galerie présentée par Giacomo Franco représentait les récits comme des situations types chargées d’une signification morale adéquatement figurées par les poses éloquentes des personnages – les amants lascifs sont toujours figurés de la même façon : nus, assis, les jambes entrelacées. La disposition dans l’espace constituait un parcours de mémoire dans lequel chaque fable marquait une étape instructive. La gravure de Klein et Savrij, elle, obéit à une approche moins rhétorique que pathétique des fables : les artistes, plus soucieux de formes et de détails qui évoquent l’Antiquité, dessinent un monde imaginaire habité par l’émotion. Dans la gravure du livre X, un temple en ruine décoré de guirlandes de fleurs signale la distance temporelle mais