BmL Ms 6432 f° 532
À l’affût d’informations manuscrites ou imprimées, Brossette copiait avec soin les documents relatifs à ses enquêtes sur Boileau. Ainsi sa transcription de la lettre de Boileau à Antoine Arnauld forme également l’unique source manuscrite2. Mais Brossette ne se contentait pas de copier les manuscrits et d’amasser les documents, il menait aussi des recherches philologiques. De l’écriture du jeune avocat à la graphie hésitante du malade au soir de sa vie, l’avocat lyonnais n’avait pas cessé de copier et d’actualiser ses notes. Ses papiers, chargés de ratures et corrections, en disent long sur la qualité scientifique de ses enquêtes.
En outre, l’abbé Desmolets avait publié en 1726 une Épître inédite de Boileau à M. le Marquis de Termes3. Grand lecteur des périodiques, Brossette avait examiné ce poème attribué à Boileau : « Ceux qui la [épître] liront avec attention, et même avec beaucoup d’attention, conviendront qu’elle n’en est pas. […] Cette épître n’est point de M. Despréaux : on n’y reconnaît ni son génie, ni son style. C’est une imitation manquée et très manquée4. » L’avis de Brossette fut ensuite corroboré par le Journal des savants : « On croit avoir de bonnes raisons pour douter que cette épître pleine de lieux communs et d’endroits plats et bas soit de M. Despréaux, qui a conservé jusqu’à la fin de ses jours un esprit délicat et élevé5. » Plus de deux siècles plus tard, Émile Magne, savant bibliographe de Boileau, n’avait pas encore un avis arrêté sur ce sujet : « Cette épître, de tendance épicurienne, préconise de jouir de la vie et stigmatise l’avarice. L’auteur y parle de sa maison d’Auteuil et de la pension que lui sert Louis XIV. Excellente pièce qui paraît bien sortie de la plume de Boileau6. » L’enquête de Brossette sur l’épigramme, Contre Boyer et La Chapelle, offre une nouvelle illustration concernant sa méthode de travail :
À la première page d’une ancienne édition de Boileau, j’ai trouvé une épigramme [manuscrite] qu’il me semble qu’on attribue communément à M. Racine, et qui pourtant, dans ce volume, est donnée à M. Despréaux, et accompagnée de la réponse de l’auteur intéressé [La Chapelle]. Voici l’une et l’autre.7
Il s’agit d’une information factuelle notée par Brossette dans ses Mémoires. L’avocat lyonnais observe ensuite : « Cette réponse est très sûrement de M. La Chapelle, l’auteur des Amours de Catulle8. » Les remarques de Brossette, recueillies à la suite de son enquête, sont mentionnées par le biais d’astérisques. Autant d’ajouts, autant de surcharges qui expriment la permanence des recherches de l’avocat lyonnais : « L’Académie avait envie de faire le parallèle de Corneille et de Racine et de juger ce grand procès. Boileau voyant parmi eux des juges peu capables de décider fit cette épigramme9. » Brossette avait envisagé leur publication dans sa seconde édition des œuvres de Boileau10 :
J’ai inséré dans mon Boileau, l’épigramme que ce poète avait faite contre l’Académie :
Je consens que chez vous, messieurs, on examine, etc. ;
et je l’ai mise dans les mêmes termes que vous [L. Racine] me l’avez envoyée, car elle est beaucoup meilleure de cette façon que celle qu’on m’avait donnée.
Françoise Escal, éditrice des Œuvres complètes de Boileau dans « La Bibliothèque de la Pléiade », n’avait publié qu’une épigramme11 et avait renvoyé les autres versions en note. Quant à sa présentation historique de ces vers, elle s’avère à la fois incomplète et fautive. En effet, la première édition de cette épigramme ne fut pas publiée en 1735 par l’abbé Souchay dans son édition des Œuvres de Boileau, mais en 1726 dans les Saillies d’esprit12 de François Gayot de Pitaval.
Édition critique
L’éditeur lyonnais fréquentait la Bibliothèque du roi depuis de longues années. Ses enquêtes portaient aussi sur les traductions des œuvres de Boileau. De passage à Lyon, l’abbé Jean-Antoine Mezzabarba lui avait communiqué des traductions italiennes : « C’est la copie originale du traducteur qui me l’a donnée à Lyon1 », note Brossette sur le manuscrit de l’Ode sur la prise de Namur ; une traduction recherchée par Émile Magne : « Il nous a été impossible de rencontrer des renseignements sur cette traduction2. »
Les papiers Brossette, fabrique de ses éditions de Boileau, contiennent la transcription de ses entretiens avec le poète satirique, son neveu l’abbé Dongois et les érudits qui avaient contribué à ses éditions critiques. Ainsi Bernard de La Monnoye et Jean Boivin avaient participé aux travaux de l’édition de 1716 : « mercredi 21 [juin 1713]. L’après-midi j’ai été avec M. de La Monnoye qui a commencé à me donner ses corrections par écrits, sur mon commentaire des œuvres de Boileau3. » L’aide de Bernard de La Monnoye fut constante et précieuse autant pour la première édition des œuvres de Boileau, publiée en 1716, que pour la seconde édition en préparation dès 1718. Si le manuscrit de cette édition est perdu, il reste cependant des éléments épars susceptibles de nous renseigner sur la méthode suivie par Brossette :
Dans la nouvelle édition que je donnerai du Boileau, je me dispose à faire des augmentations et des retranchements considérables, et vous comprenez bien, que ces retranchements doivent tomber sur les pièces étrangères qui ont été insérées malgré moi dans les éditions précédentes. Je serai docile au conseil que vous me donnez sur ce qui concerne les Jésuites.4
Pour sa part, Jean Boivin avait également collaboré aux travaux de Brossette. « M. Despréaux a employé onze mois à composer cette Satire [XII], et trois ans à la corriger. C’est ce que M. Boivin m’a dit. Il voyait alors M. Despréaux presque tous les jours5. » Boivin s’était entretenu aussi avec Brossette à la Bibliothèque du roi au sujet de cette œuvre posthume de Boileau : « De jeudi 21 mai avant-midi. J’ai été à la Bibliothèque du roi voir M. Boivin bibliothécaire, à qui M. Despréaux avait confié sa Satire XIIsur l’équivoque, sur laquelle M. Boivin m’a donné les éclaircissements suivants6. » En réalité, la lecture critique de cette satire avait nécessité plusieurs séances de travail, puisque Boivin, garde de la Bibliothèque du roi, avait expliqué par le menu détail le contexte conflictuel de cette satire, Boileau aux prises avec les jésuites. Les matériaux de l’apparat critique de cette satire sont fournis par Boivin, professeur au Collège royal. Boivin, témoin de la fabrique de Boileau, avait retracé les faits avec des éclaircissements philologiques. Et Brossette ajoute7 :
À l’égard de la satire de l’Équivoque, je conviens que j’ai un peu excédé les droits du commentateur, non pas en expliquant les sentiments de M. Despréaux, car il est permis, ce me semble, à tout commentateur d’en user ainsi, mais en insinuant qu’il n’a pas eu dessein d’attaquer directement les jésuites, en quoi la répréhension est juste, quoiqu’il paraisse bien que je n’ai pas exigé que mes lecteurs prissent ma proposition au pied de la lettre.
Enfin, Brossette avait rencontré les adversaires de Boileau : « Le P. de Tournemine ne m’a pas parlé si avantageusement de M. Despréaux. Il m’a raconté l’origine de la brouillerie de M. Despréaux avec les jésuites, au sujet de l’extrait que les journalistes de Trévoux donnèrent de ses ouvrages8. » Ses investigations lui avaient permis d’identifier l’identité des journalistes des Mémoires de Trévoux, auteurs des articles virulents contre Boileau.
BmL Ms 6432 f° 26
La perte du manuscrit de la seconde édition des œuvres de Boileau n’est pas irrémédiable, puisque les papiers Brossette en conservent quelques bribes éparses. Ces notes manuscrites constituent la principale source de l’avocat lyonnais, il y puisait les informations publiées dans son apparat