" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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apparaît à première vue comme un assez bon terrain d’investigation pour la critique génétique. Il représente en effet l’une des formes des « manuscrits de travail » qui nous restent du XVIIe siècle11, manuscrits non destinés à circuler, non destinés à être offerts, non destinés à la publication imprimée – mais manuscrits autographes tout de même, qui, comme tels, peuvent sembler se prêter à la quête de l’efflorescence du génie auctorial sur la page griffonnée, alors même que les pratiques d’écriture et de publication des auteurs de la première modernité (emploi de secrétaire(s), collaboration éventuelle avec l’imprimeur-libraire, destruction fréquente du manuscrit autographe12) ne paraissent guère se prêter à une analyse de type génétique cherchant dans les brouillons les prémisses du génie.

      Pourtant, l’édition qu’en donne Choussy nous invite à questionner certains réflexes génétiques hérités, plus ou moins consciemment, des présupposés téléologiques des éditeurs du XIXe siècle, les premiers à valoriser, contre leurs prédécesseurs du siècle précédent, les ratures et autres marques d’élaboration, en tant que traces d’un travail conscient d’élaboration esthétique (dans le cadre d’une conception nouvelle du « style » d’auteur). Ceux-ci fondaient leur démarche sur une foi dans un progrès esthétique (ou littéraire) individuel, la succession des versions étant en elle-même porteuse de sens, voire porteuse d’une leçon. Ils confondaient dans un même mouvement quête esthétique et quête philologique, avec le présupposé plus ou moins assumé que l’auteur va toujours du moins beau vers le plus beau, du moins réussi vers le plus réussi.

      Car il s’agissait bien de retrouver l’auteur, figure en laquelle s’unissent les deux présupposés de cette approche éditoriale, le premier portant sur le progrès stylistique, et le second sur la non-publication des variantes : ce qui sous-tend en effet une telle approche, c’est l’idée que le développement du génie oratoire n’est pas seulement inéluctable, mais aussi conscient – ou plus exactement : qu’il est inéluctable parce qu’il est conscient.

      Or ce que manifeste le « cas Bossuet » – sans doute représentatif en cela d’autres écrivains de son temps –, c’est l’espèce de coup de force opéré par les éditeurs du XIXe siècle. Celui-ci se révèle d’autant plus flagrant qu’il s’exerce sur un auteur écrivant à une époque où les pratiques d’écriture et le rapport au manuscrit différaient considérablement de ceux qui s’affirmeront deux siècles plus tard. Car non seulement le manuscrit n’était nullement destiné à la publication, mais les réécritures qu’il comporte ne sauraient être envisagées comme un ensemble homogène. Au-delà même du questionnement auquel on peut soumettre la figure de l’auteur souverain, les variantes, chez Bossuet, se sédimentent en plusieurs strates, donc seule la ou les premières peuvent relever à proprement parler de la « correction » stylistique, les suivantes renvoyant bien plutôt à un remploi du manuscrit à d’autres fins, dans un autre cadre rhétorique (discours pour une autre occasion liturgique, devant un autre public, etc.). Dans cette perspective rhétorique, il n’y a plus de trajet linéaire, de progrès, mais des situations d’énonciation diverses, et des réponses diverses à ces situations. Les variantes reprennent leur sens premier, axiologiquement neutre : ce sont, non des états antérieurs, mais des états « autres » d’un même discours, variable, modulable13, dans une perspective non vectorielle. Le potentiel herméneutique des variantes ne s’épuise donc pas dans une problématique de type stylistique, même s’il peut indiscutablement la nourrir : les variantes traduisent la constante adaptation d’un discours à un projet toujours susceptible d’être reconfiguré, pour des raisons externes comme pour des raisons internes. Le fac-similé de Choisy ne permet donc pas seulement de faire justice du mythe du grand orateur improvisateur – que la première publication des manuscrits des sermons de Bossuet avait, de toute façon, déjà fortement ébranlé. Il nous invite à ajuster notre regard sur les pratiques d’écriture et de publication du XVIIe siècle, afin de mettre en œuvre une critique génétique moins tributaire des cadres d’analyse et d’appréciation élaborés au XIXe siècle. Mettant à distance la grande figure de l’auteur et, plus encore, la fascination pour le développement – lui-même conçu comme vectoriel – de son génie stylistique, une telle approche permet de dissocier la notion de « dossier de genèse » (ou celle, préférée ici, de dossier de travail) d’un terminus ad quem unique et identifié, voire identifiable – ouvrant ainsi la représentation vectorisée du processus de création (comme passage de l’entropie à l’ordre) à d’autres possibles14.

      portrait gravé : BmL Coste1340

      Quand les papiers Brossette révèlent un nouveau Boileau

      Samy BEN MESSAOUD

      IHRIM-Lyon 2

      Sainte-Beuve avait une mauvaise opinion de Claude Brossette, avocat lyonnais, qualifié d’auteur subalterne et caudataire1. Toutefois, sa lecture attentive des Mémoires concernant la vie et les ouvrages de M. Boileau-Despréaux, un manuscrit encore inédit de Brossette conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon, s’avère utile pour son histoire de Port-Royal2, où Sainte-Beuve reprend plusieurs extraits des notes de Brossette sans mentionner sa source. Pour sa part, l’éditeur anonyme des Œuvres complètes de Boileau, publiées en 1829, observe dans son Avertissement aux lecteurs3 :

      Il y a déjà longtemps qu’il est de mode de prendre l’ouvrage de Brossette, tout en traitant l’auteur avec un grand mépris […]. D’Alembert a donné (dans le tome III de ses Éloges) un demi-volume de notes en appendice à son Éloge de Boileau. Il y parle avec dédain de ce pauvre Brossette, qui lui a pourtant fourni, à très peu près, toutes ces anecdotes qu’il se plaît à conter.

      L’édition de Brossette des œuvres de Boileau, publiée en 1716, fut un best-seller : « Il est effectivement vendu plus de 20 000 de ces commentaires [de Brossette]4. » Revue et augmentée, la seconde édition de Brossette n’avait pas vu le jour. Pourtant, le manuscrit de cette édition fut remis au libraire Jacques Barrillot5.

      Brossette avait commencé ses travaux d’éditeur en compagnie de Boileau dans sa maison d’Auteuil, une enquête poursuivie ensuite auprès des proches et amis du poète satirique. Toutes ces informations sont consignées dans les Mémoires concernant la vie et les ouvrages de M. Boileau-Despréaux. Brossette y notait avec soin les explications reçues de la part de ses interlocuteurs, portant autant sur le poète satirique que sur ses contemporains, tels Racine, Molière, La Fontaine, Pierre Bayle, Fontenelle etc. L’ensemble forme un apparat critique bien informé dont les matériaux sont puisés auprès de Boileau ou de lecteurs avertis de ses œuvres, comme Jean Boivin, Bernard de La Monnoye, l’abbé d’Olivet, Jacques Boileau.

      La première partie de cette étude consiste dans un bref rappel des circonstances de la perte du manuscrit de la seconde édition des œuvres de Boileau. Elle est suivie d’éléments biographiques sur Brossette. Nous étudierons ensuite les principales caractéristiques de l’épistémologie adoptée par l’avocat lyonnais dans ses recherches d’éditeur : ainsi la conversation, les copies manuscrites et la collecte de documents auprès de philologues les plus réputés de la République des Lettres sont les principaux aspects des investigations menées par Brossette pendant plusieurs décennies.

      Perte d’une édition de Boileau

      Les travaux de la seconde édition des œuvres de Boileau, un parcours semé d’embûches de toutes sortes, avaient nécessité de longues années de labeur. Ce projet auquel Brossette avait consacré beaucoup d’énergie est sérieusement compromis par une subite dégradation de son état de santé. Victime d’un accident vasculaire cérébral survenu en 1738, Brossette souffrait de multiples infirmités physiques. Mais son invalidité n’avait pas entamé pour autant sa ferme volonté d’achever les derniers travaux de la seconde édition des œuvres de Boileau.