" A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle. Группа авторов. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Группа авторов
Издательство: Bookwire
Серия: Biblio 17
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 9783823302285
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ne sont pas les bienvenues. La circulation intense des lettres désigne un autre régime de publication, dont les produits sont privés certes du privilège officiel mais appréciés à leur juste valeur par une secte d’amateurs éclairés. Si Bussy est courtisé par les épistolières, c’est moins du fait de son aura galante que de sa capacité à « distribuer » leur production sous un label indépendant.

      Un atelier d’écriture

      Nathalie Grande note chez Mme de Scudéry, la correspondante la plus assidue de Bussy après Sévigné, la satisfaction visible de s’associer par lettres à « un homme recherché pour son esprit, son goût et son style1 ». Toutefois, l’émulation entre des épistolières qui doivent compter avec la concurrence nous paraît tout aussi décisive pour la dynamique de l’échange. L’étude de Laure Depretto sur l’écriture de l’information dans la correspondance de Sévigné a mis en lumière les mécanismes de la lettre de nouvelle et la concurrence sourde entre les épistoliers qu’elle implique dans le régime de sociabilité qui caractérise cette période2. De telles rivalités sont aisément repérables parmi les amies de Bussy qui se font fort de le tenir informé des dernières nouvelles de la cour et de la ville. Ainsi, Mme de Montmorency3 cultive un art consommé de la brève : « Le roi de Portugal a cédé sa femme et son royaume à son frère, ne sachant se servir ni de l’un ni de l’autre4. » Mais sur ce terrain, elle doit faire face à la concurrence de la comtesse de Fiesque : « il y a la plus grande gueuserie parmi les courtisans que vous ayez jamais vue. On parle fort de la paix, et on commence à la souhaiter, parce qu’on ne voit pas que la guerre serve de beaucoup5 » ; de Mlle Dupré : « Saint-Pavin est tombé en apoplexie ; il n’est pas encore bien guéri. M. de Racan a fait pis : il est mort6 » ; et de Mlle d’Armentières : « Le Tellier est inconsolable de la mort de sa fille. Il y a deux hommes ici qui sont morts de la peste. Si cela continue, je crois que j’irois en original dans votre galerie7 ». Les compliments de Bussy viennent alors récompenser les efforts des co-épistolières et souligner les réussites :

      Au reste, Madame, vous me surprenez par les nouvelles que vous me mandez de la guerre : je suis assuré qu’il y a plus d’un officier général en France qui n’en parle ni qui n’en écrit pas si bien que vous […]. Je reçois encore des nouvelles d’ailleurs mais elles ne sont ni si bonnes ni si bien écrites que les vôtres.8

      Les nouvellistes sont non seulement jugées sur la qualité des informations fournies mais aussi sur leur savoir-faire et leurs dons d’écrivaines. En outre, la compétition s’intensifie quand l’actualité fournit des occasions en or. On voit ainsi revenir à la charge des épistolières dont les soins s’étaient relâchés, au moment où l’affaire Lauzun et le feuilleton La Vallière font la une des gazettes à la main. En 1671, Montmorency quitte le style percutant de la brève dans lequel elle s’est illustrée pour expédier une série de relations brillantes. Or ces morceaux de bravoure interviennent au moment où la brillante Scudéry menace de supplanter ses concurrentes dans la course à l’information : « je crois que vous avez quelque correspondant mieux informé que je ne le suis, et que vous voulez vous épargner la peine de m’écrire si souvent9 ». Soupçons que Bussy s’efforce d’apaiser en redoublant d’éloges : « Il est vrai que j’ai d’autres correspondants que vous, mais personne ne me mande des nouvelles si sûres que les vôtres, et votre commerce m’est mille fois plus agréable que celui de qui que ce soit10. »

      Toutefois, la logique de la compétition n’est jamais poussée jusqu’à l’élimination de la concurrence car l’expérience de l’écriture collective exige de la part des participantes une mise en commun des compétences. Cette visée collaborative est particulièrement visible dans la mise en œuvre du dit satirique sur lequel Bussy a bâti sa réputation d’écrivain et qui constitue également un des pivots de sa correspondance. Tout comme pour la chaîne informationnelle, l’entreprise satirique bénéficie du système de relais mis en place dans le réseau épistolaire. Dans une lettre de Mme de Montmorency, il est question d’une corniche qui aurait blessé Mme de Lafayette à la tête. La réplique plaisante de Bussy – « Si l’on peut vous dire une turlupinade, ce n’est pas la plus illustre tête que les corniches, et même les cornes, n’aient pas respecté11 » – recycle un bon mot de Sévigné dont il faisait les frais : « Mme d’Époisses m’a dit qu’il vous étoit tombé une corniche sur la tête qui vous avait extrêmement blessé. Si vous vous portiez bien et que l’on osât dire de méchantes plaisanteries, je vous dirais que ce ne sont pas des diminutifs qui font mal à la tête de la plupart des maris […]12. » La galanterie, dans sa version satirique aussi bien qu’honnête, est l’œuvre du groupe ; quand elle s’écrit, c’est collectivement ; d’où un effet de surenchère. La verve satirique des amies de Bussy étonne parfois par ses audaces, comme lorsque Montmorency commente la conduite du mari de Mme de M***, qui a donné au roi et au Parlement la lettre de sa femme à M. de R*** : « Ainsi, n’étant point cocu de chronique, au moins le sera-t-il de registre13. » Prenant le contre-pied des manuels épistolaires qui prônent la décence et la retenue, Bussy encourage ses troupes à passer outre :

      A quoi me sert de savoir que M. de Gramont a dit quelque plaisanterie à madame de la Baume, si je ne sais ce que c’est ? Mais vous pourriez bien me le mander si vous vouliez prendre la peine d’envelopper la chose. Pour moi, je vous déclare qu’il n’y a ordure au monde que je ne vous dise, quand il s’en présentera occasion sans vous faire rougir. Paraphrasez donc un peu, madame, et me mandez le beau dit de M. de Gramont.14

      Véritable atelier d’écriture satirique, la correspondance de Bussy constitue une occasion rare pour des femmes de s’exercer dans un genre dont elles sont plus souvent les cibles que les utilisatrices.

      Enfin, les amies de Bussy composent une satire au sens étymologique du terme en agrémentant leurs lettres de créations de leur plume qui empruntent à tous les genres. On pourrait composer un recueil de pièces diverses, dans le goût du temps, avec les bouts-rimés que Dupré produit à la chaîne, le chef-d’œuvre héroï-comique que Montmorency compose sur l’altercation entre Mme de la Baume et Mlle du Mény sur le porche de l’église des Grands-Jacobins15, l’élégant portrait de Rapin par Scudéry ainsi que ses réflexions sur le thème de l’amitié. En faisant de sa correspondance un lieu privilégié de circulation des écrits féminins, Bussy fournit aux épistolières un antidote précieux à l’obstacle des convenances. Ainsi, lorsqu’il donne son accord à Dupré, qui souhaite montrer à Conrart les bouts-rimés qu’ils ont composés ensemble, c’est en expliquant que la « réputation d’écrire », si elle ne convient pas à l’honnête homme, a fortiori à l’honnête femme, est parfaitement acceptable entre amis :

      Je consens que vous montriez mes amusements à M. Conrart. Si j’étois avec lui, je lui montrerois des choses plus sérieuses, quelque délicatesse que j’aie sur la réputation d’écrire que la plupart du monde donne fortement à un homme de qualité qui écrit pour s’occuper, comme à un auteur qui écrit pour être imprimé ; mais on ne doit rien avoir de caché pour un ami comme M. Conrart, qui sait faire des distractions.16

      L’Histoire de Bussy et Bélise

      Cependant, les correspondantes de Bussy n’ignorent pas que le pacte de circulation restreinte auquel il se réfère a été sérieusement ébranlé par le régime de diffusion de son œuvre satirique1. Il ne leur a pas échappé non plus qu’elles doivent en partie leur « élection » aux liens qui les unit à l’ancienne amante de Bussy, qu’il accuse de l’avoir trahi pendant sa prison. C’est donc en toute connaissance de cause qu’elles acceptent la mission risquée qui consiste à composer la suite de l’« Histoire de Bussy et de Bélise », première « saison » des amours de Bussy et de Mme de Montglas, sur laquelle se clôt l’Histoire amoureuse des Gaules. Tout commence par un concert de médisances, qui peut laisser penser qu’on va avoir affaire à un lynchage épistolaire semblable à celui dont la comtesse de Marans, alias Mélusine, fait les frais dans le réseau sévignéen en 1671. Mme de Montmorency affirme que son amitié ne mérite pas d’être comparée « à celle de