Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799). Gaffarel Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gaffarel Paul
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066080020
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aux circonstances ni au génie de Bonaparte; le second, de rentrer en France à la tête de l'armée et de s'y poser en chef de parti, mais c'était un coup d'État, et on n'osait le conseiller. Voici quel est le troisième: «Formez de l'Italie un grand empire, que ce nouvel État prenne un fort ascendant dans la balance de l'Europe, qu'il tienne le milieu entre l'Empire et la France, et établisse entre ces puissances un équilibre parfait, en se déclarant contre celle qui voudrait opprimer l'autre. Soyez le chef de cet empire, gardez à votre solde une grande partie de l'armée française pour contenir les différents peuples et assurer l'exécution de ce plan. La France vous devra l'éloignement de cette armée qu'elle ne pourrait entretenir qu'avec peine, et dont l'esprit troublerait sa tranquillité. Elle vous devra la paix et vous aurez mérité son estime et son admiration. Soyez son plus fidèle allié.... Vous pouvez aussi devenir redoutable par vos forces maritimes et disputer par la suite l'empire de la mer aux Anglais, ou au moins les chasser entièrement de la Méditerranée. Cette entreprise digne de vous, général, et dont je ne détaille pas tous les avantages, qui vous frapperont au premier aperçu, est la seule qui puisse mettre le sceau à votre gloire, ramener une paix durable en France, procurer de la stabilité au gouvernement, et, en vous élevant au faîte des grandeurs, vous faire encore bien mériter de la patrie.» Certes la perspective qu'ouvrait à l'ambition de Bonaparte l'auteur de cette lettre était vaste, mais il est probable que les projets du général ne s'arrêtaient plus à la péninsule. C'est à la France et non plus à l'Italie qu'il pensait. Sans doute il aurait consenti à se faire de l'Italie comme un marche-pied, mais pour monter plus haut. «J'ai entendu raconter au jeune et candide Villetard, écrit Botta[46], que se promenant un jour à Montebello avec Bonaparte et Dupuis, qui mourut général en Égypte dans la révolte du Caire, Bonaparte, s'arrêtant tout à coup, leur dit: «Que penseriez-vous si je devenais roi de France?» et que Dupuis, grand républicain de profession, lui répondit: «Je serais le premier à vous plonger un poignard dans le cœur.» Sur quoi Bonaparte se mit à rire.» Le général riait, mais il ne parlait pas au hasard et cette soudaine effusion cachait mal de secrètes pensées. Le premier rang, même en Italie, ne lui convenait plus. Il ne le jugeait pas digne de sa fortune et de son avenir, et, sans nul doute, dans ce jardin de Montebello, songeait déjà au coup d'État qui devait lui donner la suprême autorité en France.

      Aussi bien, si Bonaparte ne se considérait pas comme l'homme de l'Italie[47], les Italiens, de leur côté, même les modérés, ne tenaient à lui que médiocrement. Quelques-uns d'entre eux, honteux de leur asservissement, songeaient déjà à chasser les Français d'Italie. C'étaient les chefs de la garde nationale lombarde, Lahoz, Pino, Teulié, Birago. Ils avaient fondé une société secrète, dite des Rayons, dont le but était la création d'une Italie non plus avec le secours de l'étranger, mais exclusivement par les forces italiennes. Peu à peu cette société s'étendra et ses opinions finiront par s'imposer. C'est déjà le parti national, ce qu'on pourrait appeler la Jeune Italie.

      Quant aux exaltés, ils se composaient de tous ceux qui, dans la sincérité de leur cœur, ou par misérable calcul d'intérêt personnel, s'imaginaient qu'il était de bon goût de copier les exagérations jacobines. Quelques bourgeois, ou plutôt quelques boutiquiers, des ouvriers, de petits fonctionnaires, et la tourbe des déclassés appartenaient à ce parti. Les journalistes qui se grisaient eux-mêmes au cliquetis de leurs périodes en constituaient la force apparente. Ils prêchaient avec ardeur la démocratie ou plutôt la démagogie, grand mot ronflant, système dont ils ne comprenaient seulement pas les obligations. Pour eux toute contrainte était une gène, toute obéissance un abus. Aussi plaignaient-ils comme un martyr tout citoyen frappé par la loi, comme une victime quiconque était obligé soit de payer un impôt, soit de ne pas satisfaire ses désirs. Un journal de Milan, le Thermomètre Politique, était devenu le principal de leurs organes. C'est là qu'agitaient les esprits par leurs articles furibonds, Salvadori, Lattanzi, Salfi, Poggi et Abamonti. «Habiles dans les luttes de la révolution[48], mais non dans les combats de la liberté, ils déployaient du talent, là où il fallait du caractère. Avec la même audace qu'ils avaient montrée pour renverser les premières barrières, ils foulaient aux pieds les principes et les mœurs, et abusaient de la liberté jusqu'à l'outrage.» Toute une littérature républicaine sortait de ces officines milanaises: Notions démocratiques[49] à l'usage des Écoles normales; Pensées d'un républicain sur le bonheur public et privé; Doctrine des Anciens sur la liberté; De la souveraineté du peuple; Un républicain jadis noble aux anciens nobles. Ces pamphlets, aussi médiocres pour le fond que détestables pour la forme, étaient imprimés à un nombre considérable d'exemplaires, et lus avec avidité. De Milan ils se répandaient dans l'Italie entière. Il est vrai que Milan était devenu comme l'asile des réfugiés italiens, romains, napolitains, modènais ou vénitiens, qui tous, comme de juste, étaient venus y grossir les rangs des exaltés. On citait parmi eux deux prêtres qui avaient abjuré, le métaphysicien Poli et Melchior Gioja, le savant statisticien; Tambroni un érudit, Beccatini un historien, Custodi un économiste. Le médecin Rasori, l'architecte Romain Barbieri, et le savant commentateur des douze Tables, Valoriani, se signalaient parmi les plus fougueux adversaires de l'ancien régime. Un jeune improvisateur Romain, Gianni, mêlait à de furibondes attaques contre les tyrans de plates adulations en l'honneur du héros libérateur de l'Italie. Le Vénitien Foscolo travaillait à sa tragédie de Tieste, et prenait du service dans l'armée lombarde. C'était surtout dans les clubs, plus encore que dans les journaux, que ces Lombards ou Italiens, donnaient carrière à leur exaltation. Tantôt ils se contentaient d'émettre des propositions simplement absurdes, partage des propriétés, taxe progressive sur les comestibles, ateliers nationaux, etc., tantôt ils discréditaient par d'insolentes bravades la liberté et la République. Aujourd'hui ils demandaient la permanence de la guillotine, demain le massacre de tous les pères et de toutes les mères appartenant à la noblesse, afin que leurs enfants fussent élevés dans les nouveaux principes[50]. Ils proposaient encore de brûler le Vatican, ou bien de jeter les Bourbons de Naples dans le Vésuve, ou bien encore de disperser les cendres de la famille royale piémontaise, déposées à la Superga, et de les remplacer par celles des patriotes immolés. Dans ces clubs, et spécialement dans celui qui s'était pompeusement intitulé Société de l'instruction publique, la fureur révolutionnaire atteignait son paroxysme. Cette société n'avait-elle pas inscrit dans son programme: destruction de toutes les religions, renversement de tous les trônes[51].

      Bonaparte n'éprouvait pour ces démagogues qu'une sympathie médiocre. «Soyez sûr, écrivait-il à Greppi[52], qu'on réprimera cette poignée de brigands, presque tous étrangers à Milan, qui croient que la liberté est le droit d'assassiner, qui ne peuvent pas imiter le peuple français dans les moments de courage et les élans de vertus qui ont étonné l'Europe; mais qui chercheraient à renouveler les scènes horribles produites par le crime, et qui sont l'objet éternel de la haine et du mépris du peuple français.»

      La masse du peuple au contraire se laissait prendre à ces folles déclamations. Les ardentes philippiques des journalistes et des clubistes trouvaient un écho retentissant dans toutes les grandes villes. Le théâtre[53] lui-même devenait une école de corruption, ou tout au moins une arène politique dont se servaient les exaltés pour répandre leurs bizarres conceptions[54]. C'est ainsi qu'à Modène, dès le mois de décembre 1795, en présence du grand-duc Hercule, et à une représentation de la Cléopâtre de Nasolini, de mauvais plaisants firent entendre le chant du coq, allusion transparente à la prochaine venue des Français. Quelques mois plus tard, et dans cette même ville, on représentait le Fénelon de Chénier traduit par Salfi, l'Alexandre VI du modènais Gidotti, et deux pièces déplorablement ennuyeuses d'un certain Giambattista Nasi, dont il suffit de citer les titres pour comprendre l'inspiration: L'Aristocratie vaincue par la persuasion, et le Républicain se connaît à ses actes[55]. À Bergame, Salfi fait représenter Virginie de Brescia, où l'on voit un patriote tuer sa fille séduite par un tyran.

      C'est surtout à Bologne et à Milan que les auteurs dramatiques se donnent toute licence et dépassent toute mesure. Un jeune Bolonais, Luigi Zamboni, avait, en 1794, formé le projet de soustraire sa ville natale à l'oppression des légats pontificaux. Un étudiant, de Rolandis di Castel-Alfeo, qui s'échappait la nuit de son couvent pour assister aux conciliabules,