Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799). Gaffarel Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gaffarel Paul
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066080020
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en Italie l'essai de ses théories de gouvernement, et s'occupa sérieusement d'organiser la future République. Sans avoir un penchant décidé pour telle ou telle forme de gouvernement, Bonaparte aurait voulu une administration concentrée et énergique. Bien qu'il ne crût pas, comme les métaphysiciens constitutionnels de l'époque, que l'art de gouverner les peuples fût une science abstraite, qui ne dépendait ni du temps ni des lieux, il pria son ami Talleyrand de lui envoyer, pour l'aider de leurs conseils, les hommes qui passaient pour avoir médité sur les divers systèmes politiques. Talleyrand lui proposa Siéyès. «Par la réputation dont il jouit, lui écrivait-il, il est propre à remplir avec succès une place de membre du Directoire exécutif. Il est d'ailleurs tellement compromis avec les Autrichiens qu'il est une des personnes de l'opinion de laquelle nous devons être les plus sûrs.» Bonaparte parait n'avoir jamais éprouvé pour Siéyès qu'une sympathie médiocre. Il goûtait peu les théories et les qualifiait volontiers d'utopie. Pourtant la réputation de Siéyès était si bien établie qu'il crut devoir remercier Talleyrand de son choix, et lui annonça que Siéyès serait le bienvenu en Italie[74]. «Je crois effectivement comme vous que sa présence serait aussi nécessaire à Milan qu'elle aurait pu l'être en Hollande, et qu'elle l'est à Paris. Malgré notre orgueil, nos mille et une brochures, nous sommes très ignorants dans la science politique morale ... Croyez que vous me ferez un sensible plaisir si vous pouvez contribuer à faire venir en Italie un homme dont j'estime les talents et pour qui j'ai une affection toute particulière.» Il est vrai que, dans la même lettre, tout en débitant ces compliments, Bonaparte esquissait un plan de constitution, où il donnait tous les pouvoirs et tous les droits au chef de l'État au détriment des assemblées législatives, et il se plaignait «des[75] mille lois de circonstances qui s'annulent toutes seules par leur absurdité et qui nous constituent une nation sans lois avec trois cents in-folio de lois». Siéyès qui tenait à réserver sa réputation et songeait à appliquer ses théories constitutionnelles non pas en Italie mais en France, comprit qu'il jouerait un jeu dangereux en essayant d'imposer ses volontés au vainqueur de l'Italie. Il remercia donc Talleyrand et ne quitta point Paris.

      Talleyrand avait aussi songé à Benjamin Constant[76]: «C'est un homme à peu près de votre âge, avait-il écrit à Bonaparte, passionné pour la liberté, d'un esprit et d'un talent en première ligne. Il a marqué par un petit nombre d'écrits d'un style énergique et brillant, pleins d'observations fines et profondes. Son caractère est ferme et modéré. C'est un républicain inébranlable et libéral.» Bonaparte n'avait attendu ni Siéyès qu'il devait retrouver au 10 brumaire, ni Benjamin Constant, qu'il n'appellera à lui qu'en 1815, pour régler le sort des Milanais. Il chargea un comité italien[77] de préparer un projet de constitution. Le plus célèbre de ces législateurs était un Tyrolien, longtemps professeur à Pavie, le père Grégorio Fontana. Ce savant aurait voulu se dérober, mais Bonaparte tenait à donner à la future constitution l'autorité de son nom. Fontana se résigna et se mit au travail. Ce fut peine inutile. Les injonctions du Directoire étaient formelles, et Bonaparte ne permettait la discussion que pour la forme. Il fut donc résolu que la nouvelle République jouirait d'une constitution calquée sur la constitution française, c'est-à-dire que le pouvoir exécutif serait confié à cinq directeurs assistés de ministres et le pouvoir législatif à un corps législatif de 40 à 60 Anciens et à un grand conseil de 120 Jeunes. En outre la République serait divisée en départements et administrée comme l'était la France. Par prudence, et pour la première fois, Bonaparte se réserva de désigner les premiers directeurs, législateurs ou fonctionnaires. Ses choix furent heureux. Les cinq directeurs furent Serbelloni, un des plus grands seigneurs de l'Italie, le savant médecin Moscati, et trois citoyens réputés pour leur modération, Alessandri Paradisi et le Ferrarais Costabile Containi. Sommariva fut désigné comme secrétaire du Directoire. Au ministère de la guerre fut appelé Birago, à celui des finances Ricci, à celui de la justice Luosi, à celui des affaires étrangères Testi, à celui de la police Porro. Dans les conseils entrèrent tous ceux qui s'étaient fait un nom par leurs sentiments républicains, par les services rendus à la patrie ou par leur dévouement à Bonaparte. Sauf de rares exceptions, c'était assurément l'élite de l'Italie qui arrivait aux affaires[78]. Qu'il nous suffise de citer parmi ces ouvriers de la première heure Melzi, Cicognara, Martinego, Fenaroli, Lecchi, Pallavicini, Arese, Colonna, Bossi le poète, Mascheroni le mathématicien, Lamberti, Cavedoni, Guglielmini, Somaglia, et le jeune Romain Gianni, que Bonaparte récompensa de ses éloges emphatiques en lui donnant droit de cité dans la première république italienne.

      Ces changements furent annoncés aux Lombards par une de ces proclamations retentissantes, comme Bonaparte savait les rédiger: «La République Cisalpine, leur disait-il, était depuis longtemps sous la domination de la maison d'Autriche. La République française a succédé à celle-ci par droit de conquête: elle y renonce dès ce jour et la République Cisalpine est libre et indépendante. Reconnue par la France et par l'Empereur, elle le sera bientôt par toute l'Europe. Le Directoire de la République française, non content d'avoir employé son influence et les victoires des armées républicaines pour assurer l'existence politique de la République Cisalpine, porte plus loin sa sollicitude. Convaincu que, si la liberté est le premier des biens, une révolution entraîne à sa suite les plus terribles des fléaux, il donne au peuple cisalpin sa propre constitution, le résultat des connaissances de la nation la plus éclairée de l'Europe. Du régime militaire le peuple cisalpin doit donc passer à un régime constitutionnel.... Depuis longtemps il n'existait plus de République en Italie, le feu sacré de la liberté y était étouffé, et la plus belle partie de l'Europe vivait sous le joug des étrangers. C'est à la République Cisalpine à montrer au monde, par sa sagesse, par son énergie, par la bonne organisation de ses armées, que l'Italie moderne n'a pas dégénéré et qu'elle est encore digne de la liberté[79].»

      Quelques jours plus tard, le 9 juillet, était célébrée en grande pompe l'inauguration de la République[80]. Dans l'immense enceinte du Lazaret, devenu le Champ de la Confédération, se réunissaient les députés de toutes les communes et plus de 400 000 Italiens en habits de fête. Les détonations de l'artillerie et le carillon des cloches annonçaient la cérémonie[81]. L'archevêque de Milan célébrait une messe solennelle sur l'autel de la patrie, et bénissait les drapeaux. Serbelloni, le président du Directoire, prononçait une pompeuse harangue et prêtait le premier serment de fidélité à la Constitution et à la République. Le serment était répété par les voix enthousiastes de la foule. Puis commençaient les danses et les réjouissances qui se succédaient jusqu'au lendemain. En souvenir de la fête, on décrétait l'érection de huit pyramides quadrangulaires, dont les inscriptions rappelleraient le nom des braves qui avaient succombé ou des citoyens qui s'étaient sacrifiés pour leur nouvelle patrie.

      Le jour même on ordonnait la fermeture de la Société d'Instruction publique. Sans doute les membres de cette Société l'avaient compromise par leurs exagérations et leurs bravades, mais, au moment où l'on prodiguait les assurances de liberté, n'était-ce pas rappeler durement aux Cisalpins qu'en dépit des protestations de Bonaparte le régime militaire durait toujours[82].

       Table des matières

      Il est vrai de reconnaître que, si Bonaparte se souciait peu de ménager les intransigeants Milanais, et si, d'un autre côté, il ne tenait pas grand compte des constitutions, il se préoccupait des réformes sociales. Son œuvre personnelle fut l'introduction en Italie de l'égalité par l'abolition des privilèges féodaux, de la dîme, des fidéicommis, des majorats, par la déclaration d'admissibilité de tous les citoyens aux emplois publics. Pourtant, bien qu'il bouleversât si complètement l'ancien régime, il s'efforça de rattacher aux institutions nouvelles ceux qui en souffraient le plus, les nobles et les prêtres, car il se défiait de la foule, ou plutôt des meneurs de la foule. Par instinct il se ralliait au grand parti: conservateur il n'était révolutionnaire que par nécessité. Ses avances furent accueillies avec empressement. Grâce à cette habile modération, tous ceux qui par caractère ou par tradition eussent été les ennemis les plus acharnés de la jeune République, devinrent au contraire les premiers intéressés