Pendant ce temps, Murat se présentait de la part de Bonaparte au Sénat de Gênes. Il était chargé par lui de donner des explications sur l'exécution d'Arquata. Le choix du négociateur était prémédité. Bonaparte avait pris la précaution de s'expliquer sur ce point avec Faypoult: «Si vous présentiez ma lettre, lui avait-il écrit, il faudrait quinze jours pour avoir réponse, et il est nécessaire d'établir une communication plus prompte, qui électrise davantage ces messieurs.» Or, le bouillant et impétueux Murat était fort capable d'électriser les sénateurs génois. Il entra à Gênes comme dans une ville conquise, annonça qu'une commission militaire avait fait justice des principaux insurgés, et demanda, en outre, que le Sénat expulsât immédiatement l'ambassadeur Girola, punît Spinola de sa coupable conduite en confisquant ses biens et en prononçant son exil, enfin changeât les gouverneurs dont les sentiments étaient notoirement hostiles à la France. Si le Sénat éprouvait quoique velléité de résistance, Murat avait reçu l'ordre de menacer les Génois d'une punition exemplaire. Voici, du reste, les quelques passages de la lettre de Bonaparte qu'il était chargé de leur lire[101]: «Pour l'avenir, je vous demande une explication catégorique. Pouvez-vous, ou non, purger le territoire de la République des assassins qui le remplissent? Si vous ne prenez pas des mesures, j'en prendrai. Je ferai brûler les villes et les villages où sera commis l'assassinat d'un seul Français et les maisons qui donneraient asile aux assassins. Je punirai le magistrat négligent qui aura transgressé le premier les principes de la neutralité en accordant asile aux brigands.»
Pour mieux appuyer ces menaces, Bonaparte écrivait en même temps à Faypoult[102] en lui annonçant sa prochaine arrivée à la tête des régiments victorieux de l'Autriche. Certes, l'aristocratie génoise aurait eu le droit de repousser de pareilles prétentions; mais elle eut peur d'engager avec le jeune conquérant une lutte dont l'issue n'était que trop facile à prévoir. Elle se soumit à toutes ses exigences. Non seulement la commission militaire française fonctionna librement sur le territoire génois, mais encore Spinola reçut un ordre d'exil, et l'ambassadeur d'Autriche Girola fut prié de sortir immédiatement de Gênes et de la République génoise.
Girola ne renonça pas à la lutte. Il s'était réfugié dans la vallée de la Scrivia, au château de Santa Margarita et continuait à y ourdir de nouvelles intrigues contre la France. Peu à peu, les débris des Barbets et des bandes d'Arquata se groupèrent autour de lui (juin-juillet 1796). Wurmser, informé de ce rassemblement, et comptant sur une diversion, lui fit passer des armes et des officiers instructeurs. Santa Margarita fut comme le rendez-vous des déserteurs et des prisonniers de guerre évadés. Un prêtre, Coirazza, excitait jusqu'au fanatisme ces bandes inexpérimentées; Malaspina, le seigneur du château, leur prêtait l'appui de son nom et de ses richesses. Enfin le résident anglais à Gênes, Drake, vint les rejoindre à la suite d'une affaire assez étrange. Les Anglais, renouvelant leur triste exploit de la Modeste, venaient de s'emparer d'une tartane française dans la rade génoise de San Pietro d'Arena. Les Génois avaient essayé cette fois de défendre leur neutralité en tirant contre les vaisseaux anglais quelques coups de canon. Nelson avait aussitôt demandé satisfaction, et, comme il ne l'avait pas obtenue, comme au contraire les Génois avaient provisoirement fermé tous leurs ports aux Anglais, il s'en vengea en occupant l'île génoise de Capraja. Aussitôt Drake reçut l'ordre de quitter le territoire. Il n'obéit qu'à moitié, car il rejoignit Girola à Santa Margarita (septembre). Cette fois, Bonaparte, qui était au courant de toutes ces menées, résolut d'agir. Le commandant français de Tortone cerna le château, mais des souterrains existaient, dont on n'avait pas connaissance, et par lesquels s'enfuirent Girola, Drake, Coirazza, Malaspina, en un mot tous ceux qu'on avait espéré surprendre, et le brigandage continua.
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