Bonaparte et les Républiques Italiennes (1796-1799). Gaffarel Paul. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Gaffarel Paul
Издательство: Bookwire
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Жанр произведения: Документальная литература
Год издания: 0
isbn: 4064066080020
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revenus de leurs illusions, s'y seraient peut-être résignés, mais une véritable fièvre de vol et de pillage s'était abattue sur l'armée. Les généraux eux-mêmes donnaient l'exemple, Masséna surtout dont les exactions sont restées légendaires. Une nuée de fournisseurs, de commissaires, d'agioteurs de toute espèce et de voleurs de toutes qualités s'était comme emparé, à la suite de nos soldats, de cette malheureuse région. Ne prétendaient-ils pas se faire nourrir par les habitants[22]? Il fallut l'intervention directe du général en chef pour faire disparaître cet abus: mais que de vexations quotidiennes! Que de souffrances cachées! Ordres du jour sévères, exécutions même, rien n'y faisait. C'était un mal invétéré. Il est vraiment regrettable d'avoir à tracer ce triste tableau, mais la vérité a des droits imprescriptibles, et c'est un mauvais service à rendre à ses compatriotes que de leur cacher toutes les parties de l'histoire qui ne leur sont pas favorables.

      La conséquence immédiate de cette série de malversations et de sévices fut une insurrection populaire. Il y avait à Milan un mont-de-piété très riche, où l'on gardait soit des bijoux de famille, soit divers objets précieux. On les conservait pour constituer des dots ou pour former des réserves jusqu'au moment du mariage. Bonaparte et Saliceti s'en emparèrent sans autre forme de procès. Cette spoliation fut connue, et excita l'indignation générale. Les Milanais coururent aux armes, mais le général Despinoy, prévenu à temps, parcourut les rues avec de fortes patrouilles de cavalerie, et dispersa les rassemblements.

      Les choses se passèrent autrement dans la banlieue. Le 24 mai on entendit le tocsin sonner avec fureur dans tous les villages entre Milan et Pavie. Des paysans parcouraient la campagne par bandes armées, et se jetaient sur nos détachements. Les bruits les plus sinistres étaient répandus. Tantôt on apprenait que les Anglais venaient d'entrer à Nice et que le prince de Condé avec les émigrés se dirigeait par la Suisse sur Milan; tantôt c'était Beaulieu qui reprenait l'offensive à la tête d'une armée de 60.000 hommes. Bonaparte se disposait alors à rentrer en campagne contre l'Autriche. Or les insurgés menaçaient ses derrières et le prenaient entre deux feux. Il était imprudent de s'avancer avant d'avoir comprimé l'insurrection. D'heure en heure les mauvaises nouvelles se succédaient au quartier général. Pavie s'était insurgée, et le commandant français avait été fait prisonnier avec toute la garnison. L'avant-garde des révoltés s'était même avancée jusqu'à Binasco, sur la route de Milan. Milan grondait sourdement. La population était hostile et menaçante. Elle semblait n'attendre qu'un signal pour se déclarer. Les mécontents avaient renvoyé tous leurs domestiques, sous prétexte de manque de ressources. C'étaient autant de recrues pour l'insurrection. Déjà la garnison autrichienne qui occupait encore la citadelle s'apprêtait à donner la main aux insurgés. Les douaniers avaient pris les armes. La cocarde nationale avait été foulée aux pieds. Les prêtres couraient la campagne et prêchaient la guerre sainte contre les mécréants qui dépouillaient les églises et ne respectaient pas la famille. C'était une Vendée italienne qui s'organisait.

      Bonaparte, inquiété par ces démonstrations hostiles, suspendit aussitôt le mouvement commencé contre l'Autriche et rentra à Milan. Le général Despinoy, qu'il avait nommé gouverneur de Milan, n'avait pas attendu son retour pour essayer de réprimer l'insurrection. Il avait contenu les Autrichiens dans la citadelle, lancé des patrouilles dans toute la ville, et dispersé les mécontents qui s'étaient déjà installés à la porte de Pavie afin de donner la main aux insurgés. Lannes[23], envoyé contre eux, les rencontra à Binasco, s'empara de ce petit village malgré leur résistance et ne fit aucun quartier. Pendant ce temps, Bonaparte arrivait à Milan, ordonnait l'arrestation de nombreux otages[24], faisait fusiller tous ceux qu'on avait pris les armes à la main, et marchait sur Pavie. Il s'était fait précéder de la proclamation suivante[25]: «Une multitude égarée, sans moyens réels de résistance, se porte aux derniers excès dans plusieurs communes, méconnaît la République et brave l'armée triomphante de plusieurs rois. Ce délire inconcevable est digne de pitié. On égare ce pauvre peuple pour le conduire à sa perte. Le général en chef, fidèle aux principes qu'a adoptés la nation française, qui ne fait pas la guerre aux peuples, veut bien laisser une porte ouverte au repentir, mais ceux qui, sous vingt-quatre heures, n'auront pas posé les armes et n'auront pas de nouveau prêté serment d'obéissance à la République, seront traités comme rebelles; leurs villages seront brûlés. Que l'exemple terrible de Binasco leur fasse ouvrir les yeux. Son sort sera celui de toutes les villes et villages qui s'obstineront à la révolte.»

      L'archevêque de Milan s'était chargé de porter cette proclamation à Pavie. Il y fut très mal accueilli, et Bonaparte se vit obligé de sévir. Plusieurs milliers de paysans s'étaient enfermés dans la vieille cité gibeline, et faisaient mine de prolonger la résistance. Bonaparte ordonna d'en enfoncer les portes à coups de canon, et le général Dommartin pénétra avec ses grenadiers par la brèche improvisée. Le massacre fut terrible. Tous ceux que l'on surprit dans les caves ou sur les toits des maisons furent passés par les armes. Les fuyards furent poursuivis à outrance et sabrés sans miséricorde. Pendant plusieurs heures la ville fut livrée au pillage[26]. C'était une atrocité depuis longtemps proscrite par les nations civilisées, et encore Bonaparte eut-il l'art de la présenter comme un acte de clémence. «Trois fois l'ordre de mettre le feu à la ville expira sur mes lèvres, écrivit-il au Directoire[27], lorsque je vis arriver la garnison du château qui avait brisé ses fers, et venait, avec des cris d'allégresse, embrasser ses libérateurs. Je fis faire l'appel, il se trouva qu'il n'en manquait aucun. Si le sang d'un seul Français eût été versé, je voulais faire élever, des ruines de Pavie, une colonne sur laquelle j'aurais fait écrire: Ici était la ville de Pavie. J'ai fait fusiller la municipalité, arrêter deux cents otages, que j'ai fait passer en France. Tout est aujourd'hui parfaitement tranquille, et je ne doute pas que cette leçon ne serve de règle aux peuples de l'Italie.»

      Afin de prévenir le retour de semblables émeutes, une proclamation draconienne annonça qu'à l'avenir tous les villages insurgés seraient brûlés, et les prisonniers fusillés. Les prêtres et les nobles seront considérés comme otages et envoyés en France. Tous les villages où sonnera le tocsin seront brûlés. Quand un Français aura été assassiné, les villages sur le territoire duquel aura été commis le crime, devront livrer l'assassin, ou sinon ils paieront une amende égale au tiers de la contribution qu'ils payaient dans une année. Tout détenteur d'armes et de munitions de guerre sera fusillé, et sa maison brûlée. Tous les nobles ou riches «qui seront convaincus d'avoir excité le peuple à la révolte, soit en congédiant leurs domestiques, soit par des propos contre les Français seront arrêtés comme otages, transférés en France et la moitié de leurs revenus confisqués.» Les patriotes lombards, en accueillant les Français, avaient espéré conquérir l'indépendance. Tel était le régime d'arbitraire et de bon plaisir qu'on prétendait leur imposer. Certes l'insurrection de Pavie devait être réprimée, mais était-il nécessaire de la noyer dans le sang? Avait-on publié que nos provocations, que nos spoliations iniques étaient la cause principale de cette effervescence populaire? Ainsi que l'a écrit un des historiens les plus récents de Napoléon[28], «huit jours avaient suffi pour changer un peuple ami, connu par la douceur de ses mœurs, et dont les sympathies pour la France allaient jusqu'à l'enthousiasme, en une population défiante, hostile, irritée, que la terreur seule empêchait de manifester ses véritables sentiments».

       Table des matières

      On s'en aperçut bien quand la fortune des armes sembla nous être contraire, lorsque Wurmser, à la tête de 70.000 hommes, descendit la vallée de l'Adige pour aller débloquer Mantoue et dispersa nos avant-postes. À la nouvelle de ses premiers succès, les nobles, les prêtres et tous les mécontents reprirent courage. De nombreux émissaires furent envoyés dans les campagnes, porteurs d'écrits injurieux et de billets diffamatoires contre la France. Ces menées réussirent. À Casal Maggiore la petite garnison française fut égorgée, et le commandant, qui s'était enfui en bateau avec sa femme et son enfant, fut arrêté et impitoyablement fusillé. À Crémone, le soulèvement fut général. L'arbre de la liberté fut conservé, mais parce