Alore cantem uni de scià et delà La Carmagnola cout el sa-irà. Viva, viva pur i Francès Lun el ciar de stij paès!
Après les plantations des arbres de la liberté, ce fut le tour des anniversaires. Grande fête le 5 juillet 1796 dans le Jardin public. Nouvelle fête en septembre pour célébrer la fondation de la république française. On avait pour la circonstance converti en amphithéâtre la place du Dôme. Au centre avait été dressé l'autel de la patrie. Un char triomphal, traîné par six chevaux et couvert d'emblèmes allégoriques, portait une jeune femme qui figurait la liberté, entourée d'enfants couronnés de guirlandes. Des inscriptions rappelaient le nom de tous les régiments qui avaient pris part à la campagne[66]. Le cortège défila devant Joséphine Bonaparte, qui assistait à la cérémonie du haut d'un des balcons du palais Serbelloni, et, quand il arriva sur la place du Dôme, on inaugura solennellement un arbre de la liberté; mais les décharges répétées de l'artillerie, qui accompagnaient la cérémonie, brisèrent les vitraux de la cathédrale, perte irréparable pour l'art.
En février 1797, à propos des victoires de Bonaparte, une grande fête fut encore célébrée à Milan. Il y eut aussi des défilés de chars emblématiques, puis des banquets publics, et des distributions de vivres. Sur le soir, à la Porte Orientale, grand feu d'artifice. La liberté immola l'aristocratie dans des flammes, vertes et rouges de Bengale, et un aigle empenné, qui commençait à voler, fut bientôt réduit en cendres par la foudre des artificiers.
Mis en goût[67] par ces fêtes, qui exaltaient les esprits, et, à ce qu'ils croyaient du moins, répandaient l'amour des institutions républicaines, les exaltés n'hésitèrent pas à célébrer les anniversaires les plus sinistres de la révolution française; par exemple, celui de l'exécution de Louis XVI. Ils avaient, pour la circonstance, composé divers écriteaux et les portaient gravement sur la poitrine. Il fulmine colga tutti i re in un fascio.—Il coltello di Bruto possa spaventare gli Schiavi di Cesare e gli imitatori di Antonio.—Al popolo che sente una volta la sua indipendenza, etc. Les maladroits s'imaginaient qu'ils sauvaient la patrie par ces imprécations contre des tyrans qui n'existaient pas, et ces cérémonies symboliques, dont ils comprenaient seuls le sens caché. Ainsi, le 16 octobre 1797[68], pour célébrer la mort de la reine de France, on brûla sur la place du Dôme des livres de droit canon, quelques bulles pontificales, une histoire de la guerre d'Italie par Bolzani, quelques journaux hostiles rédigés par Taglioretti, Motta, Polini, et deux grandes gravures représentant l'une la tiare papale, l'autre l'aigle à deux têtes. Les organisateurs de cet autodafé s'imaginaient sérieusement qu'ils portaient ainsi un coup mortel à l'ancien régime. Ce sont sans doute les mêmes personnages, grotesques à force d'être naïfs, qui s'avisèrent tout à coup de trouver un air menaçant à la statue du roi Philippe II, qui, depuis deux siècles se dressait sur la place des Marchands. Ils lui coupèrent la tête et la remplacèrent par celle de Brutus, le héros du jour. Ils lui enlevèrent son sceptre et lui mirent entre les mains l'inscription suivante: All'ipocrisia di Filippo II succéda la virtù di Marco Junio Bruto!
V
Pendant ce temps, les partisans secrets de l'Autriche s'organisaient, et les modérés, que dégoûtaient ces excès, sans se rapprocher d'eux, commençaient à craindre de s'être inutilement compromis. Ces partisans de l'Autriche n'étaient pas nombreux, mais ils avaient de l'influence par leurs richesses. En outre, ils avaient, dans les campagnes par leurs tenanciers, et dans les villes par leurs domestiques, une véritable clientèle. Au jour du danger, ils pouvaient devenir redoutables. L'un d'entre eux, Gambanara, n'avait pas hésité à payer de sa personne. Il était descendu dans la rue, lors de l'insurrection de Binasco et de Pavie. D'autres restaient enfermés dans leurs palais et se contentaient d'y forger péniblement de lourdes épigrammes contre les Français et de les imprimer eux-mêmes pour ne mettre personne dans la confidence, comme le comte Pertusati, dont un historien contemporain, Giovanni de Castro, a fait connaître l'œuvre informe et décousue, mais malicieuse[69]. D'autres enfin s'étaient retirés dans leurs châteaux[70], correspondaient mystérieusement avec l'Autriche, et attendaient le moment d'assouvir leurs rancunes.
Entre les modérés dont il devait ranimer la bonne volonté, les exaltés dont il méprisait les tendances[71], mais dont il appréciait le zèle, et les partisans de l'ancien régime qu'il affectait de mépriser, mais dont il surveillait les démarches, le rôle de Bonaparte eût été difficile s'il n'eût, depuis longtemps, pris son parti. Homme de guerre et de discipline, il sentait d'instinct que la modération seule donnerait à la Lombardie une forme de gouvernement qui allierait la force à la liberté. Les excès de la démagogie le dégoûtaient, et il ne se cachait pas pour le dire. À maintes reprises, il avait exprimé son mépris à propos de certains articles du Thermomètre politique. Il avait interdit les attaques furibondes contre la religion, contre le pape, et spécialement contre le roi de Sardaigne, dont il appréciait la dignité et la solidité. Les élucubrations de Lattanzi avaient le privilège de l'agacer. Il finit par en ordonner la suppression. Il se prononça même très catégoriquement en faveur des modérés, et leur envoya, le 10[72] décembre 1796, une sorte de manifeste qui eut un grand retentissement. Il engageait les Lombards à l'union. «Je suis bien aise, ajoutait-il, de saisir ces circonstances pour détruire des bruits répandus par la malveillance. Si l'Italie veut être libre, qui pourrait désormais l'en empêcher?... Réprimez surtout le petit nombre d'hommes qui n'aiment la liberté que pour arriver à une révolution; ils sont ses plus grands ennemis; ils prennent toute espèce de figure pour remplir leurs desseins criminels ... Vous pouvez, vous devez être libres sans révolutions, sans courir les chances et sans éprouver les malheurs qu'a éprouvés le peuple français. Protégez les propriétés et les personnes, et inspirez à vos compatriotes l'amour de l'ordre et des vertus guerrières qui défendent et protègent les républiques et la liberté.» Ces sages conseils étaient fort goûtés par le parti modéré, mais ils déplaisaient d'autant aux exaltés. Seulement, comme Bonaparte était le maître, on n'osait protester, mais les exaltés commençaient à trouver sa domination pesante. Les modérés, au contraire, se rapprochaient de plus en plus du général, disposés à toutes les concessions pour se l'attacher d'une façon définitive. Aussi bien le général n'allait pas tarder à se prononcer en leur faveur.
Un jour, l'ambassadeur de France à Florence, Miot[73], vint trouver Bonaparte à Mombello, et eut avec lui et Melzi une conversation singulière, dont nous retrouvons le souvenir dans les intéressants mémoires de ce diplomate. «Il faut à la nation, disait-il à Miot en parlant de la France, un chef illustre par la gloire et non par des théories de gouvernement, des phrases et des discours d'idéologues auxquels le pays n'entend rien. Quant à votre pays, Melzi, il y a encore moins qu'en France d'éléments de républicanisme, et il faut encore moins de façons avec lui qu'avec tout autre. Vous le savez mieux que personne. Nous en ferons tout ce que nous voudrons; mais le temps n'est pas encore venu. Il faut céder à la fièvre du moment. Nous allons avoir ici une ou deux républiques de notre façon. Monge nous arrangera cela.» Ce qu'il appelait la fièvre du moment, c'étaient les ordres du Directoire qui voulait imposer à tous les États conquis la constitution française, et jeter dans le même moule pour ainsi dire des pays différents par les usages et les institutions. Bonaparte ne se sentait pas encore assez fort pour résister au Directoire, mais il entendait prendre une prompte revanche, et, comme il le disait à Miot dans ce même entretien, qui vraiment semble arrangé après coup et pour les besoins de la cause, tant Bonaparte s'y montra stupéfiant d'impudence dans la candeur de ses aveux: «Je ne voudrais