Le jardinier de la Pompadour. Eugene Demolder. Читать онлайн. Newlib. NEWLIB.NET

Автор: Eugene Demolder
Издательство: Bookwire
Серия:
Жанр произведения: Языкознание
Год издания: 0
isbn: 4064066087005
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jolie fille s'avança, poing sur la hanche, un peu moqueuse:

      —Vraiment, Jasmin, tu n'es point galant! Fallait savoir que j'allais venir! Allons! Embrasse-moi!

      Le jardinier lui donna un baiser sur chaque joue; puis la jeune fille sauta au cou de la Buguet.

      —Eh! dit celle-ci, que tu sens bon et que tu as la peau doucette et blanche! Prends-tu des bains de lait comme ta maîtresse?

      La soubrette éclata de rire:

      —Mme d'Étioles se baigne dans l'eau claire!

      Martine était affriolante avec son bonnet blanc, son corsage de percale, sa jupe d'un vert de scarabée qui laissait passer de fines chevilles et des souliers cambrés. Mais ce qui charmait le plus en elle, c'était, sous ses cheveux châtains, ses yeux de couleur indécise, comme ceux des chats. Il semblait qu'elle pût les aviver des tons et des lueurs qu'elle voulait. Martine avait le nez court, retroussé juste assez pour indiquer un peu d'impertinence qu'adoucissait le sourire des lèvres. Ce matin, elle semblait apporter une lueur de l'aurore dans les fossettes de ses joues. Elle dit d'une voix cristalline:

      —Allons, Jasmin, conduis-moi aux vendanges!

      Buguet fit un brin de toilette, mit ses souliers ferrés pour patauger dans la terre des vignes:

      —Me voilà prêt!

      Les deux jeunes gens furent bientôt au bord de la Seine.

      —Alors, M. Jasmin a assisté à la chasse royale? demanda Martine.

      —Oui!

      —On l'a fort remarqué. Et c'est pour le remercier de ses fleurs que Mme d'Étioles m'envoya hier chez ma marraine Laïde Monneau, où j'ai passé la nuit.

      —Ce n'est point vrai!

      —Je te l'assure. Elle s'est souvenue de ton nom. Elle m'a tout raconté et elle est bien heureuse, car à la suite de l'accident le Roi lui a envoyé dix faisans dorés, ce qui est gibier rare.

      Jasmin devint silencieux. Ah! Mme d'Étioles a prononcé son nom: Jasmin Buguet! Pour la première fois ce nom paraît fleuri au jardinier. Il sourit à des visions douces, à un bonheur secret. Le paysage prend à ses yeux une splendeur ravie. Buguet regarde avec plus de joie les vignes: ces petites fées vertes, qui, pendant les hivers sans soleil, versent le rêve aux mortels en des boissons rouges, aujourd'hui se drapent dans leur feuillage bordé de pourpre. Elles grimpent à pic sur le coteau pierreux d'où l'argile rouillée s'éboule; en procession elles s'appuient sur leurs échalas d'acacia ivres du vin contenu dans leurs mamelles.

      L'œil du garçon brille, sa physionomie s'éclaire. Il ose insinuer:

      —Mme d'Étioles se souvint de mon nom?

      —Ne te l'ai-je pas dit?

      —C'était dès le soir de la chasse?

      —Ce soir même. Je dégrafais sa robe. Elle jetait ses bagues dans un coffre. «Martine, dit-elle, j'ai rencontré le jardinier qui t'a donné les lauriers pour mon phaëton. Il s'appelle Jasmin Buguet, n'est-ce pas?» Je rougis. «Pourquoi as-tu honte?» continua Madame. Elle sourit: «C'est un joli garçon! Et ma foi il fut, lors de mon accident de voiture, fort civil!»

      Jasmin exultait.

      —Comme te voilà joyeux! dit la soubrette. Tu te sens bien flatté?

      Elle était enchantée de voir son compagnon se dérider. La fillette aimait beaucoup Jasmin. Enfants, ils avaient déniché des fauvettes dans les roseaux de la Seine, joué aux osselets, à cligne-musette, au toton, la toupie qui ronfle, et lancé les bulles de savon qui sortent d'un tuyau de pipe et crèvent au long des chaumes. En hiver, ils élevaient des châteaux de cartes, se penchaient sur le jeu de l'oie, construisaient des coqs en papier. La petite était orpheline. Une fois que son parrain dut s'absenter, il la confia aux Buguet; ceux-ci la couchèrent avec Jasmin, les enfants s'endormirent sur le même oreiller: on eût dit à les voir sommeiller que leurs têtes poupines souriaient au même rêve.

      —On les mariera, peut-être, dit le père Buguet en riant.

      Plus tard, bien qu'il n'aimât guère la danse, Jasmin conduisit Martine au bal champêtre, participant avec elle au moulinet, sous les tilleuls du bord de l'eau, aux sons de la flûte. A la fête, il la menait voir le montreur de boîte d'optique et celui de marionnettes; ils achetaient des complaintes, écoutaient les joueurs de vielle et de clarinette. Jasmin offrait à Martine des dorioles et autres délicatesses de bouche. Ils buvaient un verre d'hypocras ou de vespetro, que débitait un charlatan, et le soir la mère Buguet pétrissait des «roussettes».

      Le village les fiança. Cependant ils avaient échangé des œillades tendres, des serments enflammés, des baisers en cachette, derrière la porte, quand le garçon venait passer la veillée chez Rémy Gosset et que la fillette le reconduisait jusqu'au seuil, «histoire de voir les étoiles». Un après-midi que Martine, sortie pour cueillir des cerises, avait délaissé son rouet, Jasmin couvrit le fuseau de roses pompon, de sorte qu'elle trouva, en revenant avec son panier plein, une chose aussi belle et vive que le sceptre de Flore.

      D'ailleurs Martine était sage. On ne l'avait jamais surprise dans une grange, le sein hors du corsage, dans l'attitude de celles qui imitent sur les bottes de foin ce que les pigeons, après s'être becquetés, pratiquent à deux sur les gouttières. Nul galant n'était monté à la petite fenêtre de sa chambrette; ni son parrain Rémy Gosset, ni sa marraine Laïde Monneau, chez qui elle habitait parfois, n'avaient trouvé de chapeau d'homme sous son lit.

      Rien pourtant n'avait été décidé entre Buguet et la soubrette. Aujourd'hui le jardinier comptait vingt-trois ans et Martine atteignait son dix-neuvième octobre. Elle pensa qu'il était temps de songer au mariage:

      —Je vais parler!

      La joie revenue au cœur de Jasmin encourageait l'amoureuse. Le garçon s'égayait le long de la Seine. Il voulut cueillir une branche de salicaire et s'approcha de l'eau, parmi les joncs du bord: le reflet de la rivière illumina son visage d'un or fluide.

      —Est-il joli!

      Il rappela à Martine ces jeunes satyres aux chairs roses ou hâlées qu'on voit à Étioles dans certains tableaux: ils penchent sur des urnes ou des conques, parmi des plantes aquatiques, leurs tétons bruns qui frôlent les pétales des nymphéas.

      Jasmin revint, offrant à Martine la vergette empourprée de la fleur tardive.

      —Merci, dit-elle. Je la porterai dans ma chambre en souvenir de toi.

      Puis le jardinier interpella le sacristain Euphémin Gourbillon, qui promenait dans un clos son maigre personnage:

      —La belle récolte, Euphémin! Il y a de quoi rougir le nez à tous les sonneurs de cloches de notre capitainerie de Sens!

      Il en interpella d'autres encore et se laissa accoster par maint villageois, au grand dépit de Martine.

      Elle n'osa et ne put rien dire à Jasmin, moitié par timidité de jeunesse, moitié à cause des bavards de la route, et ils se trouvèrent ainsi près de la tannerie de Gillot.

      —Ah! Martine! s'écria la tante, c'est gentil de venir nous aider! Va de ce côté, où se trouvent les fillettes.

      Voici l'oncle Gillot! Il est chargé de paniers débordants de grappes encore froides de rosée. Il s'en débarrasse. Puis il s'essuie le front et tape sur l'épaule de Jasmin:

      —Je suis content que tu sois venu, mon neveu! Eustache Chatouillard nous est aussi arrivé.

      Près de la porte du vendangeoir, Eustache, la culotte relevée mi-cuisse, dans une cuve emplie de raisins, foule, le torse nu.

      —Bonjour, Jasmin! s'écrie-t-il. On ne s'est pas revu depuis le jour de la chasse.

      Gillot intervient:

      —Vous causerez tout à l'heure. Mon neveu,